mercredi 19 décembre 2012

Être Juif n'est pas facile quand on descend d'Hitler



On pense généralement que dire la vérité soulage. Mais il y a cinq ans,  lorsqu’un journaliste audacieux a incité le Pr. Daniel Braun (ce n’est pas son vrai nom) à révéler son identité, les conséquences ont été dramatiques. « Je ne m’en suis jamais caché à ma famille ou à mes amis qui ont toujours été très positifs à mon égard. » se souvient-il.  «  Mais ce journal n’a pas joué franc-jeu avec moi. Je ne soupçonnais pas ses intentions de transformer mon interview en scoop sensationnel.

L’article devait paraitre dans l’édition du week-end.  Pour mieux vendre l’édition, pendant les deux jours qui ont précédé la parution, la radio a martelé tous les quarts d’heure: ‘Le petit-fils du neveu d’Hitler est Juif – et il est ici en Israël!‘- Ce qui nous est arrive ensuite nous a profondément choqués. » En effet les conséquences n’ont pas tardé. Les enfants se font cracher dessus a l’école, on les traite de Nazis. Même les voisins changent de trottoir et à la synagogue le vendredi soir les visages se détournent. « Du jour au lendemain, tous ces gens qui me connaissent depuis vint-cinq ans comme Juif m’ont transformé en paria », dit le Pr. Braun.  « Je croyais leur faire partager cet enseignement merveilleux qu’on peut refaire le passé et que changer est possible. Mais en fait, ce sont eux qui m’ont donné une leçon : ils m’ont appris que certaines personnes ne vous laisseront jamais changer.»
 Néanmoins, l’incident n’a pas suscité que des réactions négatives. «Ce même Shabbat, le matin à la synagogue, on m’a donné la première montée à la lecture de la Torah. C'était clairement une façon d'affirmer qu'on me considère comme membre de la Communauté, comme un Juif à part entière. Mais la gentillesse des uns n’a pas réussi à nous faire oublier la grossièreté des autres.  Nous avons beaucoup souffert de ce qui s’est passé. » « Je comprends maintenant pourquoi la plupart des gens comme moi masquent leur identité.  Beaucoup d’Israéliens sont mal à l’aise face à nos origines, ils ne savent pas comment réagir face à nous. »



C’est peut-être la raison pour laquelle, dans ce pays qui souffre encore des blessures de l’Holocauste et dont l’existence même repose sur des fondations fragiles nées des cendres de six millions d’âmes, ce mouvement que j'appelle le "Mouvement du Repentir" est si méconnu. Il s'agit de centaines de descendants de Nazis qui ont admis et assumé leur sombres antécédents. Non seulement ont-ils reconnu les valeurs du peuple Juif que leurs parents avaient voulu détruire, mais ils ont voulu s’y intégrer. Et pour cela, ils ont été jusqu’à renier leur propre identité. La majorité d’entre eux s’est convertie au Judaïsme, mène l’existence de Juifs religieux et réside en Israël. C'est je crois l'un des derniers chapitres méconnus de la période post-Holocauste. Cette histoire s’adresse à l’Humanité en quête du Sens de la vie. Elle s’adresse à notre capacité de faire le Bien et de changer notre Destinée. Et pourtant, les officiels, les rabbins et les journalistes s eux-mêmes que je contacte pour m’enquérir du phénomène ne l’acceptent pas facilement. Ils me répliquent, tantôt surpris, tantôt sceptiques: « Vous en êtes sûre? ». D'autres le renient carrément: « C’est une fable.  Des enfants de Nazis vivraient en Israël sous notre nez et personne ne serait au courant? Impossible! »
 Il est à noter qu’une partie de ces convertis Allemands sont devenus d’éminents universitaires, spécialisés notamment dans les études juives. Le Pr. Braun lui même en fait partie et dirige aujourd'hui le Département d’Etudes Juives de l’une des plus grandes universités du pays. Le parcours du Pr. Braun dans les études rabbiniques et talmudiques rejoint celui du Rav Aharon Shear-Yashuv (anciennement connu sous le nom de Wolfgang Shmidt et l’un des rares convertis qui m’ait autorisé à mentionner son véritable nom), qui est lui directeur du Département d’Etudes Juives à l’université Bar-Ilan. Et bien d’autres, parmi lesquels le directeur des Etudes Juives d’une université du Sud des Etats-Unis, ou encore un professeur de Littérature Rabbinique d’une université de l’Ivy League, également aux Etats-Unis. 

Mais la généalogie du Pr. Braun est de loin la plus intéresssante. «Ma grand-mère s’appelait Erna Patra Hitler. Hans Hitler, son deuxième mari, était le neveu du Führer. Mais il n’avait rien en commun avec lui. Il était doux et gentil.  Ma grand-mère par contre, était une Nazie endurcie aussi cruelle qu’il était doux. Nazie bien avant le conflit, elle était restée ancrée dans ses convictions après la guerre et était fière de son appartenance à la famille du Führer.  Son beau-père, le frère d’Hitler, n’était pas intéressé par la politique, mais il tenait un café à Berlin qui était fréquenté par toute l’élite Nazie. Sa famille, y-compris mes grands-parents et lui-même, comptaient parmi les « notables » de la ville de par leur filiation avec Hitler. «Mes grands-parents nous rendaient visite dans une Mercedes noire, une nouveauté pour l’époque et un symbole évident de pouvoir.  Le quartier ouvrier où je vivais avec ma mère était en effervescence lorsque la voiture arrivait. »



 Le Pr. Braun est né à Francfort, en 1952, de parents Protestants qui avaient servis tous les deux dans la Wehrmacht.  Son père qui était un fervent admirateur  des Nazis, divorça de sa mère peu de temps après sa naissance et disparut rapidement de leur existence.  Le Pr. Braun fut élevé dans l’Allemagne d’après-guerre par sa mère qui gagnait à peine sa vie, ne recevant aucune aide morale ou financière d’Erna Hitler, que le Pr. Braun décrit comme une femme « indifférente à la souffrance et au malheur des autres ».  Son enfance fut pénible et marquée par les privations, sa mère, criblée de dettes, peinant à assurer leur subsistance. Ils déménageaient constamment, chassés par les propriétaires exaspérés de ne pas recouvrer leur loyer. Son unique chance, qui allait marquer sa destinée: sa mère ne lui avait jamais caché la Vérité.



«On trouve aujourd’hui des Allemands qui se plaignent d’entendre trop de choses sur l’Holocauste. Mais il faut dire que dans l’immédiat après-guerre, c’était le silence total sur ce sujet » explique le Pr. Braun. « A l’école, on nous enseignait l’histoire de l’Allemagne seulement jusqu’à la première guerre mondiale parceque le Gouvernement se méfiait du passé Nazi des professeurs ou de leur sympathie envers le régime hitlérien qui aurait pu influencer leurs cours. » dit-il. « Cette décision eut pour conséquence de nous maintenir dans l’ignorance complète de ce qui s’était déroulé quelques années auparavant. Je me souviens de conversations avec mes camarades qui refusaient d’admettre la responsabilité de l’Allemagne.  Leurs parents avaient ‘oublié’ le passé. Ma mère n’était pas comme ça. »

A l’inverse des parents de ses amis qui élaboraient de savant alibis pour dissimuler la vérité, la mère du Pr. Braun dévoila à son fils tous les documents (portant le sceau du Reich et des croix gammées), lettres et photos de membres de la famille – elle même comprise – arborant  les uniformes de la  Wehrmacht, preuves de leur complicité avec le régime. Elle lui raconta qu’elle avait été postée en Pologne, dans la ville de Lodz où l’on exécutait les Juifs en plein centre-ville.  « C’était horrible. » lui dit-elle. « Chaque jour, je devais passer par le centre pour me rendre au quartier général ou rentrer chez moi. Mais je ne supportais pas de voir les Juifs pendus ainsi et je faisais un long détour pour éviter ce spectacle horrible.  Je n’ai jamais pu le supporter. » Le Pr. Braun était horrifié par le récit de sa mère. Son angoisse augmentait à mesure qu’il feuilletait les documents officiels qui l’accablaient. Mais le repentir sincère qu’elle exprimait lui procurait un peu de réconfort. « Je lui ai demandé pourquoi elle avait continué d’obéir aux ordres, pourquoi elle ne s’était pas rebellée. Elle m’a répondu simplement, les yeux remplis de honte : ''J’avais peur.'' Et je l’ai crue ». 
Le Pr. Braun tenta vainement de discuter des révélations de sa mère avec ses camarades de classe. Ils refusèrent de le croire ; ils l’accusèrent d’avoir inventé toute l’histoire.  « Alors j’ai essayé de rejeter tout ça de mon esprit.» dit le Pr. Braun. 



Mais la Providence revint le chercher au Lycée. Il reçut un jour en héritage de son grand-père biologique, le premier mari de sa grand-mère, un carton de livres. Parmi eux se trouvait son l’exemplaire personnel de Mein Kampf. “ Je n’avais jamais vu l’oeuvre abjecte de Hitler, et je l’ai lue jusqu’au bout”, raconte le Pr. Braun.  « Ce qui était écrit me révoltait ; je n’arrêtait pas de noter dans la marge mes arguments contre ses thèses.  Ce livre se trouve toujours dans ma bibliothèque parcequ’ il a été le tournant de ma vie. Je ne pouvais rester sans réagir. Lire Mein Kampf a changé mon destin. » Le destin de tout jeune Allemand après la Guerre était de servir dans l’armée, mais après ce qu’il avait appris sur la Shoah le Pr. Braun était devenu pacifiste. «J’étais supposé rejoindre l’armée tout de suite après mon Bac, il  me fallait donc vite trouver un échappatoire. J’ai su que deux groupes étaient exempts de service militaire : le Clergé et les séminaristes de l’église Catholique. Ma décision de devenir étudiant en théologie était donc purement opportuniste, mais une porte en ouvre une autre, et c’est exactement ce qui m’est arrivé» dit le Pr. Braun. « Les étudiants en théologie sont tenus de choisir un certain nombre de cours de Judaïsme et d’Hébreu. Tout ce que j’apprenais me fascinait de plus en plus », raconte le Pr. Braun. « Plus j’étudiais le Judaïsme, plus certains éléments du Christianisme me gênaient. La Trinité par exemple : comment Dieu pouvait-il être trois? Et pourquoi les Chrétiens devaient-ils souffrir pour atteindre la rédemption ?  L’approche juive qui s’exprime à Kippour avait beaucoup plus de sens à mes yeux. » 
« Le fossé entre Judaïsme et Christianisme était tel que j’en devenais schizophrène » continue le Pr. Braun. « En 1977 j’ai décidé de me rendre en Israël pour y poursuivre mes études à l’Université Hébraïque de Jérusalem où j’ai pris des cours de littérature hébraïque et de philosophie juive.  Je suis tombé amoureux du pays et j’ai prolongé mon séjour d’un an. » Par la suite, le Pr. Braun aboutit à l’école rabbinique (Yeshiva) de Mercaz HaRav.

Le Pr. Braun ne fait pas grand cas de ma thèse sur le “Mouvement du Repentir”, selon laquelle les descendants de Nazis se convertissent au Judaïsme pour faire pénitence.  Il maintient que sa conversion est le fruit d’une réflexion théologique, et non d’une volonté d’expier les fautes de ses parents. «  Il se peut que des éléments psychologiques inconscients chez moi m’aient poussé vers le Judaïsme » convient-il, «  mais j’ai l’esprit critique et je suis un intellectuel. Je suis arrivé au Judaïsme par pure déduction logique ». 
Cependant il reconnait : « Tout converti doit passer par une profonde crise d’identité avant la conversion elle-même. Il ne sera pas capable de revenir à sa première existence. J’ai compris que là d’ou je venais j’etais malheureux et j’ai décidé d’aller ailleurs. « C’est vrai que dans les années 70-80, beaucoup de jeunes Allemands ont quitté l’Allemagne afin de se distancer de la génération de leur parents qu’ils considéraient complice de l’Holocauste. Et la proportion d’Allemands parmi les convertis en Israël n’est pas négligeable. 
Mais moi je mets ma conversion sur le compte de mon désaccord avec la théologie chrétienne. C’est peut-être un prétexte que je me donne. Même si mon grand-père n’a pas eu d’influence sur mon éducation ou ma culture, c’est quand même de lui que je descends et ça me fait terriblement honte. Ça aiguise les doutes sur mon identité qui me préoccupent tellement. Mon identité n’est pas une évidence pour moi, je suis sans cesse a sa recherche. Le Pr. Braun s’est converti au Judaïsme en 1979 et il a épousé une convertie Allemande, universitaire elle aussi. Bien que les parents de sa femme, originaires de Stuttgart, aient coupé toutes relations avec leur fille, sa mère à lui (décédée il y a sept ans), l’a accepté en tant que Juif et lui a souvent rendu visite en Israël. « Elle a peut-être craint de perdre son seul enfant si elle n’acceptait pas ma conversion», dit le Pr. Braun. « Mais quoi qu’il en soit, elle a bien vécu ma judaïté. Elle a assisté aux bar-mitsvas de mes trois fils et elle a pris part à nos séders de Pessah. Je lui ai même suggéré de venir s’installer près de nous à Jérusalem pour ne pas rester seule en Allemagne mais elle m’a dit : « On ne déracine pas les vieux arbres. » Nous sommes restés très proches jusqu’à la fin de ses jours. »
 Appartenant au mouvement Orthodoxe Centriste, le Pr. Braun respecte strictement la Loi Juive. Dans certains domaines il s’abstient néanmoins, comme par exemple de participer aux cérémonies de commémoration de la Shoah.  « En principe, je reste à la maison. » Sa femme et lui se sont efforcés de bâtir un foyer chaleureux, rempli d’amour et d’entraide.   « J’ai voulu faire en sorte que mes enfants suivent un chemin, une direction, un système de valeurs et qu’ils ne se retrouvent pas dans la même situation confuse et dysfonctionnelle que j’ai vécue dans ma jeunesse. » dit-il.  « Pourtant, malgré tous mes efforts pour les préserver de cet héritage schizophrène, je ne peux pas tout contrôler.  Je vais vous donner un exemple : lorsque mon fils Yisrael est parti en Pologne avec son école il y a quelques années, il a réagi tout à fait différemment de ses camarades de classe. ‘ Tout était si étrange ‘ m’a-t-il raconté. ‘  Debout au milieu des camps, je me suis dit que les grands-parents de tous mes amis s’étaient trouvés à l’intérieur des barbelés tandis que mon grand-père, lui, se tenait à l’extérieur.  Mes camarades sont venus dans les camps chargés de leur passé.  Moi je n’ai fait qu’observer.  Je ne me sentais pas à ma place, un vrai raté . ‘ « Je me sens aussi complètement désemparé quand les camarades de classe de mes fils les insultent et leur lancent des paroles blessantes, surtout depuis que l’interview a été publiée dans le journal», dit le Pr. Braun. «Pendant une cérémonie de Yom Hazikaron l’année dernière par exemple, plusieurs étudiants ont murmuré à l’oreille de mon plus jeune fils qu’ils tabasser parce qu’il était Nazi. J’ai refusé de l’envoyer à l’école jusqu’à ce que le directeur règle le problème. » 

Le Pr. Braun n’a pas été épargné non plus.  «  Je n’ai jamais cherché à dissimuler mes racines ni mon passé comme nombre d’autres convertis enfants de Nazis l’ont fait », dit-il.  « Les gens sont tolérants et je suis bien accepté la plupart du temps.  Il arrive qu’on me fasse parfois une remarque désobligeante. Lors d’une récente conversation avec mes étudiants au cours de laquelle nous évoquions ma généalogie, l’un d’entre eux s’est exclamé: ''Vous vous rendez compte! Si ça se trouve, votre grand-père a transformé ma grand-mère en savon!''»

 Le Pr. Braun estime à environ 300 le nombre d’Allemands convertis en Israël mais la majorité d’entre eux évitent toute forme de publicité et mènent une existence extrêmement discrète. Cependant, avec le temps, l’Holocauste s’éloigne dans l’histoire et ils sont de plus en plus nombreux à révéler leur parcours.  Des articles sont parus dernièrement au Canada et en Europe, qui les métamorphoses extraordinaires de personnes telles que Katrin Himmler, la petite-nièce du commandant SS Heinrich Himmler, qui a épousé un ou encore d’Oskar Eder, un ancien pilote de la Luftwaffe qui a changé son nom en Asher, s’est marié à une survivante de l’Holocauste et travaille actuellement en Israël comme guide touristique.


Katrin Himmler et son epoux

 Les parcours étonnants de ces personnages, et de bien d’autres comme eux, prouvent aux yeux du Pr. Braun  que «rien n’est immuable. La morale de mon histoire et de celle de mes pairs est qu’on peut changer les choses : on peut changer de comportement, de lieu, de religion.  Etre, devenir, c’est ce que nous faisons tous les jours.» 

Source Aish.fr