lundi 18 novembre 2019

Exposition "Au revoir" : ces photographes hongrois exilés en France, oubliés dans leur pays


Exposer les plus fameux photographes hongrois à Budapest comme des étrangers en leur pays peut sembler surprenant. Mais cela prend tout son sens lorsque l’on se remémore l’histoire de la Hongrie après la Première Guerre mondiale : le climat d’antisémitisme - beaucoup de ces artistes étaient juifs - qui a prévalu, la chape de plomb qui tomba sur le pays pendant et après les deux guerres lorsque le régime communiste autoritaire, soutenu par l’URSS prend la relève de l’Allemagne nazie.....Détails.......


Le musée d’histoire de Budapest met ses artistes nationaux à l’honneur. Beaucoup de ces photographes, la plupart très connus comme Brassai ou Kertész, d’autres à découvrir, ont dans les années 1930 choisi la France comme terre d’exil. 
Ils y ont trouvé accueil et reconnaissance souvent mais cela leur a valu d’être oubliés par leurs compatriotes. L'exposition « Au revoir » veut les faire redécouvrir dans leur pays d’origine.
L’une est critique d'art, spécialiste des artistes d'origine hongroise.
L’autre est photographe, artiste et enseignante. Toutes deux vivent en France. A l’origine de cet hommage, un livre signé à quatre mains « Photographes d’origine hongroise en France » (Magyar származású fotográfusok Franciaországban) paru récemment aux éditions Corvina Kiadó.
« Aucun livre n’existait pour présenter le travail des photographes hongrois en tant que groupe. 
Nous considérons comme une dette de faire découvrir ces artistes dont le travail au début du XXème a eu un impact sur la photographie en tant qu’art. Ce n’est pas normal que les gens ne les connaissent pas », expliquent les deux commissaires. 
Nous considérons comme une dette de faire découvrir ces artistes dont le travail au début du XXème a eu un impact sur la photographie en tant qu’art.
Si pour Julia Cserba, la critique d'art, ce travail d'accrochage tient de la dette aux créateurs visionnaires, Gabriella Cseh, elle, les a approchés en artiste et photographe.
Arrivée à Paris, elle a fait une sorte de pélerinage dans les ateliers de ses compatriotes. Résultat, des photos arrachées in extremis de lieux voués à la démolition comme l'atelier d'André Kertesz dont l'installation le recréant ouvre le parcours de l'exposition. 
Elle a même récupéré un radiateur en fonte ouvragé. Un trophée, signe touchant de son admiration et d'un temps révolu puisque c'est le voisin parisien qui a racheté et détruit l'atelier de Kertesz pour agrandir son appartement.... 
Etienne Sved, également exposé, est un bon exemple du parcours de ces photographes hongrois dans les années 1920/1930. Juif né Süsz István en Hongrie en 1914, étudiant à l’école de graphisme fondée par des professeurs du Bauhaus qui ont fui l’Allemagne nazie, il doit à son tour quitter la Hongrie et se réfugier en Égypte.
D’abord journaliste pour le journal "Le Progrès égyptien", il devient photographe. 
On lui doit les photos des collections du musée du Caire. De ses voyages en Egypte à dos d’âne, il ramène de nombreux clichés publiés sous le titre  « L’Égypte face à face », avec un texte original de Tristan Tzara. 
Finalement installé en France après la Seconde Guerre mondiale, Étienne Sved récidive 10 ans plus tard avec un voyage en Algérie dont il rapporte un travail ethnographique également publié.
En ces temps troublés de l’Histoire, les frontières bougent, les hommes avec elles. 
Autre exemple de ces migrants magnifiques à redécouvrir à Budapest, Émeric Feher.
Né Imre Fehér en Voïvodine, il devient citoyen yougoslave en 1919. Pourquoi ? Parce qu’en 1919, le traité de Trianon (lire l'encadré ci-dessous) a rattaché sa ville natale à la Serbie, changeant sa nationalité faisant de lui un Yougoslave. Electricien, champion de lutte gréco-romaine, il exerce divers métiers avant de choisir l’exil en France comme l’un de ses frères parti trois ans avant lui. Embauché chez Peugeot comme ouvrier tourneur, puis chez Citroën, il est licencié lors de la crise en 1930. 
Grâce à une cousine, il entre au studio Deberny et Peignot  Il y découvre la photographie et s'initie au tirage photographique. En 1931, il photographie l’Exposition coloniale. 
Mode, publicité, industrie, tourisme, aucun thème ou presque ne lui échappe. Comme le dit son biographe Pierre Borhan: « Feher sait capter la pureté d'une ligne, la grâce d'une forme et, avec chaleur, avec même une certaine innocence, la saveur de la vie. »
Le traité du Trianon qui officialise en 1920 la fin de l’empire austro-hongrois, ampute la Hongrie des trois quarts de son territoire. 3,3 millions de Hongrois, soit un tiers d'entre eux vont vivre sous domination étrangère. Les artistes n’y échappent pas. 
Beaucoup commencent par changer de nom pour continuer à travailler. Parmi les plus fameux, Gyula Halász qui devient Brassaï, Andor Kohn alias André Kertész, ou encore László Weisz devenu László Moholy-Nagy. Avant de quitter la Hongrie pour de bon.
Alors que la signature du traité du Trianon crée une crise diplomatique entre la France et la Hongrie, comment les Hongrois deviennent-ils francophiles ?
Malgré ces temps troublés, l’élite intellectuelle hongroise reste attachée aux valeurs humanistes portées par la littérature française. 
« L’absence d’amalgame entre culture et politique, montre que des choix individuels peuvent transcender les contingences politiques», explique Catherine Tamussin, chercheuse en sciences du langage.
Plus encore, en 1924, la réforme de l’enseignement secondaire permet, pour la première fois en Hongrie, la mise en place de cours de français, d’anglais et d’italien à côté des cours d’allemand, langue obligatoire depuis la fin du XVIIIe siècle. 
Une politique éducative visant à amoindrir l’influence de l’allemand qui conduit à un essor spectaculaire du français dans les écoles.
Les années 1920, années folles, après la guerre de 14-18, le monde occidental veut s'amuser, retrouver un élan vital.
Montmartre, Montparnasse attirent les artistes du monde entier, photographes compris. Paris devient le carrefour de la nouvelle photographie en Europe : modèle de modernité, espoir économique et pour de nombreux étrangers contraints à l’exil, lieu de refuge et de liberté. 
Plus encore pour les Hongrois  empreints de francophilie. Paris capitale culturelle brille à leurs yeux de mille feux. Qu’ils s’y réfugient ou la choisissent comme phare artistique, les photographes hongrois affluent à Paris, apportant leur indéniable talent pour cet art encore neuf. 
Comme le dit Josef Nadj, chorégraphe et photographe contemporain exposé actuellement à Budapest, « les Hongrois sont naturellement doués pour la photographie ».
Et de fait, dès 1910 en Hongrie, la photographie est sortie du cercle de la bourgeoisie pour se démocratiser. Les ambitions artistiques émergentes ont donné naissance à de nombreux salons et expositions. En 1914, le photographe Rudolph Balogh déclare : "Nous avons besoin de photographes qui communiquent nos particularités et notre caractère national."
Ainsi naît le "style hongrois". 
La photographie devient alors un art national. Aujourd'hui, les photographes du début du XXème, qui ont su imposer leur jeune et ébouriffante créativité, ainsi que leurs successeurs sont enfin revenus à la maison. 

"Au revoir, photographes d’origine hongroise en France."
Exposition présentée au Musée d’histoire de Budapest du 4 oct. 2019 au 5 janv. 2020

Source TV5 Monde
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