Récemment, à l’occasion de la mort de Danielle Darrieux, parmi le concert des louanges unanimes (et tellement méritées), il n’a pas manqué de se glisser, chez certains commentateurs, la mention d’une petite note de soupçon, d’un petit bémol, d’une soi-disant zone d’ombre ayant entachée le parcours exemplaire de l’immense actrice.......Détails........
C’est que, en effet, en mars 1942, Danielle Darrieux fit partie d’un convoi de gens de cinéma français envoyés séjourner à Berlin, ce qui fut considéré comme un symbole de la collaboration des artistes hexagonaux avec l’Occupant. La vérité est évidemment tout autre, ce que démontre Christine Leteux dans le passionnant ouvrage qu’elle vient de faire paraître sur le cinéma français durant les années de guerre.
Les acteurs et gens de cinéma présents dans ce fameux train de Berlin n’étaient, nous explique-t-elle, « pas nécessairement des traîtres à leur patrie, mais probablement plus des jouets entre les mains de l’Occupant » (page 133). Pour ce qui concerne Danielle Darrieux, elle était, de plus, fiancé à un diplomate de la République Dominicaine emprisonné en Allemagne et qu’elle espérait revoir par le biais de ce voyage (ce qui fut d’ailleurs le cas).
Christine Leteux ayant eu accès à beaucoup de documents et les ayant minutieusement compulsés, elle peut ainsi, dans son remarquable ouvrage, lever une bonne partie du voile qui recouvrait cette période trouble et sombre de l’histoire et démontrer, autant que faire se peut, qu’il convient de se garder de tout jugement à l’emporte-pièce.
Elle raconte avec précision dans quelles conditions furent produits les films de la « Continental », la firme de cinéma voulue et contrôlée par les Allemands et ayant pour dirigeant l’un d’eux, Alfred Greven, un homme complexe à la « personnalité bien trempée » (page 38).
Sous sa gouverne furent tournés un certain nombre de navets, mais aussi de bons films, voire d’excellents, le meilleur de tous étant probablement « Le Corbeau » (1943) d’Henri-Georges Clouzot, un film considéré aujourd’hui comme un chef d’œuvre mais qui fut, à sa sortie, mal perçu aussi bien par l’Occupant et ses collaborateurs que par la Résistance.
Il est passionnant de découvrir par le menu, sous la plume avisée de Christine Leteux, les destinées de tous ceux qui ont eu à traverser cette période dans le milieu du cinéma.
Certains firent preuve de courage et d’obstination, comme Pagnol qui refusa de travailler avec Greven (page 183) ou Henri Decoin qui persista à travailler avec un scénariste juif (page 61) à l’heure même où le sombre critique et écrivain Lucien Rebatet appelait à « désenjuiver » le cinéma français (page 61) ! D’autres se comportèrent avec bassesse et lâcheté, comme le cinéaste Léo Joannon coupable de crapulerie envers Raymond Bernard, un réalisateur pourtant réputé pour sa gentillesse et qui ne manqua pas de bravoure puisqu’il était juif.
Beaucoup s’arrangèrent comme ils purent, sans trop se compromettre tout en continuant à travailler.
La destinée la plus touchante, la plus émouvante, fut celle que connut l’un des meilleurs acteurs français (sinon le meilleur) des années d’avant-guerre, Harry Baur.
Quiconque l’a vu jouer le rôle de Jean Valjean dans l’adaptation des « Misérables » que fit Raymond Bernard en 1933 ne l’oubliera jamais !
Or cet immense acteur connut une fin atroce le 8 avril 1943, des suites des tortures que lui firent subir ses bourreaux allemands.
Ayant déplu aux autorités en place et soupçonné d’être juif, il fut dénoncé, arrêté et battu impitoyablement par la Gestapo au point qu’après sa libération, alors qu’il avait été prouvé qu’il n’était pas juif, affaibli et amaigri, il mourut des suites des sévices endurés. Ainsi s’éteignit le meilleur interprète de Jean Valjean.
Cette histoire terrible, Christine Leteux la raconte avec précision, comme toutes les autres histoires et destinées qu’elle a pu glaner pour ce passionnant ouvrage, un livre dont Bertrand Tavernier affirme dans sa préface qu’il l’attendait depuis des années !
Source Critiques Libres
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