Le parti terroriste chiite libanais Hezbollah pourrait être amené à changer son discours à la faveur de la décision américaine concernant le plateau. Alors qu’il faisait jusqu’ici profil bas concernant sa présence dans la région, il semble aujourd’hui vouloir au contraire bomber le torse.......Decryptage......
Pas un mot. Pas même un démenti. Comme à chaque fois lorsqu’il s’agit d’opérations militaires, le Hezbollah, contacté par L’Orient-Le Jour, n’a pas souhaité commenter les informations israéliennes concernant son implantation sur le Golan.
L’État hébreu a mené le 13 mars dernier une opération de communication censée révéler « une tentative de l’axe chiite d’implanter une unité secrète qui doit être dotée de capacités plus grandes que par le passé, afin d’opérer contre Israël à partir de la partie syrienne du plateau du Golan ».
Selon des responsables israéliens cités par le quotidien Haaretz et ayant souhaité garder l’anonymat, « le Hezbollah a recruté des dizaines, voire des centaines d’hommes » pour cette opération dont le président syrien Bachar el-Assad « n’aurait pas été tenu informé ».
Le Hezbollah est intervenu militairement en Syrie à partir de 2012, mais a attendu la bataille de Qousseir en 2013 pour admettre officiellement sa présence.
S’il a successivement justifié son intervention par une volonté de protéger le mausolée de Zeinab, de sécuriser la frontière libanaise et de combattre les « takfiristes », le parti chiite avait avant tout un intérêt stratégique à s’impliquer dans la guerre syrienne : il s’agissait d’empêcher la chute du régime Assad, chaînon indispensable de l’axe de la résistance, tant pour des questions opérationnelles que politiques.
Même s’il a perdu de nombreux hommes sur le front (près de 2000 combattants selon les estimations) et une grande partie de son aura dans le monde arabe, le Hezbollah s’est renforcé à la faveur de la guerre syrienne, notamment en participant aux combats aux côtés des Russes et en encadrant des miliciens chiites venus du Pakistan, d’Irak ou encore d’Afghanistan.
Le parti chiite est ainsi devenu un acteur régional, opérant sur plusieurs territoires sans pour autant remettre en question son identité hybride.
Sa présence en Syrie lui permet à terme de constituer un second front, outre le Liban-Sud, à partir duquel il serait en mesure de mener des opérations contre l’État hébreu.
C’est tout l’enjeu de la guerre psychologique qui se joue actuellement entre lui et Israël sur la question du Golan.
« Pour le Hezbollah, s’implanter au Golan est un moyen de créer un “Liban-Sud bis” par lequel il pourra répondre à Israël sans pour autant courir les mêmes risques qu’une attaque venant du Liban ferait peser sur son front intérieur. En investissant en Syrie, le Hezbollah se ménage une plus grande marge de manœuvre », résume Michael Horowitz, spécialiste du Moyen-Orient à LeBeck International, un think tank basé à Bahreïn.
Le Hezbollah n’a jamais quitté la zone
Alors que sa présence dans le Sud syrien faisait l’objet de nombreuses controverses et d’une double pression israélo-russe pour le pousser à quitter la région, le Hezbollah a reçu récemment un beau cadeau de la part de Donald Trump, qui vient conforter son discours idéologique et justifier sa présence dans une région redevenue stratégique.
Le président américain a reconnu officiellement, le 25 mars dernier, la souveraineté israélienne sur la partie du Golan occupée par l’État hébreu depuis 1967 et annexée en 1981.
Donald Trump a justifié sa décision par des questions notamment liées à la sécurité d’Israël, dans une allusion à peine voilée à la présence de l’Iran et du Hezbollah dans la région.
Cette décision permet au parti chiite de donner une vraie légitimité à sa rhétorique sur sa résistance contre l’impérialisme américano-sioniste et d’espérer rallier encore plus de locaux à sa cause.
Le Golan est de nouveau sous le feu des projecteurs, alors que le territoire était perçu comme un front stable depuis 1974 et les négociations syro-américaines. La guerre syrienne en a fait un terrain stratégique où de multiples acteurs s’affrontent.
Le Hezbollah est présent dans la région depuis 2013. Le parti chiite considère que les groupes « takfiristes » – vocabulaire employé pour désigner les jihadistes sunnites – sont des instruments au service de l’État hébreu dont l’objectif est de faire de la Syrie, considérée comme le dernier rempart arabe au projet sioniste, un territoire morcelé.
« À ce moment-là, quelques hommes du Hezbollah se sont impliqués dans le Sud syrien pour aider les druzes à combattre les groupes takfiristes », affirme à L’OLJ Fayçal Abdel Sater, analyse politique proche du parti chiite.
« L’objectif était avant tout défensif, et le Hezbollah apportait sa logistique et sa maîtrise des combats, encadré par Samir Kantar », poursuit-il. Samir Kantar gère ensuite les opérations depuis Damas, preuve que le projet a pris de l’ampleur.
« Il y a eu une réflexion à ce moment sur la possibilité de créer une vraie résistance dans le Sud syrien, mais ce n’est pas allé plus loin », ajoute Fayçal Abdel Sater.
Samir Kantar est tué par une frappe israélienne en décembre 2015. En janvier de la même année, une autre frappe israélienne avait provoqué la mort de Jihad Moghnieh, fils de l’ancien chef de la branche militaire du parti, Imad Moghnieh, qui aurait été lui aussi chargé de développer les activités du parti dans le Sud syrien.
Un premier tournant intervient lorsque le régime de Bachar el-Assad reprend le contrôle du sud du pays et de la frontière avec la Jordanie en août 2018. Les Israéliens avaient auparavant fourni une aide logistique aux rebelles syriens dans le Sud pour endiguer la présence iranienne.
Des négociations diplomatiques ont lieu entre la Russie, les États-Unis et Israël concernant la question de la présence des Iraniens et de leurs obligés. Un accord aurait été trouvé qui impliquerait le départ des forces chiites de cette zone.
Une zone de 50, 80 voire 100 km depuis la frontière, selon les différentes sources. Les chiffres semblent d’autant plus farfelus que tout le monde s’accorde à dire que le Hezbollah n’a jamais quitté la zone.
« Les combattants du Hezbollah ont enfilé l’uniforme des soldats syriens pour passer inaperçus », avance Hanine Ghaddar, qui travaille actuellement au Washington Institute for Near East Policy.
« On sait qu’il y a une présence du Hezbollah, mais ils se font extrêmement discrets et ils utilisent l’armée syrienne comme paravent », confirme un activiste de l’opposition basé à Deraa.
Des divergences importantes
En 2017 et 2018, Israël a intensifié ses opérations contre les cibles iraniennes. Des milliers de frappes auraient été effectuées, selon l’ancien chef d’état-major israélien Gadi Eizenkot, alors que l’Iran aurait déployé 3 000 hommes en Syrie et que le Hezbollah aurait engagé 8 000 de ses combattants dans la bataille, selon l’État hébreu.
La Russie, l’autre parrain du régime syrien, qui a déployé un système de missiles antiaériens en Syrie, a laissé les Israéliens intervenir, ce qui n’a pas manqué de refroidir ses relations avec son partenaire iranien.
Benjamin Netanyahu et Vladimir Poutine se sont rencontrés à douze reprises depuis l’intervention avec, à chaque fois, la question de la présence iranienne en Syrie comme principal sujet de discussion.
Après une brouille suite à l’incident de septembre dernier dans lequel la DCA syrienne avait abattu par erreur un avion de reconnaissance russe avec 15 militaires à son bord après une attaque israélienne dans le nord-ouest de la Syrie, les relations sont à nouveau au beau fixe entre Moscou et Tel-Aviv.
En témoigne le cadeau offert jeudi par le président russe au Premier ministre israélien : la Russie a récupéré, en Syrie, la dépouille mortelle de Zachary Baumel, un soldat israélien tué au Liban en 1982, et l’a remise à Israël.
Une décision qui est d’autant plus susceptible de provoquer l’ire du Hezbollah et de l’Iran que Moscou affirme avoir coopéré avec Damas pour son opération – ce que le régime a démenti –, comme pour mieux distinguer celui-ci de l’axe de la résistance à un moment de vives tensions avec Israël.
« Quand Poutine reçoit Netanyahu quelques jours après la décision américaine sur le Golan, cela montre qu’il ne défend pas vraiment les intérêts de Damas », analyse Fayçal Abdel Sater, qui confirme que cette opération a mis les gens du Hezbollah « hors d’eux ».
« Il y a des divergences importantes entre la Russie et l’Iran, mais pas de face-à-face pour l’instant », poursuit-il. Israël compte sur la Russie pour l’aider à pousser les Iraniens à quitter la Syrie.
« En publiant ses informations sur le Golan avant une rencontre importante avec le président russe, Israël espère encourager la Russie à tenir ses engagements, mais aussi envoie le message que dans le cas contraire, il lui faudra agir unilatéralement en poursuivant ses frappes », décrypte Michael Horowitz.
Moscou se place pour l’instant dans un rôle d’arbitre entre les deux ennemis, en permettant à Israël de frapper à condition que cela ne déstabilise pas le régime syrien, ce qui rend certaines opérations complexes, compte tenu de l’imbrication entre le régime et les Iraniens.
« Les Russes sont bien conscients qu’ils ne peuvent pas bouter les Iraniens hors de Syrie. La relation entre la Syrie, le Hezbollah et l’Iran est stratégique, beaucoup plus forte que celle qu’entretiennent Moscou et Damas », dit Fayçal Abdel Sater.
« Israël peut espérer ralentir ou augmenter le coût de la présence iranienne en Syrie, mais sans l’aide d’une grande puissance, il est peu probable que cela suffise vraiment à la démanteler.
Et je crois qu’Israël se rend bien compte que la Russie n’est pas capable de faire complètement disparaître la présence iranienne », note Michael Horowitz. « Le Hezbollah décidera seul du moment où il voudra quitter la Syrie », avait affirmé en mars 2017 le numéro deux du parti, Naïm Kassem.
« Il y a des druzes plus Hezbollah que le Hezbollah »
Le Hezbollah pourrait être amené à changer son discours à la faveur de la décision américaine concernant le Golan.
Alors que le parti faisait jusqu’ici profil bas concernant sa présence dans la région, jouant quelque part à cache-cache avec les Israéliens, il semble aujourd’hui vouloir au contraire bomber le torse.
« La question de savoir si le Hezbollah est présent au Golan ne se pose pas puisque le parti chiite n’a jamais quitté cette région », confirme Fayçal Abdel Sater.
« Le Hezbollah est là et il va rester. Le parti contrôle la région, notamment au niveau sécuritaire et en matière de renseignements », confie une source proche du Hezbollah ayant souhaité garder l’anonymat.
« Il y a des druzes dans le Sud syrien qui sont plus Hezbollah que le Hezbollah », ajoute-t-elle, précisant que « leur nombre a vocation à grandir ».
Selon les Israéliens, c’est Ali Moussa Abbas Dakdouk, alias « Abou Hussein Sajed », qui dirigerait l’opération, baptisée « Dossier Golan ».
Dakdouk s’est distingué par ses missions en Irak, où il aurait contribué à la formation des milices chiites affiliées à Téhéran.
En faisant du Golan un nouveau territoire de la résistance contre Israël, le Hezbollah met en danger le statu quo entre le régime Assad et l’État hébreu, alors qu’aucune confrontation n’a eu lieu entre les deux parties pendant des décennies.
La Russie ne veut clairement pas que le Sud syrien devienne un front irano-israélien, au risque de compromettre ses projets de stabilisation et de réhabilitation du régime.
Ce dernier n’a a priori pas intérêt non plus à relancer les hostilités avec Israël, alors qu’il est profondément affaibli par huit ans de guerre. Mais Bachar el-Assad sait que son maintien au pouvoir dépend de sa capacité à entretenir la rivalité entre ses deux parrains et paraît peu susceptible de se démarquer des Iraniens sur un sujet qui a constitué le cœur de sa propagande en matière de politique étrangère.
« Les Iraniens, le Hezbollah et le régime sont cent pour cent sur la même ligne sur ce sujet », estime Fayçal Abdel Sater, comme pour mieux souligner que c’est la Russie qui est isolée sur ce dossier.
Le Hezbollah pourrait être tenté de mener prochainement des opérations à parti du sud du Golan, non seulement pour répondre aux frappes israéliennes en Syrie, mais pour incarner symboliquement la résistance à la décision américaine de reconnaître la souveraineté israélienne sur le plateau.
« Il peut désormais se passer quelque chose, mais probablement pas avant les élections israéliennes, pour ne pas faire le jeu de Benjamin Netanyahu », conclut la source anonyme précitée.
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