mardi 9 juin 2020

La guerre de Franci: 75 ans après sa libération, le récit d'une jeune pragoise déportée (Vidéo)


Franci’s war en anglais, Francina válka en tchèque : le récit autobiographique de Franci Epstein commence par une carte et les quatre étapes de son périple concentrationnaire : Terezín, Auschwitz-Birkenau, Neuengamme et Bergen-Belsen. Née à Prague en 1920, Františka Rabínková a été déportée avec ses parents et son premier mari en 1942.......Portrait & Interview Vidéo.........

Seule survivante, elle a attendu trente ans avant de mettre sur papier ce qu’elle a vécu pendant la guerre et écrit ce livre aux Etats-Unis où elle avait émigré en 1949 avec son second mari Kurt Epstein et sa fille Helen, alors âgée d’un an. C’est Helen Epstein qui a contribué à ce que le récit de sa mère soit publié aujourd’hui dans plusieurs pays, dont les Etats-Unis et la Tchéquie, et bientôt en France par les éditions Flammarion.
Helen Epstein a répondu aux questions de RPI depuis la banlieue de Boston où elle réside.

Est-ce que le livre de votre mère est d’abord le récit d’une jeune Pragoise insouciante, jetée dans l’enfer de l’Histoire, et qui a pris en fait conscience de sa judéité seulement avec l’entrée des nazis en Tchécoslovaquie ? 
« Oui, ma mère est née à Prague en 1920, deux ans après la fondation de la Tchécoslovaquie. 
Son père, Emil Rabínek, était un ingénieur de formation, qui selon ses dires n’avait pas été admis dans une université allemande à cause du numerus clausus concernant les étudiants juifs. 
Il a décidé, quand ma mère est née, de la faire baptiser. Donc sur le papier elle était catholique, même si ses grands-parents et ses parents étaient juifs. » 
« Elle allait à l’église dans son enfance. Elle allait aussi au lycée français. A l’âge de 13 ans, elle a décidé qu’elle ne croyait pas en Dieu et est devenue officiellement sans religion. Elle n’avait pas vraiment d’identité juive. » 

Votre mère était-elle toujours en vie lorsque vous avez lu pour la première fois ce récit ? 
« Oui, j’ai lu le récit quand elle l’a écrit, en 1974/1975. J’étais étudiante à l’école de journalisme à l’Université Columbia de New York. 
Un de mes profs a commencé l’une des premières librairies de témoignages sur la Shoah à New York et il m’a demandé si je pouvais faire des entretiens avec mes parents. 
C’était en janvier 1974 et peut-être que c’est ça qui a donné à ma mère l’idée d’écrire ses mémoires. » 
 « Je sais que j’ai fait un très mauvais entretien, c’était l’un des premiers que je faisais en tant qu’étudiante… Elle a peut-être été frustrée par le fait que je l’ai tout le temps interrompue. 
En tout cas, ni mes frères ni moi ne l’avons vu écrire. Elle n’en a pas parlé et on n’a jamais retrouvé de vrai manuscrit. Nous avons seulement retrouvé 150 pages tapées à la machine, avec très peu de corrections. » 
 « Ma mère était couturière et avait une cliente qui était agent littéraire. Elle lui a donné le manuscrit mais il a été rejeté partout où il a été envoyé. Alors elle me l’a donné en me disant que puisque j’allais écrire des articles et des livres je pourrai l’envoyer à des éditeurs. » 

Pourquoi selon vous ce manuscrit a été rejeté à l’époque ? 
« Je ne sais pas vraiment, on ne sait jamais, parce que moi-même j’ai eu des douzaines de refus de la part d’éditeurs pour mes livres ! » 
« Mais je crois qu’il y avait plusieurs raisons à ce refus. La première est qu’elle n’était pas une ‘vraie Juive’ aux yeux de certains Juifs américains. En Amérique, la plupart des Juifs sont d’Europe de l’Est et sont religieux, venus aux Etats-Unis au début du XXe siècle. 
Ma mère n’était pas comme ça. Elle n’était pas religieuse, ne parlait pas yiddish, n’était pas polonaise ni traditionnelle.
Son idée de Pessah était de mettre une nappe, quelques bougies et une Haggadah (texte en hébreu lu lors de la cérémonie du Seder, ndlr) distribuée par une marque de bonbons… Elle ne faisait pas le shabbat et ne connaissait pas vraiment les traditions juives. » 
« Par ailleurs, ma mère était une femme. Pas la femme ‘Eshet Hayil’, mais une femme moderne, très contemporaine, habituée à gérer son business. Elle avait son propre salon de couture à Prague, au croisement des rues Národní et Spálená. 
En Amérique aussi, mon père était au chômage pendant dix ans et elle subvenait aux besoins de la famille. Donc elle ne correspondait pas au modèle d’une femme juive en Amérique dans les années soixante. » 

Il n’y a aussi aucun tabou dans son récit… 
« Oui, elle était aussi extrêmement franche. En particulier à propos des relations sexuelles, hétérosexuelles et homosexuelles. Toute mon enfance j’ai eu l’impression qu’il n’y avait pas de non-dits avec elle. C’était tout à fait opposé au modèle américain de la femme, avant le développement du féminisme. » 
« Je pense que la chose la plus choquante dans son récit est qu’elle a décrit les épisodes de femmes juives prisonnières, qui, pour protéger leur mère, ont eu des relations sexuelles dans les camps, que ce soit avec les ‘kapo’ ou avec les nazis. 
C’est choquant maintenant pour certains, mais c’était vraiment choquant pour beaucoup de monde à l’époque où elle l’a écrit. » 
« Ma mère a toujours gardé un souvenir presque sentimental des Tchèques »

Dans le récit de votre mère, on a l’impression qu’elle est restée plutôt indulgente avec ses compatriotes tchécoslovaques – tchèques – et ce notamment malgré le fait que des gardes tchèques surveillaient eux-mêmes le camp de Terezín sous les ordres nazis. Est-ce le sentiment que vous avez eu ? 
« Oui, et en Amérique c’est également une chose choquante, car presque tous les survivants, les Juifs polonais, hongrois, grecs, même les Juifs français en veulent beaucoup aux autres citoyens de leur pays. 
Mais ma mère a toujours gardé un souvenir presque sentimental des Tchèques. Je pense qu’il y a plusieurs raisons à cela : elle était une enfant de la Première République, elle a été mariée à deux hommes qui ont servi dans l’armée tchécoslovaque et vivait dans une société tchèque ou mixte, pas dans une société juive. 
D’autres part, en tant que directrice d’un salon elle employait des couturières tchèques et avait des clientes tchèques. » 
« Dans les camps, il y avait beaucoup de femmes comme elle, des Juives très séculaires, comme elle le décrit, notamment une femme qui dormait près d’elle, convertie au catholicisme. » 

D’ailleurs votre mère décrit aussi une scène assez exceptionnelle – une messe de noël à Terezín… 
 « Oui et c’était tout à fait inattendu dans un contexte juif américain… Autre chose : même si elle a eu des expériences tristes et décevantes à son retour à Prague avec ses anciennes connaissances, elle a aussi eu des expériences extraordinaires : un homme tchèque qui avait été policier à Terezín lui a même demandé sa main ! C’est très rare, en dehors de la Tchéquie. » 

     

Source Radio Prague
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