mardi 23 juin 2015

Notre histoire est... dans la Gueniza !


La multiplication des publications de Torah, avec en particulier ces brochures distribuées chaque Chabbat dans les synagogues, a remis sur le devant de la scène à la fois le rôle des Guenizot… et leur paradoxe. D’un côté, ces containers disposés çà et là dans les grandes villes israéliennes ne devraient être qu'une étape avant que les livres et pages de Torah qu'ils renferment ne soient enterrés ou éventuellement recyclés...


De l’autre, grâce à des Guenizot aussi célèbres que celle du Caire, le peuple juif dispose aujourd'hui d'une source extraordinaire d'informations sur sa propre histoire. Hamodia vous propose cette semaine un premier volet, introductif, aux étonnants secrets de la Gueniza du Caire.
  Chaque semaine, des milliers de « newsletters du Chabbat » sont publiées à travers le monde juif. Miracle de la technologie : il suffit d’une grande feuille A4 pliée en deux, de quelques paragraphes sur la Paracha de la semaine, de quelques encarts publicitaires, d'un bon réseau de distribution et le tour est joué !
La lecture finie, ces pages se retrouvent souvent, en Israël, dans les versions modernes d'une Gueniza qu'il s'agisse d'une grande « poubelle » disposée dans certaines synagogues ou de containers que l'on trouve en général dans les quartiers orthodoxes des grandes villes. Dans les deux cas, ces livres et « feuilles de Chabbat » y reposeront avant d'être enfouis sous terre, conformément à la tradition.
En effet, la Hala’ha interdit de jeter tout document sur lequel le nom de D.ieu est inscrit. Un support usagé sur lequel un des huit noms de Hachem a été noté doit être enterré dans un cimetière juif, avec déférence et respect. Au début, seuls de rares manuscrits abîmés et illisibles étaient enterrés. Mais avec l’invention de l’imprimerie et son essor, de plus en plus de livres et brochures ont rempli les Guenizot.
Et par extrapolation, de nombreux décisionnaires en sont venus à décider que toute parole de Torah devait être traitée de manière identique. Le peuple juif a même déposé dans les Guenizot, par respect pour sa tradition ancestrale, tout papier portant des lettres de l'alphabet hébraïque. On n'ose imaginer la masse de papier qui tomberait sous le coup de cette mesure, si de nos jours tous les emballages portant des inscriptions en hébreu devaient être enterrés…
À notre époque, la pratique des Guenizot devient de plus en plus difficile. Tout d’abord, celles-ci sont souvent pleines et les vider coûte cher aux communautés. Un second aspect est d’ordre écologique : dans la société moderne, la majorité du papier est recyclé et traité.
Dans le cas des feuilles de Gueniza, c’est impossible. Des masses considérables de papier sont donc irrémédiablement « perdues » et affectent l’environnement. Enfin, dans les cimetières, la place commence à manquer pour enterrer ces « déchets » d’un caractère particulier.
À Jérusalem, le rav Chlomo Kligsberg, s’intéresse de près à cette problématique. D’après lui, une seule sommité rabbinique a écrit un responsa à ce sujet : le rav Moché Feinstein, considéré comme l'un des plus grands décisionnaires du judaïsme de Diaspora au XXe siècle. En réponse à la question d'un rabbin israélien qui lui avait demandé ce qu'il devait faire de certaines vieilles Guémarot abimées qu'il avait conservées, le rav Feinstein lui répondit d'abord qu'il devait se référer aux décisionnaires d’Israël avant d’agir. Et ensuite il avait estimé que pour lui, une Guémara hors d’usage perdait sa kédoucha et pouvait donc être jetée.
Pourquoi le rav Feinstein a-t-il précisé qu’il fallait d’abord demander leur avis aux décisionnaires d’Israël ? Y aurait-il des différences entre la Diaspora et Israël sur une question pareille ?
Le rav Ariel, grand rabbin de Ramat Gan avance deux raisons valables : la politesse et le respect que le rav Feinstein a toujours manifestés, dans ses correspondances, à l’égard des rabbins d’Israël ; et le fait qu’en Diaspora, les employés des déchèteries ne sont pas juifs et ne sont donc pas concernés par l’interdiction de détruire des feuillets de Divrei Torah. À l’inverse, en Israël, la majorité des préposés sont juifs, ce qui poserait plus de problèmes. Pour le grand rabbin Lior de Kiriat Arba, les « feuilles de Chabbat » peuvent être aujourd'hui recyclées à condition que leurs rédacteurs prennent soin de ne pas écrire l'un des huit noms de D.ieu en toutes lettres.
Une des Guenizot les plus connues de l’histoire juive est celle du Caire. En 1896, on a découvert dans le grenier d’une vieille synagogue des milliers de parchemins écrits en hébreu : il s'agissait de documents que l'on avait oublié d’ensevelir. Les livres et feuilles que contenait cette Gueniza n’étaient pas des moindres !
Plus de 250 000 manuscrits millénaires portant sur des sujets diverses et variés, et écrits par des sages, savants ou commerçants. Le Caire qui eut une communauté juive florissante de la destruction du 1er Temple jusqu'à la création de l'État d'Israël, avait accueilli des personnalités telles que rav Saadia Gaon d’Irak ou le Rambam, Maïmonide. La Gueniza du Caire possède plusieurs documents manuscrits de ces sommités. Sa découverte a totalement pris de cours les rabbanim et chercheurs de l'époque. Et elle a permis d'éclairer d'un jour nouveau la vie et l'héritage des communautés juives d'Égypte et même du bassin méditerranéen.
Alors que les rabbins s'interrogent sur le recyclage des « brochures du Chabbat », Hamodia vous propose de revenir parfois un millénaire en arrière dans notre histoire pour goûter aux secrets de ces documents presque miraculeusement préservés de la Gueniza de la Synagogue Ben Ezra au Caire. C'est ce que nous ferons en plusieurs étapes, au cours des prochaines semaines.


Par Eliana Gurfinkel

Source Chiourim