dimanche 1 septembre 2019

Israël à la croisée des chemins


Les rues de Jérusalem se vident tous les vendredis en fin d’après-midi. Les commerces ferment leurs portes. Les transports publics cessent de circuler. Les gens rentrent chez eux pour le shabbat, jour de repos dans la tradition juive et congé obligatoire en Israël......Détails........



Un lourd silence s’empare de la rue Jaffa, en temps normal une des plus animées de la ville. 
Une petite rue perpendiculaire détonne pourtant : trois cafés restent ouverts de façon fort joyeuse. Les clients savourent la fin de journée ensoleillée sur les terrasses.
Ce geste en apparence anodin est une véritable déclaration politique : « On est un îlot de résistance contre l’emprise de la religion sur nos vies », affirme sans détour Klil Lifshitz, propriétaire du Café Bastet. 
L’établissement offre un menu végane et surtout non casher, une exception dans l’État hébreu. Un drapeau arc-en-ciel aux couleurs de la fierté LGTBQ trône sur la façade du café.
Ce restaurant discret est devenu célèbre partout au pays au printemps dernier. Devant une manifestation de religieux ultraorthodoxes venus harceler les clients de ce café « impie », les serveuses ont eu une idée de génie : elles sont sorties sur le trottoir et ont soulevé leurs chandails. 
« Les haredim n’ont pas le droit de regarder les femmes. Ils sont partis immédiatement et nous laissent à peu près tranquilles depuis ce temps », raconte Klil Lifshitz en souriant.
Les trois cafés de ce petit bout de rue incarnent un mouvement pour la laïcité de l’État qui prend de l’ampleur en Israël. 
La place de la religion dans l’espace public est un des enjeux importants de la campagne électorale — la deuxième en cinq mois — qui bat son plein dans l’État hébreu. 
Contrairement au Québec, les symboles religieux ne dérangent personne ici. Ce qui enflamme la société, ce sont les accommodements consentis aux juifs ultraorthodoxes et l’omniprésence de la religion dans les règles sociales.
Ce débat déchirant sur la religion est un caillou dans le soulier du premier ministre sortant, Benjamin Nétanyahou, chef du Likoud. 
Peut-être même plus qu’un caillou : un boulet qui risque de le faire couler. L’homme fort de la droite israélienne a régné durant 13 des 20 dernières années — un record de longévité — grâce à l’appui de petits partis ultra-orthodoxes.
« Sans le soutien de cette minorité extrémiste, Nétanyahou n’a aucune chance de prendre ou de garder le pouvoir, dans un système électoral proportionnel où les alliances entre partis sont incontournables », dit Reuven Hazan, professeur de sciences politiques à l’Université hébraïque de Jérusalem.

Un chef face à son destin

Cette dépendance envers les ultraorthodoxes rend le chef du Likoud extrêmement vulnérable au marchandage, surtout qu’il joue davantage que sa survie politique au scrutin du 17 septembre : une victoire électorale est son meilleur espoir de sortir indemne des procédures judiciaires qui seront entamées contre lui au cours de l’automne. 
Nétanyahou risque d’être inculpé d’ici la fin de l’année pour corruption, fraude et abus de confiance dans trois dossiers distincts.
C’est ici que la religion vient hanter Nétanyahou. 
Avigdor Liberman, un ancien compagnon d’armes de « Bibi », fait campagne contre les ultraorthodoxes. 
Liberman aurait pu former un gouvernement de coalition avec Nétanyahou après le scrutin du 9 avril dernier, mais il a monnayé cher son appui : il a exigé que les ultraorthodoxes, qui consacrent leur vie à la prière, fassent leur service militaire comme les autres Israéliens. 
Une condition bien sûr irrecevable pour Nétanyahou, qui a les mains attachées par les ultraorthodoxes. Le premier ministre n’est pourtant pas du tout religieux : il ne mange même pas casher !
Largué par Liberman, Nétanyahou n’a pu former un gouvernement, ce qui a précipité la tenue d’un deuxième scrutin dans la même année, une première historique qui a plongé le pays dans une crise politique.
Le chef du Likoud n’est pas au bout de ses peines. Il tente par tous les moyens de faire de la sécurité nationale l’enjeu principal du scrutin, parce qu’il reste perçu comme le chef politique le plus susceptible de protéger Israël. Non pas en faisant la paix avec ses voisins, mais en brandissant la force militaire.
Il est vrai que, du point de vue des citoyens, la méthode dure semble fonctionner.
Les attentats suicides qui dévastaient autobus et cafés lors de la deuxième intifada, au début des années 2000, sont chose du passé. 
Cet apaisement est arrivé avec l’aménagement de la gigantesque « barrière de sécurité » entre Israël et les territoires occupés (dénoncée comme illégale par la communauté internationale).
Le processus de paix avec la Palestine paraît mort et enterré. Nétanyahou a aussi accéléré le peuplement des villes de Judée et de Samarie dans l’indifférence de la communauté internationale — ce n’est sûrement pas Trump qui va lui taper sur les doigts — et des électeurs israéliens.

Désir de changement

La majorité des citoyens de l’État hébreu souhaitent pourtant la paix avec les voisins palestiniens, souligne le professeur Reuven Hazan. 
Il constate une fatigue des électeurs envers Nétanyahou, usé par ses années tumultueuses au pouvoir. 
Hazan sent un intérêt des citoyens pour d’autres enjeux que la sécurité nationale — santé, éducation, transports, logements sociaux…
La toute récente alliance Bleu et Blanc (aux couleurs du drapeau israélien), qui unit trois partis de centre gauche et de centre droit, incarne ce désir de changement. 
Le Likoud de Nétanyahou et la coalition Bleu et Blanc ont obtenu chacun 35 sièges (sur un total de 120) aux élections d’avril dernier. 
Ils auraient pu former un gouvernement de coalition, mais Bleu et Blanc refuse catégoriquement de s’associer à Nétanyahou.



Photo: Jacques Nadeau Le Devoir
Michal Cotler-Wunsh, une Montréalaise d’origine qui est candidate pour Bleu et Blanc 
« Le Likoud a été piraté par un discours extrémiste. C’est pourtant le parti de Menahem Begin, qui a reçu le prix Nobel pour avoir fait la paix avec l’Égypte », remarque Michal Cotler-Wunsh, une Montréalaise d’origine qui est candidate pour Bleu et Blanc au scrutin du 17 septembre. 
Cette politicienne de 48 ans est la fille de l’ancien ministre et député de Mont-Royal, Irwin Cotler. Elle s’est établie en Israël en 1987.
On la rencontre au siège social de Telem, un des trois partis du regroupement Bleu et Blanc. 
Nous sommes dans un immeuble anonyme de Tel-Aviv. Deux agents de sécurité fouillent nos sacs et scrutent nos passeports avant de nous autoriser à entrer.

Unir la diversité

« Israël est à la croisée des chemins », dit Michal Cotler-Wunsh, attablée dans une petite salle de réunion décorée d’une affiche de Moshe « Bogie » Ya’alon, fondateur de Telem. 
Cet ancien ministre de la Défense sous Nétanyahou et ancien chef d’état-major de l’armée a largué le chef du Likoud : Ya’alon a déjà critiqué le travail des Forces israéliennes et s’est déclaré favorable au mariage entre conjoints de même sexe.
« Nous croyons que la majorité des gens veut la paix et la prospérité des deux côtés de la frontière ; 90 % de la population est d’accord sur 90 % des enjeux de société », dit Michal Cotler-Wunsh.
« Israël est un pays où règne une incroyable diversité : 20 % de la population est d’origine arabe, mais il existe aussi une multitude d’identités juives — laïque, religieuse, issue de différents pays. 
On voit bien dans la rue, dans la vie de tous les jours, que les gens cohabitent en paix, mais ça ne se traduit pas sur le plan politique. »
L’alliance Bleu et Blanc cherche à ratisser large, au centre de l’échiquier, loin des « extrémistes » de gauche ou de droite. 
Signe d’une volonté de réduire l’influence religieuse sur la vie politique, Bleu et Blanc inclut le parti Yesh Atid, de l’ancien présentateur de nouvelles Yair Lapid. Ce parti a remporté 19 sièges en 2013 en proposant une plateforme résolument laïque.
« La société israélienne est mûre pour se poser des questions fondamentales, dit Michal Cotler-Wunsh. 
Comment enseigne-t-on l’histoire dans les écoles laïques ? 
Est-ce qu’on parle de la Bible ? 
Si tout ce qui est lié à la culture du peuple juif est qualifié de religieux, ça veut dire qu’on ne peut pas enseigner l’identité. 
D’ailleurs, faut-il enseigner l’identité ? Les écoles publiques doivent afficher le drapeau israélien, mais la plupart des écoles arabes et des écoles ultraorthodoxes [juives] ne l’affichent pas. Devrait-on faire appliquer la loi ? Comment ? Et qu’est-ce qu’on fait avec les écoles privées religieuses qui n’enseignent pas le programme obligatoire ? On croit bien sûr que tous les enfants devraient apprendre les mathématiques. »
Bleu et Blanc propose de modifier la controversée Loi sur l’État-nation, adoptée en 2018, qui déclarait Israël comme le pays du peuple juif. Cette loi a eu une portée symbolique très forte auprès des minorités, qui se sont senties exclues.
Le but du parti de Michal Cotler-Wunsh est ainsi d’introduire une « identité civique » faite de valeurs communes aux Israéliens de toutes les origines — comme la démocratie ou l’égalité entre citoyens. 
« En insistant sur ce qui unit les Israéliens, on augmente les chances que toutes les écoles aient envie d’afficher le drapeau. »

Israël élit ses députés au scrutin proportionnel. Les 120 sièges à la Knesset, le Parlement israélien, sont répartis en fonction du pourcentage des voix obtenu par chaque parti.
Ce système oblige généralement les partis à former des coalitions pour pouvoir former un gouvernement.
Pour la première fois dans l’histoire récente, les partis d’opposition se sont regroupés en blocs pour affronter le Likoud de Benjamin Nétanyahou.

Les principaux partis et alliances sont les suivants :
Likoud (droite)
Bleu et Blanc(3 partis centristes)
Shas (2 partis ultraorthodoxes)
Judaïsme unifié de la Torah (ultraorthodoxe)
Liste unifiée (4 partis arabes)
Union démocratique (3 partis de gauche)
Yemina (3 partis de droite et d’extrême droite)
Israël Beytenou (droite)
Parti travailliste-Gesher (gauche)

Source Le Devoir
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