Qui était vraiment le colonel François de La Rocque ? Figure politique majeure des années 30, le président du mouvement d'anciens combattants les Croix-de-Feu fait aujourd'hui l'objet de nouvelles recherches. En février a paru un recueil dirigé par Zeev Sternhell, au titre annonciateur L'Histoire refoulée - La Rocque, les Croix-de-Feu, et le fascisme français.......Entretien.........
Didier Leschi, haut fonctionnaire et président de l'Institut européen en sciences des religions, y consacre un chapitre à la figure de La Rocque et à ses Croix-de-Feu, un sujet sur lequel il a commencé à travailler il y a 35 ans avec le spécialiste des crises politiques Michel Dobry.
Selon lui, La Roque, les Croix-de-Feu et son Parti social français font partie d'un « mouvement de revanche contre les acquis des Lumières », préfigurant l'arrivée de Vichy au pouvoir.
Longtemps considérées comme une organisation nostalgique voire, selon les mots de René Rémond, comme un « scoutisme pour adulte », les Croix-de-Feu auraient été sous-estimées par les historiens.
Le Point : Pourquoi un haut fonctionnaire comme vous s'intéresse-t-il au colonel de La Rocque ?
Didier Leschi : Un des effets de l'effondrement de 1940 a été de permettre à tous, responsable politique comme haut fonctionnaire, de jauger ce que signifiaient les valeurs de chacun. C'est le cas pour de La Rocque. Que fait-il aux moments décisifs ?
Jusqu'au bout, il appelle à la « Discipline d'action » derrière Pétain. Il affirmera à la Libération que Pétain aura été un bouclier dans le malheur. Jean Zay, qui a tenté de rejoindre l'Afrique du Nord à bord du Massilia pour résister, est qualifié de « déserteur » qui a perdu son « honneur ».
Les préfets, les hauts fonctionnaires qui refusent de servir l'État français sont traités de « lâches » par de La Rocque et les actions résistantes seront qualifiées de « terroristes » dans son journal. Nous le savons aujourd'hui, l'honneur était bien du côté de Jean Zay, assassiné en 1944 par la Milice !
On peut, certes, douter de son caractère républicain, mais cela en fait-il pour autant un fasciste, comme vous l'affirmez ?
L'antifascisme du mouvement ouvrier et des intellectuels de l'époque reposait sur la crainte que leurs adversaires les détruisent en même temps que la démocratie libérale.
Sur le plan factuel, le ralliement de De La Rocque à Vichy a confirmé cette intuition et permis de comprendre pourquoi Vichy ne saurait se réduire au simple produit inopiné de la défaite et de l'Occupation… On ne peut pas penser Vichy en faisant abstraction du fascisme qui imprègne l'époque.
Certes, de La Rocque, par nationalisme, ou en ne voulant pas paraître comme un simple imitateur, récuse l'étiquette fasciste.
Mais il affirme que les dictatures latines menées par Franco, Salazar et Mussolini sont des exemples en adéquation avec le génie latin du peuple français. Au moment du lancement du Parti social français (PSF) en juillet 1936, la formation politique qui succède aux Croix-de-Feu, il joue de l'ambiguïté vis-à-vis de ses troupes.
Il donne la parole à Drieu la Rochelle, dont chacun sait qu'il se revendique « fasciste », en une de son journal.
L'écrivain y appelle à abattre au « plus vite ce régime de mort » qu'est la démocratie parlementaire et capitaliste. Cette place donnée par de La Rocque à Drieu est aussi une manière de s'adresser aux troupes de Doriot pour souligner leurs convergences.
De même, en octobre 1940, Mussolini reste l'exemple. Il affirme que contre les juifs « la législation fasciste a édicté des mesures dont le principe semble répondre à des préoccupations et un état d'esprit analogue au nôtre ».
Tous les thèmes de l'antisémitisme culturels sont présents chez lui
L'antisémite semble occuper une place importante dans son univers politique…
L'exclusion des juifs de la citoyenneté a été le point pivot du déshonneur, une remise en cause profonde des acquis de la Révolution française. Vis-à-vis des juifs, de La Rocque était en adéquation avec Pétain ou Maurras.
Comme eux, il pense que la première coupable de la « purulence juive » c'est la franc-maçonnerie. Elle en est, dit-il, la « protectrice, l'inspiratrice, la conspiratrice ».
Sous le Front populaire, il accuse Léon Blum d'être entouré « d'une clientèle israélite […] ayant littéralement encombrée les postes rémunérateurs ». En octobre 1940, il parle « d'encombrement israélite à l'intérieur de certaines professions » et appelle les juifs à ne plus vouloir « imposer leur place au soleil par voie de réquisition ».
Il demande que l'on fasse le procès de ces « catégories juives » qui ont commis des crimes contre la « culture chrétienne et la moralité nationale ». La philosophie de la discrimination est toute là. En 1943, il accuse la Grande-Bretagne d'entretenir à Londres autour de De Gaulle qu'il a traité de « dévoyé » « une pléiade franc-maçonne israélite et décadente ».
Sont visés René Cassin, Maurice Schumann ou encore Pierre Dac, cette voix de la France combattante qui mettait en rage les collaborateurs. Certes, dans ce domaine, il y a toujours plus abject. Céline considérait que Maurras écrivait comme un juif, c'est tout dire.
Mais tous les thèmes de l'antisémitisme culturels sont présents chez de La Rocque.
Il ne faudrait pas, dites-vous, céder à une comparaison hâtive entre le climat politique des années 30 et les velléités illibérales de notre époque.
La question historique qui a un impact sur notre présent, c'est de savoir si ce qui s'est passé dans les années 30 est une virtualité persistante dans nos sociétés modernes.
C'est la crainte qu'exprime l'utilisation du terme fasciste dans la bataille politique pour caractériser la diversité des haines de l'autre. L'antifascisme, aussi imprécis soit-il, reste la volonté de réaffirmer sans cesse que rien n'est jamais acquis, la démocratie, la justice sociale et les droits individuels. Si on fait de De La Rocque avec son « travail, famille, patrie » un républicain au cœur des années 30, alors il ne sert à rien de glosser sur ce que l'on appelle aujourd'hui « les démocraties illibérales ».
On finira par nous expliquer qu'elles pourraient nous éviter le pire alors qu'elles pourraient le préparer... Et le baromètre de cela, c'est l'antisémitisme que l'on voit rejaillir ici et là, ou sous cette forme nouvelle qu'est l'islamo-fascisme.
Pour vous, l'héritage politique des Lumières est aujourd'hui menacé ?
Il y a toujours eu une grande diversité des courants anti-Lumière. Le fascisme ne peut se réduire à son AOC italien. Il a eu une grande diversité de formes, partidaires ou étatiques, du Brésil à l'Italie.
De La Rocque est indéniablement plus proche du christo-fascisme à la portugaise que du nazisme.
Mais la volonté de classer, de ranger en catégorie la nocivité des mouvements politiques devient un carcan pour penser les dynamiques politiques d'hier : anti-rationalistes, antidémocratiques, autoritaires, xénophobes et antisémites ; ou celles d'aujourd'hui.
L'apport de Zeev Sternhell a été de montrer que les « contre-Lumières » en France ont été le creuset de « l'idéologie fasciste » de la fin du XIXe siècle, qui a plongé le XXe siècle dans la nuit noire.
À travers la figure de De La Rocque, qui fut à la tête de plus d'un million de partisans via les Croix-de-Feu, notre livre atteste que la France n'a pas été « allergique » ou « imperméable » au fascisme.
Notre conclusion c'est que, comme Doriot, qui était son concurrent, de La Rocque a plus que pris sa part dans ce travail d'imprégnation fasciste qui explique la rapidité avec laquelle Vichy va mettre à bas la république. Qu'une partie de l'historiographie fasse de De La Rocque un « républicain en marge de la république » nous laisse absolument perplexe, et pour le présent n'aide à la vigilance.
Source Le Point
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