La date fatidique est proche. Le 1er juillet prochain, Benyamin Netanyahou doit entamer l'annexion israélienne d'une partie de la Judée Samarie.
Illégale au regard du droit international, cette promesse de campagne du Premier ministre israélien, désigné en mai à la tête d'un gouvernement d'union nationale en compagnie de son adversaire et ancien chef d'état-major de Tsahal Benny Gantz, doit lui permettre de marquer définitivement l'Histoire de son pays.
Et détourner l'attention de ses déboires judiciaires, alors qu'il est sous le coup d'une triple inculpation pour corruption.
Mais cette décision unilatérale, rendue possible par le « plan de paix » de Donald Trump sur le Proche-Orient, est en mesure d'enflammer la région.
Et de briser les liens déjà fragiles entre l'État hébreu, l'Autorité palestinienne et la Jordanie.
En Israël, d'anciens généraux de l'armée israélienne, de la police et des services de sécurité intérieurs (Shin Beth) et extérieur (Mossad) tirent la sonnette d'alarme.
Regroupés au sein de l'organisation des Commandants pour la sécurité d'Israël (CIS), un « mouvement politique non partisan » favorable à la solution à deux États, ils ont lancé cette semaine une campagne publicitaire et médiatique visant à avertir l'opinion publique israélienne des dangers de cette initiative pour la sécurité de l'État hébreu.
À leur tête, le major général à la retraite Matan Vilnai, ancien chef d'état-major adjoint de Tsahal, qui a également servi en 2007 comme vice-ministre de la Défense sous le Premier ministre travailliste Ehud Barak, puis en 2009 sous le mandat de Benyamin Netanyahou.
Dans une interview au Point, ce héros de la guerre du Kippour explique pourquoi l'annexion de la Judée Samarie est contraire aux intérêts d'Israël.
Le Point : Quel est le but de votre campagne ?
Matan Vilnai : Il s'agit d'avertir le public israélien contre le grand danger que représente l'annexion.
Le Premier ministre a beau l'avoir annoncée à partir du 1er juillet, à une semaine de cette date fatidique, personne en Israël ne connaît vraiment le sens réel de ce mot.
Les Commandants pour la sécurité d'Israël sont les seuls en Israël à avoir étudié toute sa signification. Je vous rappelle que nous sommes composés de 300 généraux de l'armée israélienne, de leur équivalent au sein du Mossad et de la police.
Nous effectuons depuis plusieurs années des recherches sur le sujet, que nous avons compilées dans un document.
Mais personne au sein du gouvernement ne l'a lu. Notre but est donc de mettre en garde le Parlement, l'exécutif, ainsi que les citoyens israéliens, y compris ceux qui se promènent dans la rue.
Nous souhaitons leur dire que, si jusqu'ici il n'y avait aucun prix à payer (pour la colonisation israélienne en Judée Samarie, NDLR), ce ne sera pas le cas avec l'annexion.
Quel est, selon vous, ce prix à payer ?
L'annexion est très dangereuse pour la sécurité d'Israël. Nous entretenons jusqu'ici une coordination sécuritaire totale avec l'Autorité palestinienne afin de combattre le Hamas et le Djihad islamique (les Palestiniens ont annoncé la fin de cette coopération sécuritaire).
Une autre pierre angulaire de notre stratégie sécuritaire est la coordination antiterroriste avec la Jordanie qui permet d'éviter des attentats à notre frontière orientale.
J'étais moi-même présent aux côtés du Premier ministre Yitzhak Rabin lorsqu'il a signé les accords de paix avec le roi Hussein de Jordanie en 1994. Or, l'annexion annihilerait ces coopérations, ce qui mettrait en danger la sécurité d'Israël, ainsi que celle de l'Autorité palestinienne.
Cela profiterait aux militants du Hamas qui tenteraient alors de renverser Ramallah.
Ce serait une tragédie pour nous tous. En Jordanie, outre l'arrêt de la coordination sécuritaire, l'annexion placerait le roi Abdallah sous une énorme pression, d'autant que la majorité de la population jordanienne est palestinienne. Cela poserait de grands risques pour notre sécurité dans un futur proche.
Il se murmure pourtant que Netanyahou pourrait se contenter dans un premier temps d'annexer uniquement les grands blocs de colonies proches d'Israël. Un tel scénario vous rassure-t-il ?
C'est peut-être ce qu'il va faire. Il existe un accord tacite entre Israéliens et Palestiniens sur le fait que certains emplacements (colonies, NDLR) tels que Goush Etzion et Ma'ale Adoumim feront partie de toute façon d'Israël à l'issue d'un accord.
À mon sens, cela ne serait donc pas une véritable annexion. Mais le Premier ministre a parlé d'annexer 30 % de la zone (Judée Samarie).
Cela provoquera une réaction armée, notamment du Hamas, et au final, nous n'aurons pas d'autre choix que de conquérir tout le territoire, comme avant les accords d'Oslo de 1993.
À ce moment-là, Israël sera obligé de donner la citoyenneté aux Palestiniens. Il deviendra alors un État avec une majorité palestinienne et une minorité israélienne, ce qui est à mes yeux un grand danger.
Benyamin Netanyahou a pourtant assuré qu'il n'accorderait pas la citoyenneté israélienne aux Palestiniens.
Dans ce cas, ce sera l'apartheid, avec des citoyens distincts, ce qui serait un comble pour Israël, la seule démocratie au Moyen-Orient.
L'annexion change-t-elle quoi que ce soit à l'occupation israélienne déjà en vigueur en Judée Samarie, avec une multiplication du nombre de colonies ces dernières années ?
Ce n'est pas vrai. Il n'y a pas eu de nouvelles colonies.
Si les constructions ont augmenté, c'est à l'intérieur même des colonies. Mais au final, la situation reste calme et nous ne devons pas faire quoi que ce soit pour la changer.
L'annexion n'apportera rien à Israël, ou alors uniquement quelques changements mineurs au niveau des municipalités.
Cela ne vaut pas le coup de mettre en danger notre sécurité avec les Palestiniens, la Jordanie et le Hamas. Il n'y a rien que l'on ne peut pas déjà faire en Judée Samarie.
Dans ce cas-là, quelle est la différence entre une annexion immédiate ou dans vingt ans ?
Il y a une vraie distinction entre les deux. Il s'agit aujourd'hui d'une annexion unilatérale qui met en danger la relation entre Israéliens et Palestiniens, alors que, dans le futur, cela sera le fruit d'un accord entre les deux camps. Il faudra au final un traité avec les Palestiniens, sur le même modèle que celui qui a été signé avec la Jordanie et l'Égypte.
Mais la création d'un État palestinien n'est-elle pas impossible sur le terrain au vu de la poursuite de la colonisation en Judée Samarie?
Je suis certain qu'il reste une place pour un État palestinien. Le « plan de paix » de Donald Trump n'est pas un accord en soi mais une plateforme pour les négociations entre Israéliens et Palestiniens.
C'est une étape importante pour la paix qui grave dans le marbre le fait que ces deux peuples doivent vivre séparés.
La nomination de l'ancien chef d'état-major Benny Gantz au poste de ministre de la Défense peut-elle contrecarrer les plans de Benyamin Netanyahou ?
Je me souviens l'avoir entendu me dire que l'annexion serait un « désastre ».
Pourquoi a-t-il dans ce cas rejoint un gouvernement d'union nationale avec Netanyahou ?
C'est la politique, vous savez. Voilà pourquoi j'ai quitté ce monde il y a de cela des années.
Source Le Point
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