lundi 2 juin 2014

Israël, 2ème puissance aérienne au monde ? Et pour quoi faire ?


L’Armée de l’air de l’État Hébreu (d’ores et déjà première puissance militaire du Levant) serait la 2ème force de frappe aérienne sur la planète ! Et d’où nous vient cette pas si surprenante affirmation ? Mais du chef d’état-major de l’Heyl Ha’Avir (armée de l’air israélienne), le général de division Amir Eshel, pardi. Qu’en penser ?
 

D’entrée, n’y allons pas par quatre chemins : les propos sont tout sauf anecdotiques, et nous indiquent plusieurs choses.
Plus expansifs que les chef de notre grande muette hexagonale, les militaires de haut rang israéliens ne sont pas pour autant des pipelettes. La prise parole du patron, de fait, des frappes à longue distance de Jérusalem, répond donc à un besoin. Et, ad minimo s’inscrit dans un discours et une tension dialectique. Voire plusieurs. Lesquelles ?

Premier visé : le voisin turc. Ankara ayant, finalement, décidé de faire du dossier du Mavi Marmara1 un facteur de tension durable avec Jérusalem, autant pour les stratèges hiérosolymitains mettre quelques point sur les «  i  ». Comptez vos forces et réfléchissez avant d’avant de faire quelque-chose que vous pourriez regretter ! Entre gens du même monde, on se comprend assez vite et les propos du général Eshel devraient être bien intégrés par les décisionnaires d’Ankara. Balle au centre, dirait un chroniqueur sportif.

Second destinataire du message : Téhéran.

Contrairement à beaucoup d’espoirs, la tension n’a pas chuté entre Jérusalem et Téhéran. Bien au contraire !

1° Les discussions sur le nucléaires sont au point mort.

2° Aucune assurance ou motif à baisser sa garde n’a pu être perçu du point de vue hiérosolymitain.

3° À Téhéran, les titulaires des organes de force – Artesh (armée de terre ),Sêpah-é-Pasdaran-é-Enqelâb-é-Eslâmi2, Nirouy-é-Moghavémat Bassidj3, etc. n’ont pas bougé d’un iota dans leur dialectique depuis l’arrivée aux affaires du nouveau président, le Dr. Hassan Feridon Rohani, et restent attachés à la tension qui prévalait de temps de l’administration Ahmadinéjad.

Les propos du général Eshel ne bouleverseront évidemment pas la donne dans les cercles dirigeants iraniens, mais une sorte de piqure de rappel dialectique n’a jamais fait de mal à personne…

Troisième destinataire du message : Washington. À une administration Obama, par ailleurs empêtrée dans plusieurs dossiers et à qui le Chairman of the US Joint Chiefs of Staff (CJCS, chef d’état major interarmes), le général Martin E. Dempsey, vient de conseilleur une élémentaire prudence, le message est simple et clair à la fois : nous sommes assez grands pour gérer aux mieux les dossiers qui nous concernent directement. Dans une cour de récréation, on aurait plutôt dit : « Occupez-vous de vos fesses! », mais bon !

Sinon, que nous a dit urbi et orbi le général Eshel ?

S’exprimant lors de la 10ème Conférence Annuelle pour la Sécurité Nationale, le patron de l’Heyl Ha’AvirVe’Hahalal4 si l’on veut être complet, a fait le point sur la contribution des Forces aériennes & spatiales à la sécurité de l’État d’Israël. Il a, notamment, abordé « leurs capacités d’attaque et de défense lors de guerres ou d’opérations de routine ».

Retour donc sur les compétences de la 1ère puissance aérienne du Levant, et, probablement, 2ème d’Asie, derrière la Zhōngguó Rénmín Jiěfàngjūn Kōngjūn chinoise 5. En termes comptables, dirais-je. Je ne me prononcerai pas, en revanche, sur la capacité des courageux pilotes chinois en cas de combat tournoyant avec les moustachus de l’IAF6…

En tout cas pour Eshel, pas de doute : « En se penchant sur le professionnalisme de l’Armée de l’Air et en discutant avec nos homologues militaires à travers le monde, je peux affirmer que nos capacités nous placent à la deuxième position des puissances aériennes du monde, juste après les États-Unis, en matière d’attaque et de défense ».

Lors qu’il dit cela, Amir Eshel fait référence à l’avancée significative des capacités de l’armée de l’Air israélienne au cours des deux dernières années.

« Nos compétences offensives sont sans précédent et nous permettent de viser des milliers de cibles en une journée. Nous avons doublé nos capacités en deux ans. À la fin de cette année, nous prévoyons une amélioration de 400% de nos possibilités offensives au regard des événements passés. C’est le résultat d’un long processus ».

De manière assez juste, le chef d’état-major de l’Heyl Ha’Avir rappelle qu’« à la fin de 2014, l’Armée de l’Air pourra faire en moins de 24h ce qu’elle a fait en 3 jours pendant la Seconde Guerre du Liban, et en 12 heures ce qu’elle a fait en une semaine pendant l’Opération Pilier de Défense7 ».

Une montée en gamme indéniable. Eshel ne donne pas beaucoup de détails (pourquoi le ferait-il d’ailleurs ?) mais le message à destination de ceux qui, entourant l’État hébreu, auraient des tentation agressives à l’encontre d’Israël, est clair : vous avez pris des forces ? Ne vous bercez pas trop d’illusions : nous aussi !

Mais Eshel souligne également le point faible, non de l’Heyl Ha’Avir en propre mais du pays tout entier. À savoir qu’« Israël ne peut se permettre de longues périodes d’attaques. Nous devons gagner rapidement les guerres. Cela ne peut pas, selon moi, dépasser quelques jours ».

Force et faiblesse d’un État qui, à l’instar de Sparte disposait d’une force de frappe effrayante (ses hoplites, mais qui voyait sa population servile se révolter dès que trop d’entre eux n’étaient plus à portée de vue. Pas d’ilotes8 en Terre Promise, mais une foultitude de start-up et de petites entreprises que le rappel sous les drapeaux des ses cadres et homme du rang9 saigne littéralement à blanc à chaque clash régional !

D’où le choix, quelle que soit l’arme au bout du compte, pour « des attaques précises et rapides » qui « sont les clés de la victoire ». Là, encore on comprendra (et le message s’adresse aussi à l’ami américain) qu’Israël n’a pas l’intention de se laisser fixer trop longtemps sur un théâtre d’opération donné.

On l’a compris pour l’État hébreu mieux vaut une Guerre des 6 Jours (1967) qu’une Guerre des 34 Jours (2006) !

En termes de choc frontal et classique, les voisins d’Israël (y compris ceux qui vous diront le contraire) savent parfaitement de quoi il retourne et, depuis des lustres, ne se donnent même plus la peine de faire décoller quoi que ce soit lorsque des appareils recco frappés du Maguen David viennent leur tirer le portrait d’un peu trop près.

Ce type d’incident vient d’ailleurs encore de se produire au-dessus du Liban, le 25 mai 2014, où l’armée libanaise a signalé dans un communiqué, qu’un « avion de reconnaissance ennemi a violé l’espace aérien libanais à 6h10 du matin du côté de Kfarkela, a survolé Riak, Baalbek et Hermel, avant de faire demi-tour à 8h05 ».

À ma connaissance, la Syrie non plus n’a jamais risqué un de ses précieux MiG-29 lorsque des F-16I Soufa en sont venus à tapisser de GBU10 tel ou tel site militaire ou paramilitaire11.

Hégémonie aérienne classique, dirais-je. Quid de situations asymétriques ?

Écoutons ce qu’en dit le général Eshel :

« Nous avons les capacités militaires », nous dit-il, « de détruire les infrastructures qui soutiennent les activités du Hezbollah d’une telle manière qu’il leur faudra des décennies pour les reconstituer. Nous pouvons porter un coup direct contre l’organisation terroriste et ses soutiens, d’une manière massive ». Mais, parce qu’il y a un mais, « Malheureusement, le Hezbollah a positionné ses stocks d’armes et ses bases militaires au cœur des villes. C’est un défi pour nous car nous ne voulons pas frapper la population civile innocente. Nous l’avons dit plus d’une fois, les maisons civiles qui ne sont pas habitées peuvent être frappées car elles font partie de leur stratégie terroriste ».

Je pense que les Libanais ne seront pas franchement convaincus par les paroles du général Eshel. Propos que je tempèrerai donc ainsi :

1° Les frappes aéroportées, conduites de manière trop systématique, ont eu en 2006 leur lot de victimes civiles. À un point qui a même fait réagir la société civile israélienne.

2° Conduite par le nouveau (à l’époque) chef d’état-major de l’armée israélienne, le général d’aviation Dan Haloutz, la guerre n’a pas été menée de manière optimale par Haloutz que certains de ses détracteurs accusèrent même de boursicotage à l’orée du conflit.

3° Conduite selon un schéma par trop calqué12 sur les stratégies aériennes US de John Boyd, de John A. Warden III (connue sous le nom des Cinq Cercles de Warden13) et Choc & Effroi de Harlan K. Ullman & James P. Wade14, la Guerre des 34 Jours a notamment souffert du fait que la Théorie des Cinq Cercles, dont Warden lui-même a toujours noté les limites, vise expressément à annihiler un ennemi qui est une entité pyramidale classique15. Or, en 2006 au Liban, l’adversaire principal était le Hezbollah, situé à côté et non au sein de l’État libanais. À noter que le secrétaire général adjoint du Hezbollah, Cheikh Na’ïm Qâssem, lorsqu’il théorise ce discours polémologique, parle précisément des Deux parcours : 1° celui de la Résistance, 2° celui de l’État libanais, qui sont parallèles et font face à un ennemi : Israël.

La 2ème partie du propos d’Eshel sur le « défi pour nous » de ne « pas frapper la population civile innocente » est-il, aussi, une manière de répondre aux critiques de 2006 ? Peut-être. Il pourrait également signifier qu’ayant bien cerné les limites des doctrines de guerre d’inspiration US, l’Heyl Ha’Avir a résolument modifié les siennes pour les rendre plus adaptées aux ennemis qu’elle rencontre.

Des pays voisins d’Israël, nombre d’intervenants (étatiques et non étatiques, officiels et non officiels) ont beaucoup extrapolé de cette guerre de 2006.

On leur conseillera de garder es idées claires et la tête froide. En effet :

1° Ils n’ont pas été acteurs de cette guerre. Si lauriers il y a eu, ce ne sont assurément pas les leurs.

2° Israël a beaucoup appris de ce que furent ses erreurs. Et, je pense les Israélien moins bluffeurs que d’autres quant à leurs capacités réelles16, et, donc, lorsque Jérusalem annonce avoir massivement accru ses capacités, ce ne sont certainement pas des paroles e, l’air.

3° La guerre conduite par le Hezbollah libanais était de type asymétrique. Qui, à part lui comme l’apprennent en ce moment ses adversaires takfiri en Syrie, a cette expertise au Levant ?

4° Une guerre est rarement le décalque de la précédente.

5° Le Hezbollah n’a, semble-t-il pas, vocation à faire les guerres des autres. Sauf s’il y a intérêt, comme en Syrie. Les Palestiniens de Gaza ont vainement attendu l’ouverture d’un second front lors de leur conformation avec Israël en 2008-2009.

Donc, a priori, que tous ceux qui ont des fourmis dans les jambes et des humeurs guerrières méditent plutôt cette pensée de Platon : « Seuls les morts ont vu la fin de la guerre ».

Notes
 

1Pourtant, pas très clair quant au rôle de la Turquie elle- même. Mais c’est une autre histoire.
 

2Corps des Gardiens de la révolution islamique.
 

3Force de mobilisation de la Résistance, les Bassidji.
 

4Anciennement dénommée Sherut’Avir, armée de l’air israélienne.
 

5FAAPL, ou Force aérienne de l’Armée populaire de libération.
 

6Pour Israeli Air Force.
 

7Nom officiel en anglais, alors que le nom en hébreu est Amúd’Anán (Colonne de nuée ou Colonne de nuages), de l’offensive militaire israélienne conduite dans la Bande de Gaza du 14 au 21 novembre 2012.
 

8Ou Hilotes. Du grec Heilotes.
 

9Terme assez peu approprié. De fait, la plupart des Israéliens qui intègrent la Réserve, sont ad minimo sous-officiers.
 

10Bombes à guidage laser. Ce type d’engin, d’origine américaine, fut utilisé pour la première fois au Viêt-Nam.
 

11Au sens classique du terme, les miliciens du Hezbollah sont des paramilitaires et non des militaires.
 

12Mais non identique.
 

13Théorie devant beaucoup à celle de Guilio Douhet (Il Dominio dell’aria, La maîtrise de l’air en français). À noter que le 4ème des Cinq Cercles qu’il est légitime d’annihiler est la… population civile.
 

14Shock & Awe: Achieving Rapid Dominance. Doctrine, rédigée par Harlan K. Ullman & James P. Wade en 1996, basée sur l’écrasement de l’adversaire par l’emploi d’une très grande puissance de feu, la domination du champ de bataille, et des démonstrations de force spectaculaires destinées à paralyser la perception du champ de bataille par l’adversaire et annihiler sa volonté de combattre.
 

15De type étatique généralement. Lors de la Guerre du Viêt-Nam, donc au moment même où Warden travaillait sur sa théorie, se voyaient déjà les premières difficultés à livrer la même guerre à deux entités différentes la République du Nord Viêt-Nam et le Viêt-Cong alors que le second était pourtant une émanation du premier.
 
16Avec comme toute puissance militaire sérieuse l’idée de garder quelques surprises sous le coude.
Source Juif.Org