À Rouen, le plus vieux monument juif de France et l’un des plus exceptionnels d’Europe commence une importante restauration, nécessaire à sa préservation. Ce vaste monument juif datant d’environ 1100 a été découvert sous le parvis du palais de justice de Rouen......Détails........
Il est extrêmement rare de pouvoir contempler les traces des communautés juives du Moyen Âge. En cause, une histoire tumultueuse, au fil de laquelle les bâtiments juifs furent confisqués, réaménagés ou détruits, mais également la sobriété de l’architecture juive médiévale.
Celle-ci ne cherchait pas à se distinguer et témoigne de communautés qui étaient très assimilées.
Aussi, quand la « Maison sublime » fut découverte à Rouen en 1976, l’enthousiasme des archéologues et des historiens fut grand.
À l’occasion de travaux, un vaste monument juif – de dix mètres sur quinze – fut découvert sous le parvis du palais de justice.
Quelques mois plus tôt, l’historien américain Norman Golb avait mis en évidence l’existence, jusqu’alors inconnue, d’une importante communauté juive à Rouen, un centre intellectuel et commercial, rayonnant jusqu’au royaume d’Angleterre. Ce monument date d’environ 1100.
C’est l’un des vestiges extrêmement rare du passé juif médiéval en Europe, souligne Judith Schlanger, historienne et spécialiste du judaïsme médiéval (école pratique des hautes études).
La bâtisse, de type civil, se situait dans le quartier juif, dont les maisons étaient réparties de part et d’autre de la Rue aux juifs. « Ce n’était pas un ghetto, précise Judith Schlanger.
Le quartier était intégré dans la société environnante. On y trouvait des maisons de juifs et de chrétiens.
Mais les juifs se regroupaient de manière volontaire autour de leurs institutions pour la vie quotidienne et le respect des interdictions du sabbat. »
La Maison sublime tire son nom majestueux de l’un des 18 graffiti en hébreu présents sur ses murs, qui fait référence à un verset du Livre des Rois : « Que cette maison soit sublime (pour l’éternité). »
L’usage du lieu – dont seule la grande salle basse a été conservée – est encore discuté.
Synagogue ? École juive où la Torah était enseignée et transmise ? Maison privée louée pour un usage communautaire ? Les débats furent âpres entre spécialistes au lendemain de la découverte. S’ils se sont apaisés, les secrets de la Maison sublime n’ont toujours pas été percés…
En attendant qu’ils le soient, le monument se dégrade. Et c’est pour remédier à cette détérioration qu’un vaste chantier vient enfin de commencer. Paradoxalement, ces dernières années, le bâtiment a beaucoup souffert.
« Au début des années 1980, une grande crypte en béton a été construite pour permettre les visites, mais elle a rapidement été privée de son système de ventilation et une grande humidité s’est concentrée », explique Jacques Klein, délégué de l’association La Maison sublime de Rouen, qui a alerté sur l’état du monument au début des années 2000.
La fermeture du site de 2001 à 2009, en raison du plan Vigipirate, a encore accentué ce problème. La bâtisse souffre aussi de remontées d’eau du sol, par capillarité.
« Aujourd’hui, le taux d’humidité est proche de 100 % », s’inquiète Jacques Klein, en montrant au visiteur les gouttes qui perlent sur les poutres de la crypte.
Les travaux doivent permettre de faire redescendre le taux d’humidité, « et surtout de le stabiliser pour éviter les chocs thermiques pouvant entraîner l’éclatement des pierres », explique Jacques Klein.
La restauration prévoit aussi le nettoyage des pierres, la préservation des inscriptions et l’aménagement d’un parcours de visite (ascenseur, mise en lumière, scénographie…).
Cet exceptionnel vestige médiéval sera ainsi mis en valeur. « Par sa taille et sa conservation, la Maison sublime offre vraiment une ambiance unique », souligne Judih Schlanger.
Cette bâtisse aux murs épais – jusqu’à 1,6 mètre – est impressionnante par ses dimensions, tout comme par le soin qui fut apporté à sa sobre décoration : fenêtres, colonnes, bases sculptées de motifs géométriques ou de détails inspirés des psaumes…
Entre ses murs, on peut imaginer la vie d’une communauté de lettrés, où se croisèrent des savants réputés, comme Rashbam, petit-fils de Rachi de Troyes, ou l’Andalou Ibn Ezra, mathématicien, astronome, exégète et poète. « Les graffiti sont vraiment très touchants, car ce ne sont pas des inscriptions officielles, mais des traces informelles de la vie de cette communauté », pointe Judith Schlanger.
En 1306, l’expulsion des juifs de France par le roi Philippe le Bel mit fin à toute cette vie intellectuelle et religieuse.
Beaucoup de savants partirent vers Marseille, la Provence, la Savoie ou à l’étranger. L’année suivante, le bâti juif spolié fut revendu à la ville de Rouen pour une somme dérisoire.
Par Élodie Maurot
Source La Croix
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