Elle se dévoile enfin. Dans son huitième album, « Bleue », entièrement en français, la chanteuse Keren Ann livre un sublime flot de mélancolie......Rencontre........
La plupart des musiciens diront qu’ils préfèrent l’adrénaline de la scène à la quiétude des studios. Keren Ann, elle, chérit surtout la phase de composition et d’enregistrement.
Née en Israël, élevée aux Pays-Bas, résidente en France depuis 2015 – elle a les trois nationalités –, la chanteuse de 45 ans est une esthète du son, une technicienne capable de vous parler de longues heures de micros, de tables de mixage et d’instruments de musique aux noms barbares.
Son CV est impressionnant. « Chambre avec vue » (2000), un disque composé avec Benjamin Biolay pour Henri Salvador, huit albums solos dont trois nommés aux Victoires de la musique, des collaborations multiples avec le cinéma, le théâtre, la danse ou l’opéra... Mais pour une grande partie du public, Keren Ann reste encore une artiste inaccessible, difficile à cerner.
« Cette distance avec les gens tient peut-être au fait que je n’ai pas fait beaucoup de télé au début de ma carrière. Je n’ai jamais vraiment été dans leur salon. Je ne me suis sans doute pas assez montrée », analyse -t-elle.
Alexandra Pilz Hayot, sa manageuse, renchérit : « Elle fait preuve d’une grande pudeur, elle se protège. Pour saisir Keren Ann, il faut lire les paroles de ses chansons. »
Entièrement écrit en français, un peu plus accessible qu’à l’accoutumée, son sublime huitième disque, « Bleue »*, qui explore les sentiments liés aux relations amoureuses révolues, témoigne du désir de la chanteuse d’ouvrir un peu plus les portes de son intimité. Pour nous, elle a accepté de se raconter en trois mots clés.
PATRONNE
« J’ai un côté main de fer dans un gant de velours. J’ai l’air douce comme ça, mais dans mon travail, je peux être très ferme et directive. Je suis très exigeante, pour moi-même mais aussi pour les autres. Je peux attendre des heures et des heures avant qu’un musicien délivre la bonne note à la bonne intensité.
Des gens qui n’ont pas l’habitude de se retrouver en studio avec moi diraient sûrement que je suis une control freak (obsédée par le contrôle, NDLR). Mais je sais que le diable se niche dans les détails.
J’ai appris à me servir de toutes les machines d’enregistrement. Il existe deux avantages à cela : d’abord, personne ne peut “me la faire à l’envers” et, ensuite, cela me permet d’être indépendante quand mon ingénieur du son n’est pas à mes côtés.
Peut-être est-ce une façon, pour moi, de résister dans un milieu très masculin... Finalement, la seule personne avec qui je n’ai aucune envie de “gagner”, c’est ma fille (Nico, née en 2012, NDLR). Avec elle, je veux toujours être la perdante, j’aimerais qu’elle me dépasse en tout. »
TERRIENNE
« Je crois que, de l’extérieur, on pense que je suis quelqu’un de snob, de froid. Ce n’est pas du tout le cas. J’aime les blagues potaches et l’humour noir. Cela étant, il ne faut pas compter sur moi pour traîner dans les soirées branchées en robe multicolore.
Il y a une forme de sobriété dans mon image, je trouve qu’elle va bien avec ma musique. J’ai une vie simple, je suis une terrienne. J’aime cuisiner, toucher la matière, la campagne, la mer, me balader pieds nus... Je suis celle qui va en pyjama déposer sa fille à l’école. »
ENGAGÉE
« Je n’ai pas beaucoup de chansons engagées. On entend peut-être, en sous-texte, une sorte de message dans des morceaux comme Ton île prison, mais, dans l’ensemble, mon travail n’est pas militant. Je le suis déjà assez dans la vie ! Les gens qui me suivent sur Twitter le savent. Je n’ai pas peur de prendre parti, je donne souvent mon avis.
Et je descends régulièrement dans la rue pour manifester. Parce que je crois qu’on ne peut pas s’offrir le luxe de regarder ailleurs quand quelque chose de révoltant se passe.
Evidemment, je suis consternée quand je constate l’antisémitisme ambiant. J’ai l’impression que cela ne finira jamais. La façon dont certains parlent d’Israël me rend dingue. J’entends encore des gens dire : “Je n’irai jamais là-bas, je n’aime pas leur politique.”
Est-ce que ces gens s’empêchent de se rendre aux Etats-Unis depuis que Donald Trump est président ?
Et pourquoi ne les entend-on pas se révolter contre la politique de la Chine, de la Turquie ou de la Bulgarie ? La vérité, c’est que le sujet est toujours plus sensible quand il s’agit d’Israël.
Moi, je suis née en Israël, mais je suis athée. Eh bien, ça n’empêcherait personne de m’envoyer dans un train de la mort si l’on cautionnait de nouveau la persécution des juifs.
Je suis israélienne. Je suis hollandaise. Mais dans mes valeurs, je suis d’abord et avant tout française.
J’aime la France parce qu’elle défend un idéal laïque et républicain qui n’existe nulle part ailleurs dans le monde. C’est important de continuer de se mobiliser pour lui. »
UN DÉLUGE DE POÉSIE
Dans le huitième opus de Keren Ann, « Bleue », l’amour claque, coule et éclabousse. C’est de cela dont il est question dans « Nager la nuit », «Sous l’eau » ou « Ton île prison ».
Des ballades folks aux arrangements subtils, où cordes, piano, guitare et basse plongent l’auditeur dans les abysses des désillusions amoureuses de la chanteuse.
Avec Keren Ann, la mélancolie devient un refuge qui nous permet de mieux apprécier ensuite les moments de bonheur.
*« Bleue », Polydor, 15,99 €.
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