Les tentatives de criminalisation du "mouvement de défense des droits palestiniens" Boycott, Divestment, Sanctions (BDS) se sont accélérées au cours de ces dix dernières années à travers le monde, notamment en Allemagne, en France, aux États-Unis ou encore au Canada.......Détails.......
Le mouvement BDS sur le banc des accusés
« C’est comme s’ils voulaient que ça devienne vrai à force de le répéter. »
Depuis Zurich, Majed Abusalma raconte le bras de fer qu’il mène, malgré lui, pour démentir les accusations d’antisémitisme qui abondent à son encontre. Comme beaucoup d’autres du mouvement de protestation contre les politiques israéliennes Boycott, Divestment, Sanctions (BDS), le jeune militant originaire de Gaza a dû s’expliquer devant la justice.
Il lui est reproché d’avoir interrompu la députée israélienne Aliza Lavie lors d’une conférence, alors qu’elle justifiait l’offensive de 2014 contre Gaza qui a coûté la vie à près de 1 500 personnes.
C’est là, dans cette affaire dite du « Humboldt 3 », qu’il fait la découverte de la brutalité de la censure allemande sur certains sujets.
L’arbitraire du système qui suspend sa résidence à l’annonce du procès. Un système qui, de plus en plus, s’appuie sur le droit pour légitimer la réprobation du BDS et le désaveu public de ses militants.
La politique de sanction, qui se murmurait jusque-là à demi-mot, se joue carte sur table à partir de 2019, lorsque le Bundestag (Parlement allemand) vote une recommandation qualifiant d’antisémite l’intégralité du mouvement BDS. Les médias s’alarment : l’Allemagne serait le premier pays à criminaliser le boycottage d’Israël.
La réalité est un peu plus nuancée.
La recommandation du Parlement conforte certes une situation préexistante en officialisant la condamnation des activités propalestiniennes à « chaque table, chaque recoin de chaque ville », dénonce Majed Abusalma.
Mais la résolution, reprise pour appuyer des décisions locales, n’a pas en elle-même de portée contraignante, et Berlin n’est pas la première capitale occidentale à formuler ce genre de condamnation générique.
En 2010, la circulaire Alliot-Marie, du nom de la garde des Sceaux française, incite le parquet à poursuivre les manifestations organisées dans le cadre de la campagne BDS.
« Les procureurs poursuivent avec des résultats variables : ils ne condamnent pas systématiquement, et lorsqu’ils le font, il s’agit d’amendes minimes, parfois avec sursis », observe Jean-Claude Duhamel, juriste et enseignant-chercheur à l’Université de Lille.
Aux États-Unis, plus de 200 projets de lois visant à criminaliser le boycott ou à pénaliser les entreprises le soutenant ont été recensés par le site « Palestine Legal » au cours des six dernières années.
Depuis 2015, plus de la moitié des États ont légiféré des lois condamnant le BDS ou les entreprises qui y sont associées.
La mise au ban du BDS atteint de nouveaux sommets avec Donald Trump qui entend lutter contre l’antisémitisme en muselant le mouvement dans le cadre « d’une stratégie coordonnée sur les plans légal et politique », estime Sandra Tamari, du Adalah Justice Project basé aux États-Unis.
En 2019, le Congrès vote une résolution condamnant le mouvement parce qu’il encourage « la culpabilité, la punition collective et l’isolation de certains groupes ».
Lors de sa récente visite à Jérusalem, le secrétaire d’État Mike Pompeo annonce son intention de créer une liste noire des organisations soutenant le BDS, mouvement qu’il qualifie de « cancer ».
Mais la censure se passe parfois de politique centralisée ou même de loi. Au Canada, aucune législation n’a jusque-là été passée en vue d’une criminalisation du BDS.
La multiplication d’incidents visant à censurer, intimider ou sanctionner des individus soutenant le mouvement semble pourtant indiquer que le pays en prend la direction.
« Une motion votée par le syndicat étudiant il y a quelques années a été la cible d’attaques, soutenues par le président de l’Université et le Premier ministre qui ont alors twitté pour condamner la campagne », raconte Michelle Hartman, enseignante à l’Université McGill de Montréal, qui craint que la situation ne s’aggrave à l’avenir.
La dynamique vers une condamnation généralisée adopte des modalités différentes en fonction des contextes. Mais elle est en marche, et elle est exclusivement dirigée contre les appels au boycott de produits israéliens. Sur son passage, cette dynamique ébranle une tradition qui a longtemps fait du boycottage un droit politique relevant de la liberté d’expression.
« Historiquement, les appels au boycott n’ont jamais posé de problème, la Cour suprême américaine s’étant même prononcée sur leur légalité », rappelle Jean-Christophe Duhamel.
Un droit qui permettait hier aux sociétés occidentales de se mobiliser sans obstacle majeur contre l’apartheid sud-africain, mais qui semble aujourd’hui fléchir sous la pression des politiques.
Distinguer les produits des hommes
Lorsque certains invoquent les accusations d’antisémitisme pour justifier cette politique des deux poids deux mesures, certaines organisations juives montent au créneau.
Shir Hever, de la Jewish Voice for a Just Peace in the Middle East basée en Allemagne, fait partie de ceux qui sont mobilisés sur le sujet. Pour lui, les accusations d’antisémitisme sont une récupération déformée de l’histoire au profit d’une politique actuelle.
Quand on lui demande ce qu’il pense de la comparaison entre le BDS et les appels à « ne pas acheter juif » des années 1930, il ne mâche pas ses mots.
« Les nazis n’ont pas mené une campagne de boycottage, mais de persécution raciale, alors que le BDS est un mouvement pour les droits. En tant que juif, je m’offense que l’on puisse comparer le parti nazi à cela, en minimisant à ce point sa criminalité et son racisme. »
Face à ce qu’ils considèrent comme une aberration juridique ou un contre-sens historique, de nombreux juristes, avocats et militants dénoncent « l’illégalité » de la censure anti-BDS qui foule au pied des décennies de traditions libérales et certains textes fondamentaux des démocraties occidentales.
« Les méthodes autoritaires et anticonstitutionnelles des opposants au BDS amènent beaucoup de nouvelles personnes à demander pourquoi la liberté d’expression fait exception lorsqu’il s’agit de la Palestine », observe Sandra Tamari.
En France, certains chercheurs pointent du doigt un jugement de la Cour de cassation de 2015 qui considère l’appel au boycott comme une provocation à la discrimination à l’encontre des producteurs israéliens. Une décision « infondée en droit », estime Jean-Christophe Duhamel, pour qui « il ne peut pas y avoir d’exception israélienne ».
En réponse au jugement, les avocats de BDS saisissent la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) qui, le 11 juin dernier, contredit la plus haute juridiction française en réaffirmant le droit au boycott de produits comme une liberté protégée par l’article 10 de la CEDH.
La cour « distingue les produits des hommes », résume Jean-Christophe Duhamel. L’arrêt historique ne met pas pour autant un point final aux polémiques. En octobre, le ministère de la Justice maintient sa ligne en publiant une dépêche appelant le parquet à poursuivre les appels au boycottage des produits israéliens assimilables à un appel au racisme.
Une volonté politique « de rassurer les producteurs israéliens, peut-être aussi la communauté juive de France », estime Jean-Christophe Duhamel.
Mais au-delà des grandes annonces médiatisées, la bataille juridique se joue également, peut-être principalement, à une échelle plus discrète : celle des tribunaux civils, des municipalités et des universités.
Aux États-Unis, en Allemagne, des tentatives pour appliquer les lois fédérales sont contestées par les instances juridiques locales.
En 2018, une cour invalide une loi du Kansas sanctionnant le boycott d’Israël, jugée anticonstitutionnelle.
En France, malgré la dépêche d’octobre, l’arrêt de la CEDH signifie qu’on ne peut plus condamner un simple appel au boycottage et qu’il est désormais du ressort des juridictions locales de « poursuivre les appels à la violence ou à la haine », explique Jean-Christophe Duhamel. Un bras de fer appelé à se poursuivre pour les prochaines années.
Reste à savoir comment un petit mouvement militant né il y a quinze ans dans les milieux estudiantins est devenu un enjeu national appelant les plus hautes instances, politiques, juridiques et législatives, à se prononcer.
« Le poids de l’histoire et le contexte ont peut-être fait pencher la balance », avance prudemment Jean-Christophe Duhamel. Mais pour Majed Abusalma, on aurait tort d’expliquer l’intransigeance actuelle par le souvenir traumatique des massacres passés.
« Il ne s’agit pas de culpabilité en lien avec l’Holocauste, qui appellerait des sentiments de compassion et d’empathie, une sensibilité à l’égard du droit et des droits de l’homme », dit-il.
Vous nous aimez, prouvez-le....