C'est un lieu empli d'histoire, encore peu connu du grand public. Un endroit qui a joué un rôle dans les temps les plus sombres du XXe siècle. Entre juillet 1943 et août 1944, durant la Seconde Guerre mondiale, 22 453 personnes de confession juive ont été déportées depuis la gare de Bobigny (Seine-Saint-Denis).......Détails........
Une station aujourd'hui désaffectée, qui permettait de relier la commune, alors village maraîcher, à Sucy-en-Brie (Val-de-Marne). Et qui sera demain un lieu de mémoire : les travaux ont en effet débuté en août dernier avec pour objectif de l'inaugurer en 2022.
Les convois partaient vers Auschwitz
Ouverte dans un premier temps aux voyageurs, cette gare de la Grande Ceinture est devenue uniquement réservée au transport de marchandises dès 1939. Située seulement à deux kilomètres du camp de Drancy, où étaient internés de nombreux juifs, la gare a sans doute été choisie par les Allemands pour son emplacement plus discret que celle du Bourget où ont débuté les déportations.
Au total, 21 convois sont partis de Bobigny vers le camp de concentration et d'extermination d'Auschwitz en Pologne, à l'exception du convoi 73 - composé uniquement d'hommes - qui a pris la direction des pays baltes.
La ville rachète le site en 2005
Depuis plusieurs années, la ville de Bobigny, qui en 2005 a racheté le bâtiment voyageur inscrit à l'inventaire supplémentaire des Monuments historiques, avait ce projet de lieu de mémoire. Une convention de partenariat a été signée en 2010 avec la SCNF pour fonder un mémorial, mettant le site à disposition de la commune durant 70 ans.
Après avoir été à de multiples reprises reportés, les travaux sont lancés. Bobigny ambitionne d'ouvrir le site le 27 janvier 2022, date d'anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz, le 27 janvier 1945.
« La volonté de conserver ce lieu a émergé dans les années 1980, décrit Bernard Saint-Jean, chargé de mission sur la gare de déportation à la ville de Bobigny. À l'époque, la SNCF souhaitait transformer le site pour faire de l'optimisation immobilière. Le maire Georges Valbon s'y est opposé. On ne savait pas encore qui avait été déporté depuis cette gare. C'est notamment grâce aux travaux de l'Afma (Association Fonds Mémoire Auschwitz), de Serge Klarsfeld (NDLR, militant de la mémoire de la Shoah) et de l'historien Thomas Fontaine qu'on a pu retracer l'histoire de ce lieu. »
Un lieu de mémoire et de réflexion
« Ce ne sera pas qu'un lieu de mémoire, ajoute Claire Dupoizat, maire adjointe à Culture. On veut en faire un endroit qui permettra d'ouvrir la réflexion sur toutes les formes de discriminations qui existent dans notre société. »
Les travaux, estimés à 4,1 M€, sont financés par la ville, le conseil régional, les ministères des Armés et de la Culture, l'Afma, la Fondation pour la mémoire de la Shoah, l'établissement public territorial Est Ensemble et l'Agence de l'Eau Seine-Normandie. Une large partie du site étant composé d'espaces verts.
Objectif 15 000 visiteurs par an
Le lieu, qui devrait ouvrir tous les jours ou presque, ambitionne d'accueillir 15 000 personnes par an. « On voudrait recevoir des publics scolaires de l'ensemble de la région parisienne », espère Claire Dupoizat. Son modèle de gestion doit encore être défini par la nouvelle municipalité communiste.
« On est parti en chantant la Marseillaise »
C’était le 31 juillet 1944. « Il y avait un beau ciel bleu », se souvient encore Yvette Lévy. Ce jour-là, cette adolescente juive, originaire de Noisy-le-Sec, est déportée avec 1 300 personnes, dont 330 enfants, dans le convoi 77 parti de la gare de Bobigny (Seine-Saint-Denis) vers le camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz en Pologne.
« Nous ne sommes pas restés longtemps à la gare, tout est allé très vite ! », décrit sans une once d’hésitation Yvette Lévy, désormais âgée de 94 ans. Son passage en gare de Bobigny n’est presque qu’un détail dans l’horreur qu’a vécu cette résistante rescapée de l’Holocauste.
Durant la Seconde Guerre mondiale, elle habite à Noisy-le-Sec avec ses parents et ses deux frères lorsque la ville est bombardée dans la nuit du 18 au 19 avril 1944, détruite à plus de 75 %.
Arrêtée après l’attentat raté contre Hitler
« Quand le jour s’est levé, on est sorti de la cave où on avait trouvé refuge avec mes parents, mes frères et ma grand-mère. On avait tout perdu, plus un sou. On est parti comme ça, mes frères en pyjama et moi en chemise de nuit. Nous sommes allés chez ma tante, rue Lamarck à Paris.
On ne pouvait pas tirer d’eau, car l’appartement était censé être vide et il y avait un bureau de recrutement de la LVF en dessous (NDLR, Légion des volontaires français contre le bolchevisme composée de collaborationnistes).
Yvette Lévy quitte finalement l’appartement quelques jours plus tard pour s’installer dans une des maisons de l’Union générale des Israélites de France (UGIF), rue Vauquelin, où elle vient en aide aux enfants juifs dont les parents ont été raflés.
Elle y reste trois mois. Après l’attentat raté contre Hitler, plusieurs centaines d’enfants et adolescents juifs sont arrêtés.
«Ne pas oublier ce qui s’est passé »
Yvette est alors internée durant dix jours au camp de Drancy (Seine-Saint-Denis), situé à deux kilomètres seulement de la gare de Bobigny.
« Le 31 juillet, ils nous ont regroupés dans la cour par rangées de cinq. On est monté par cinquante dans des autobus. Tout Drancy nous a vus, il était 8h30 du matin, les gens faisaient leurs provisions.
On est parti en chantant La Marseillaise. Le trajet n’a duré que cinq minutes. Je connaissais la gare de Bobigny, mais je n’y étais jamais allée. Les wagons étaient fermés. Ils en ouvraient un, le remplissaient, le refermaient. Le trajet a duré trois jours et trois nuits, entassés, jusqu’au camp d’Auschwitz.
Ça sentait la chair brûlée quand on est arrivé, ils étaient en train d’exterminer des Tsiganes. »
Yvette échappera à la mort sans qu’elle sache encore pourquoi. Le 27 octobre, elle est envoyée dans un camp de travail des Sudètes, dans l’actuelle République Tchèque, dont elle sera libérée le 9 mai 1945.
« C’est important de conserver des lieux comme la gare de Bobigny. Et de le faire revivre pour ne pas oublier ce qui s’est passé », estime celle qui a raconté son histoire dans de nombreux établissements scolaires de Seine-Saint-Denis.
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