Une trentaine d’universitaires internationaux racontent l’histoire, parfois le présent, d’une cinquantaine de communautés juives méconnues à travers le monde. Ces récits renouvellent une vision monolithique de l’identité juive.Juifs d’ailleurs, diasporas oubliées, identités singulières........Détails.......
Aux lecteurs qui penseraient que les communautés juives dans le monde ne se divisent qu’entre séfarades et ashkénazes, cet ouvrage apportera un passionnant démenti.
Fruit du travail d’une trentaine d’universitaires internationaux, sous la direction de l’historienne française Édith Bruder, spécialiste du judaïsme africain et des diasporas religieuses, il propose un foisonnant tour du monde de communautés juives méconnues, parfois enfouies.
Un voyage qui ne s’accomplit pas d’une traite, mais se picore en plusieurs étapes, comme un curieux attraperait sa mappemonde, pour s’enquérir d’un nouvel univers à découvrir.
À l’heure où la majorité des communautés juives ont massivement émigré en Israël, et alors que le XXe siècle a vu quasiment disparaître les communautés juives présentes depuis des millénaires en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, le souvenir de ces diasporas rappelle combien l’histoire du judaïsme s’est façonnée au contact d’aires culturelles et politiques variées et ne peut être résumée par les migrations contemporaines.
Unique en son genre, l’ouvrage invite à découvrir près d’une cinquantaine de ces diasporas, soit qu’elles aient été isolées géographiquement, soit qu’elles témoignent d’une manière unique de vivre leur identité juive.
Ainsi existait-il au VIIe siècle un sino-judaïsme dans lequel Confucius était honoré, au même titre qu’Abraham et Moïse dans un syncrétisme unique !
Plongée minutieuse
Outre une plongée minutieuse dans toutes ces communautés oubliées, le livre examine les concepts mêmes de diaspora et d’exil, selon la littérature rabbinique. Depuis la déportation de l’élite juive de Jérusalem et du royaume de Juda en Babylonie au VIIe siècle avant notre ère, l’histoire juive est placée sous le signe d’un rapport ambigu à la notion d’exil : à la fois punition divine contre les fautes d’Israël et destin à part entière d’une eschatologie messianique, la dispersion des communautés juives a fait l’objet de lectures multiples.
Dans une perspective théologique, elle pourrait signaler « une disjonction dramatique entre l’idéal d’une vie en harmonie avec Dieu et les réalités d’une histoire faite de crimes et de souffrances, relève Julien Darmon, docteur en études juives à l’École des hautes études en sciences sociales.
Toutes les nations subissent cette réalité, mais seul Israël porte témoignage de son caractère anormal et proclame l’espérance d’un monde meilleur. La dispersion même des juifs a pour fonction de diffuser ce témoignage au monde entier. »
Des communautés continuent à naître
Dispersées en Afrique noire, dans le Caucase, en Crimée, en Inde, en Chine, en Amazonie ou encore aux Caraïbes, ces communautés entretiennent toutes une histoire singulière avec les sociétés d’accueil, enrichissant leur culture, se laissant parfois modifier par elles.
La présence des diasporas juives, minoritaires, exprime toujours un rapport à l’altérité. Fait rare, les communautés juives d’Inde (Bene Israël), dont 3 000 fidèles vivent encore aujourd’hui dans le pays, n’ont par exemple pas eu à souffrir d’antisémitisme des majorités hindoues et musulmanes, ayant constitué en elles-mêmes une presque-caste, intégrée dans l’ordre social indien.
Le livre s’intéresse également à l’époque contemporaine. Des communautés juives continuent de naître à travers le monde, comme à Madagascar où, en 2016, 121 Malgaches se sont convertis au judaïsme orthodoxe, « l’aboutissement d’une croyance profonde en leur origine israélite ancestrale, associée à la découverte toute récente du judaïsme normatif tel qu’il est pratiqué dans le monde ». Un signe qui, selon certaines sources, témoignerait d’une présence hébraïco-juive ancienne.
« Pour inattendue qu’elle soit, la conversion au judaïsme orthodoxe apparaît aussi comme une forme de recherche d’identité postcoloniale », relève le chercheur américain William F.S. Miles.
Cette diversité des histoires locales contribue à remettre en question une vision monolithique de l’identité juive, qui continue de s’écrire.
Sous la direction d’Édith Bruder,Albin Michel, 493 p., 26 €
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