dimanche 22 février 2015

Les vestiges du judaïsme rural alsacien, un patrimoine vulnérable

 
Des cimetières isolés et des synagogues discrètes pour la plupart désaffectées : ce sont les derniers vestiges du judaïsme rural alsacien, un patrimoine original mais fragile, que des bonnes volontés tentent de protéger de l'oubli...
 

Les dégradations de quelque 250 tombes du cimetière juif de Sarre-Union (Bas-Rhin) ont remis au jour l'histoire de cette multitude de communautés juives jadis installées dans les campagnes d'Alsace et de Lorraine, et aujourd'hui en voie d'extinction.
A une soixantaine de kilomètres de Sarre-Union, Roger Cahn, 84 ans, est l'un des derniers juifs du petit village de Westhoffen, qui en a compté plus de 200 au milieu du XIXe siècle, avant que ne commence l'inexorable exode rural.
"Il y a encore ma soeur, qui a 86 ans, et une autre dame, je fais donc partie des plus jeunes", sourit le vieil homme en manipulant les lourdes clés en fer de la synagogue du village. 

- Villes interdites - 

Bâtie dans les années 1860, elle n'accueille plus d'office depuis 1940, se souvient-il, évoquant sans pathos les années noires pendant lesquelles il a dû fuir les nazis avec sa famille avant de revenir en 1945 sur la terre de ses aïeux.
Les juifs d'Alsace ont représenté plus de la moitié du judaïsme français au XVIIIe siècle, mais ils ont dû attendre 1791 pour avoir le droit de revenir dans les villes qui leur avaient été interdites au XIVe siècle.

D'où la présence de cimetières, de bains rituels et de synagogues dans les campagnes, qui ont survécu à des communautés aujourd'hui quasiment disparues.
"Quand on me le demande, je récupère les clés de la synagogue à la mairie, qui est devenue propriétaire, et je fais volontiers la visite", explique Roger Cahn en montrant l'intérieur dépouillé de la bâtisse en grès rose, où les voix résonnent dans le vide.
La majorité des quelque 90 synagogues répertoriées en Alsace sont aujourd'hui désaffectées.
"Lorsqu'un bâtiment est très ancien et qu'il n'y a plus de communauté juive, nous sommes obligés de nous en séparer, souvent pour une somme assez modique", explique Jacques Banner, président du consistoire israélite du Haut-Rhin.
Ces synagogues sont alors transformées en foyers culturels, en dépôts, voire en salle de sport comme à Mommenheim (Bas-Rhin), ou en habitations privées.
La bonne soixantaine de cimetières juifs de la région restent quant à eux la propriété immuable des consistoires. Souvent situés à l'écart des bourgs, ils ont régulièrement été les cibles faciles de profanateurs.
"Mais l'essentiel des dégradations, ce sont les intempéries et la pollution", souligne Jean-Camille Bloch, président de la société d'histoire des Israélites d'Alsace et de Lorraine.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, des stèles ont été utilisées pour construire des défenses anti-chars, et après guerre, "en toute discrétion", certaines communes les ont parfois utilisées "comme des carrières", relève-t-il.

- 'Prise de conscience' - 


"Votre participation nous est précieuse": l'inscription figure sur un panneau à l'entrée du cimetière juif de Rosenwiller, le plus ancien (il date du XIVe siècle) et l'un des plus grands d'Alsace, avec ses milliers de stèles en pierre dressées vers le ciel. L'endroit situé sur un flanc de colline en bordure d'une forêt est bien entretenu, ce qui n'est pas toujours le cas de ces cimetières souvent envahis par la végétation.
"Il y a deux ans, j'ai pu faire redresser 150 tombes par un artisan", explique Jean-Paul Meyer, qui s'occupe de ce lieu où est enterrée toute sa famille, grâce aux cotisations des adhérents d'une association spécialement créée, et à des legs occasionnels.
Ce sont souvent des associations, avec le soutien ponctuel de collectivités ou d'organismes officiels, qui sont à l'origine d'opérations de sauvetage pour préserver ce patrimoine menacé par les assauts du temps.
"Cela fait une dizaine d'années qu'il y a une véritable prise de conscience, une mobilisation pour répertorier et sauver ce patrimoine qui est souvent la seule trace qui reste des communautés juives", estime Jean-Camille Bloch.
Et ceux qui se mobilisent ne sont pas forcément de confession juive, relève-t-il, parce que "c'est un patrimoine juif, mais c'est aussi et surtout un patrimoine alsacien".

Source Var Matin