"L’Obs" s’est procuré des documents secrets montrant qu’Avi Pazner, ancien ambassadeur d’Israël en France, a été au service du groupe français de 2010 à 2013, au moment où Areva cherchait à construire deux réacteurs en Jordanie. Consultant ? Lobbyiste ? Son rôle est obscur...Analyse...
C’est une courte lettre, signée en septembre 2010 entre le groupe nucléaire français, Areva, et Avi Pazner, porte-parole de Benjamin Netanyahu. Une missive, où chaque mot a son importance, qui pourrait bien secouer la scène politique israélienne, à quelques semaines d’élections législatives décisives.
Ce document secret, tombé par hasard entre les mains des policiers de la Brigade financière qui enquêtent sur l’affaire Uramin, et dont "l’Obs" s’est procuré une copie, jette une lumière inédite sur la manière dont Areva a mené ses affaires à l’étranger, dans un étrange mélange de politique-business.
Dans cette lettre, Avi Pazner s’engage à faire tout son possible pour convaincre le gouvernement israélien de soutenir le projet d’Areva de centrale nucléaire en Jordanie.
En cas de succès, le groupe français promet de verser 1 million d’euros à Avi Pazner. Une somme qui serait même doublée si un mystérieux "investisseur", dont le nom n’est pas cité, apportait son concours au projet tricolore. Ces montants, qui surprennent par leur importance, sont-ils conformes à une action de lobbying classique ? C’est une des questions que se pose la Brigade financière.
585.000 euros
L’appel d’offres lancé par le gouvernement jordanien, pour deux réacteurs nucléaires, a finalement été perdu par le fabricant français, en octobre 2013, au profit des russes de Rosatom.
Mais Avi Pazner, lui, n’a pas tout perdu. Entre 2010 et 2013, il a aussi été employé comme consultant par Areva.
En marge de la fameuse lettre, un contrat de seize pages a en effet été conclu entre la direction française et Avi Pazner International Consulting Ltd, une société enregistrée au greffe israélien le 21 juillet 2010 sous le n° 514475789 et co-détenue par Avi Pazner et son épouse, Marta.
Aux termes de ce contrat, l’ancien haut fonctionnaire, qui a travaillé avec les plus grandes figures politiques de son pays, comme il le raconte dans sa biographie "Les secrets d’un diplomate" parue en 2005, de Golda Meier à Ariel Sharon, en passant par Shimon Perez et Yitzhak Shamir, s’engage à mettre tout son réseau de "contacts clés" au service d’Areva pour développer ses affaires en Israël et dans la région.
Il est aussi sensé organiser des réunions, aider le groupe tricolore dans ses démarches administratives et remettre tous les trois mois un "rapport confidentiel" contenant tous les "documents pertinents" pour Areva.
Pour tout ce travail fourni, Avi Pazner a touché, entre le 1er septembre 2010 et le 31 août 2013, 585.000 euros.
Auxquels il faut ajouter la prise en charge de tous ses frais de déplacements, en "hôtels quatre étoiles" et "business class" - c’est clairement stipulé dans le contrat. Il n’y a là rien d’interdit par la loi israélienne. Il est même fréquent que d’anciens ambassadeurs se recyclent auprès de groupes privés. "Si tous les revenus sont déclarés au fisc, cela ne pose pas de problème", assure Gissin Ra’an, ancien porte-parole d’Ariel Sharon.
Jeu trouble
Le problème, et il est de taille, c’est qu’Areva n’a strictement aucune activité en Israël. Il n’en avait pas en 2010 et ne risque pas d’en avoir avant longtemps, le pays étant opposé à toute construction de centrale électrique à l’atome. Un projet de développement dans l’énergie solaire avait été envisagé par Areva voilà quelques années puis abandonné.
D’où cette question : pourquoi avoir dépensé de telles sommes dans un projet apparemment sans avenir ? Contacté par nos soins, Avi Pazner nous a répondu qu’il n’avait "aucun commentaire à faire". Areva, de son côté, s’est retranché derrière "le secret des affaires".
Le gouvernement israélien a toujours vu d’un mauvais œil la construction de centrales nucléaires chez ses voisins arabes.
Le projet jordanien continue, aujourd’hui encore, de soulever de nombreuses interrogations, tant à cause de la situation du pays en zone sismique que de ses frontières partagées avec la Syrie et l’Iraq.
Benjamin Netanyahou savait-il son porte-parole roulait pour Areva ? Le royaume de Jordanie avait-il connaissance qu’un proche d’Israël avait potentiellement accès à tous les détails de son appel d’offres ? Quelles informations confidentielles Avi Pazner a-t-il pu transmettre à Areva ? Dans tous les cas de figures, l’ancien ambassadeur a joué un jeu bien trouble.
Pour voir la lettre envoyee par AREVA, cliquez ICI
Source Le nouvel Obs