Ibrahim Hamed, l’ancien chef de la branche militaire du Hamas en Cisjordanie et responsable du meurtre d’une dizaine d’Israéliens, était considéré comme un « fantôme » pendant des années, c’était presqu’une légende. Le Shin Bet et l’armée israélienne n’arrivairnt pas à l’attraper et il leur échappait encore et encore. C’est seulement après huit ans de traque acharnée qu’il a été capturé en 2006 dans une maison du quartier d’Al-Balou à Ramallah...
Toutes les personnes impliquées dans la recherche du « cheikh » – âgé aujourd’hui de 49 ans, et qui condamné à l’équivalent de 54 peines d’emprisonnement à perpétuité – expliquent que ce qui lui a permis d’échapper à la capture aussi longtemps est son refus d’utiliser un téléphone portable.
L’establishment de la sécurité d’Israël n’a réussi à traquer ses appels que deux fois durant toutes ces années, et à chaque fois ces appels avaient été passés d’une cabine téléphonique.
Se pourrait-il que ce soit le secret de la cellule responsable de l’enlèvement des trois adolescents israéliens ? Se peut-il que ce soit le fait qu’ils aient évité de communiquer avec des téléphones portables et des e-mails avant le kidnapping qui a empêché le Shin Bet de contrecarrer leur plan à temps ?
Peut-être que la question doit se poser différemment. Est-il possible que le Shin Bet n’ait pas réussi à découvrir la cellule parce qu’il compte plus sur la technologie avancée (SIGINT) mais pas assez sur les sources humaines (HUMINT) ?
Nous avons été gâtés. Pendant plusieurs années, l’armée et le Shin Bet nous ont habitués à avoir presque 100 % de réussite.
Presque 100 % à cause des attaques de « loups solitaires » – des terroristes qui ne s’appuient pas sur les réseaux connus et qui opèrent tout seuls. Un mode opératoire qui les rend presque impossibles à attraper à temps.
La conviction du public – renforcée par les discours des politiciens – est que c’est grâce à l’accès quasi-libre de l’armée et du Shin Bet en Cisjordanie qu’ils peuvent déjouer n’importe quel plan grâce aux renseignements auxquels ils ont accès et maintenir le calme dans ces territoires.
Mais cette fois, ce n’est pas le cas. Au-delà des éloges, nous devons poser des questions difficiles. Au final, comment est-ce possible qu’un nombre non négligeable de membres du Hamas aient réussi à créer une infrastructure terroriste au nez et à la barbe du Shin Bet ?
Nous ne parlons pas uniquement des deux hommes dont les noms ont été rendus publics, Marouane Kawasmeh et Amer Abou Eisheh, qui n’étaient pas inconnus au service de renseignement israélien. Tous les deux avaient fait de la prison dans les prisons israéliennes et Kawasmeh avait aussi été emprisonné dans une prison de l’Autorité palestinienne.
Ils ont été interrogés plusieurs fois par les services de renseignement de l’AP l’année dernière. Ils viennent de familles qui sont de fervents partisans du Hamas.
Le père d’Amer, Omar, est un membre connu du Hamas, tout comme son frère, Zeid, qui a été tué en 2005 lors d’un échange de tirs avec l’armée. Marouane a étudié dans une académie soutenue par le Hamas, et fait partie d’une famille considérée comme un symbole du Hamas à Hébron.
Pour le dire plus clairement, Kawasmeh et Abou Aysha sont le cœur du Hamas dans le sud de la Cisjordanie et constituent avec d’autres terroristes la colonne vertébrale de sa branche militaire.
Et ils n’ont pas agi seuls. Ils ont clairement eu des complices qui les ont aidés à préparer une cachette (où ils sont sûrement à l’heure à laquelle ces mots sont écrits), pour acheter de la nourriture, trouver une voiture, être transportés d’un endroit à un autre pendant l’enlèvement, et apparemment pour maintenir la communication avec les personnes qui ont financé l’attaque. Quelqu’un les a aidés à transférer les corps aux ruines de Khirbat Arnab, et peut-être même à les enterrer.
En bref, il y a au moins eu entre cinq et dix personnes impliquées, sans prendre en compte le cercle extérieur de voleurs de voitures et de marchands d’armes, qui les ont aidés directement à organiser l’enlèvement. Et ils ont tous réussi à échapper au Shin Bet.
Il y a beaucoup de questions qui doivent être posées à l’homme à la tête du Shin Bet, Yoram Cohen, qui a été vu à plusieurs reprises au cours de ces dernières semaines dans la région de Hébron. (Certaines personnes qui l’ont croisé racontent qu’il portait une casquette de base-ball sur laquelle était écrit « chef du Shin Bet ».)
Pourquoi le père d’Amer, Omar, n’a-t-il été arrêté qu’il y a quelques jours, plus de deux semaines après l’enlèvement ? Est-ce que quelqu’un au Shin Bet pensait vraiment que son fils allait le contacter et qu’ils auraient été en mesure de connaître l’emplacement du ravisseur présumé ?
Et pourquoi a-t-on du attendre mercredi, 20 jours après l’enlèvement, pour que la voiture familiale qui a été détruite soit emmenée pour des tests en laboratoire ? Pourquoi le Shin Bet n’a décidé de révéler l’identité des deux ravisseurs que deux semaines après l’incident ?
Pourquoi, alors que tout le monde à Hébron savait qui ils étaient, l’opinion publique israélienne a-t-elle été maintenue dans l’ignorance ? Est-ce que le Shin Bet savait que le terrain où les corps ont été retrouvés, les ruines de Khirbat Arnab à l’ouest de Halhul, avait été acheté il y a peu de temps par la famille Kawasmeh ?
Cela pourrait être injuste de poser ces questions puisque les agents du Shin Bet, qui ont réussi à nombreuses reprises au cours de ces dernières années à déjouer des attaques similaires, ne peuvent y répondre. Ces personnes consacrent leur vie et se sacrifient pour notre sécurité et notre tranquillité.
Mais cela dit, le travail des médias est de signaler les défaillances et non pas de faire que des éloges. Et dans ce cas, il est difficile de ne pas arriver à la conclusion qu’il s’agit d’une défaillance du Shin Bet, qui les a empêchés de comprendre les intentions de la cellule du Hamas à temps.
Alors, comment Abou Eisheh et Kawasmeh ont-ils réussi à organiser l’enlèvement sans se faire repérer ? Il se pourrait qu’ils aient appris quelque chose d’Ibrahim Hamid et son habitude de rester à l’écart des merveilles de la technologie moderne. La mère d’Abou Eisheh a déclaré au Times of Israel mercredi que son fils avait laissé son téléphone portable à la maison quand il l’a quittée quelques heures avant l’enlèvement. Le Shin Bet a confisqué l’appareil.
J’ai composé le numéro d’Abou Eisheh. « Le numéro que vous avez composé n’est pas disponible », annonce une voix en arabe. « Si vous voulez laisser un message, appuyez sur 1 ».
Au Shin Bet, on souligne qu’en 2013-2014 uniquement, ils ont réussi à déjouer près de 300 attaques graves, dont 64 tentatives d’enlèvement et 17 attentats-suicides. Mais le renseignement n’est pas une science exacte, et toutes les attaques que le Shin Bet n’a pas réussi à contrecarrer sont sérieusement décortiquées et les leçons en sont tirées.
Durant la dernière décennie, le Shin Bet a découvert et déjoué des dizaines d’intrigues potentiellement mortelles du Hamas à Hébron. Ils soulignent également que le renseignement humain (mené par des agents sur le terrain) était – et est toujours – un élément central de l’activité du Shin Bet ainsi que les cyber-capacités du SIGINT. Le SIGINT permet de suivre le rythme des évolutions technologiques des différents ennemis.
Les ruines de Khirbat Arnab
Mercredi matin, peu de temps après que l’armée ait quitté les lieux, je suis arrivé aux ruines de Khirbat Arnab à l’ouest de Halhoul, l’endroit où les trois jeunes Israéliens ont été enterrés. La terre a été achetée récemment par les membres de la famille Kawasmeh.
La route et le trek jusqu’au terrain démontrent que les ravisseurs connaissaient bien le terrain. Les deux étaient des résidents de Hébron, à 15 minutes de route de là, et il n’y avait aucune raison pour qu’ils ne connaissent pas ce lopin de terre.
Si le véhicule dans lequel les adolescents ont été enlevés était la Hyundai 35 retrouvée brûlée près de Doura, dans le sud-ouest de Hébron, alors il va de soi qu’un autre véhicule a été emprunté par les ravisseurs et leurs trois victimes. Le terrain est délimité par une clôture, et la porte est verrouillée. Les tueurs, semblait-il, avaient la clé.
L’enlèvement lui-même, à l’entrée d’Alon Shvut, a eu lieu à environ 22h20 sur la route qui mène vers l’ouest, en direction de la Ligne verte. L’appel à la police a été passé cinq à sept minutes après, presque du même endroit alors que le véhicule se dirigeait dans la direction opposée, ce qui signifie que la Hyundai s’est arrêtée quelques minutes au cours desquelles il est devenu clair pour les adolescents qu’ils avaient été enlevés, puis elle est repartie en direction de là d’où elle venait.
Selon l’enquête, le terrain de Khirbat Arnab est à environ 18 minutes en voiture de l’endroit où l’appel a été passé à la police. De là, les terroristes se sont dirigés vers le sud sur l’autoroute 60. Mais ils ne sont pas allés directement au site.
Selon Amos Harel et Yaniv Kovovich de Haaretz, ils ont conduit jusqu’à la région de Beit Kahil, et là il y a eu une « déconnexion violente » : Ils ont enlevé les batteries des téléphones mobiles de Gil-ad Shaar et Naftali Fraenkel. Il se pourrait que ce soit à ce moment là qu’ils aient changé de voiture, l’une prenant la direction du nord vers les ruines Khirbat Arnab et la Hyundai continuant jusqu’à Doura pour y être détruite – et désorienter les enquêteurs israéliens.
Le téléphone d’Eyal Yifrach a continué à transmettre des signaux jusqu’à 23h50, l’heure à laquelle la voiture a été brûlée – une heure et demie après l’enlèvement.
Qui a conduit la Hyundai jusqu’à Doura ? Est-ce que les deux tueurs ont réussi à transporter et enterrer les trois jeunes gens seuls ? Ce sont des interrogations qui montrent que la cellule avait une aide extérieure.
Les voisins, qui vivent à quelques centaines de mètres de la parcelle, affirment qu’ils n’ont remarqué aucune activité inhabituelle jusqu’à la veille du jour où les corps ont été retrouvés le 30 juin.
Il est raisonnable de supposer que les deux tueurs sont toujours dans la région qui leur est si familière – Hébron, Halhoul, ou peut-être l’un des villages voisins. C’est le seul avantage qu’ils ont : leur connaissance du terrain. S’ils bougaient, ils seraient obligés de se déplacer en terrain inconnu, de compter sur d’autres personnes qui pourraient se révéler être des informateurs.
Au final, ils savent, qu’ils soient à Hébron ou ailleurs, que ce n’est qu’une question de temps avant que les agents du Shin Bet et les soldats des forces spéciales les retrouvent.
Et ce jour-là, ils ne vont probablement pas rire et chanter comme ils l’ont fait dans l’enregistrement, quelques secondes après avoir assassiné de sang froid les adolescents.
Source Times Of Israel