On poireaute sous le soleil, dans une courette pavée du XIe arrondissement. Pour s’excuser de son petit retard, André Zeitoun, une des figures emblématiques de la boxe thaï en France, vient d’envoyer un de ces SMS dont il a le secret : truffé de smileys américains, de fleurs multicolores et de mains jointes en prière......Détails........
Un genre de melting-pot 2.0. L’ancien boxeur devenu entraîneur de renom déboule, ouvre les portes de sa salle et remplit tout d’un coup tout l’espace. Râblé, rond, roublard, rieur.
Depuis 1990, cet étrange mélange de rigueur zen et de tchatche espiègle a formé 21 champions de France, 6 champions du monde et 4 champions d’Europe de muay-thaï.
Ados bien ou mal dans leur peau, stars à la recherche d’un corps blindé et d’un esprit retapé, patrons ou politiques friands d’un sport complet. «La boxe est un sport, la boxe thaï est un art», corrige gentiment le coach.
Créée en 2005, son école, la Team Zeitoun, voit défiler des profils bigarrés. Une communauté soudée par celui qui ne veut pas être appelé «gourou» même si c’est bien imité.
«André donne beaucoup et parle vrai. C’est simple, les gens l’aiment», résume Christian Bahfir, ancien grand champion qui fut son prof.
Né en Israël il y a cinquante-deux ans, d’un père juif tunisien, qui représenta l’Etat hébreu en boxe anglaise aux JO de Rome en 1960 et d’une mère maltaise «blonde aux yeux verts, du miel et des diamants», André (et ses sept frères et sœurs) a poussé à La Courneuve.
Cité des 4 000. Il cumule toutes les gouailles de la Méditerranée. Sifflote l’air des Sharks contre les Jets de West Side Story quand il parle de «sa» banlieue, où toutes les nationalités se mélangeaient, des «Yougos» aux Nord-Africains en passant par les «feujs».
Les mères des uns sont les «tatas» des autres, peu importe la couleur et la foi. La Courneuve, «c’était la classe», des barres monolithiques mais modernes, des boutiques, comme le Saveco, mélange de Monop et de Lidl, «l’immeuble de M. Lajoinie du PCF» (prononcez «pésséhèfe») et des bandes qui tenaient les escaliers. Des petites frappes au grand cœur.
Des embrouilles d’oseille et de filles, mais pas plus. André crèche «escalier K» avec les siens.
«On ne parlait pas racaille mais verlan, et même javanais», s’enorgueillit l’entraîneur au phrasé de human beatbox sous amphétamines. A son arrivée en France, au début des années 70, il ne baragouinait pas un mot de français et maîtrise aujourd’hui une demi-douzaine de langues étrangères. Babel-homme.
Shooté à l’héroïne, son quartier change dans les années 80, ce qui le décide à mettre les voiles pour s’installer à 17 ans dans une soupente parisienne. «Des potes morts, on en a ramassé… Ce n’est pas une évolution qu’a vécue la banlieue, mais une "désévolution", déplore l’enfant de la cité. Et aujourd’hui, la religion sape tout.»
Lui a été juif ultrapieux et ultrapratiquant jusqu’à l’adolescence, avant de plonger dans le bouddhisme.
L’acteur David Carradine et son «petit scarabée» lui ouvrent les portes de l’Asie via l’écran noir et blanc familial, et surtout celles du centre culturel Houdremont. A la recherche d’ouvrages sur les arts martiaux, le jeune André découvre les «livres écrits par les hommes et pour les hommes», Fluide glacial et les comics américains. Une bouffée d’ailleurs loin des textes sacrés. Exit la religion, il se met à croire en lui, sans béquilles.
«Il est arrivé au club [de la rue Jules-Vallès dans le XIe] à 14 ans, tout seul, raconte Daniel Allouche alias «The Voice», commentateur légendaire de boxe sur Canal + et l’un des pionniers de la boxe thaï en France. On n’avait jamais vu personne de cet âge-là à cette époque. Il ne lâchait jamais.»
André Zeitoun fait les marchés le jour, s’entraîne la nuit avec des réfugiés laotiens et cambodgiens, et passe ses vacances à bosser dans une ferme bretonne pour se payer un «billet open» pour Bangkok. Où il part, seul encore, au milieu des années 80.
Trente ans plus tard, loin de toute sociologie géopolitique (et vice versa), Zeitoun le laïque multiculturel analyse à sa façon le communautarisme qui fracture les quartiers : «Les gens, pour ne pas être esseulés, veulent faire partie d’un groupe.»
Ce qui peut donner le pire (l’intégrisme) comme le meilleur (la salle de sports). Derrière les murs de son école, le coach recrée cinq jours sur sept son creuset original.
Niveaux et CV restent au vestiaire, tout le monde s’entraîne ensemble. «On ne doit pas venir à la salle pour être fort mais pour être heureux», professe «Master» Zeitoun, qui a tâté du commentaire télé, rédigé pas mal de bouquins et publie une Minute muay-thaï (qui en fait généralement 15) hebdomadaire sur YouTube.
Parlant de technique, de nutrition et de valeurs. «Il y a deux lieux sacrés dans la vie : la salle et la maternité», dit en souriant ce père de trois enfants «chéris» et grand-père gaga.
Côté show-biz, Nicolas Duvauchelle et Samuel Le Bihan sont passés par la Team Zeitoun. Venu pour le «cardio», Manuel Valls a eu droit à des cours particuliers. Mais François Hollande, que ses proches voulaient «dynamiser», n’a jamais donné suite. Des socialistes, l’honneur est sauf !
Car Zeitoun est de gauche, bien entendu : «Quand tu grandis dans la cité, ce truc du partage et de la solidarité, normalement, ça te met sur les bons rails politiques.»
Plus Rocard que Mitterrand, mais impossible de savoir pour qui il a voté en mai dernier. En vrai, le «truc» d’André, c’est «PMF», Mendès France qui a négocié la décolonisation de la Tunisie, sa troisième patrie, sans verser une goutte de sang : «Un vrai homme de paix.»
Comme s’il fallait toujours rattraper le faux départ et les études abandonnées, lui qui ne boit jamais une goutte d’alcool donne dans le «binge culturing» : quand il aime, il lit tout, voit tout, va partout. Pour satisfaire sa passion pour Gropius et le Bauhaus, il file à Dessau, l’un des épicentres de l’école internationale, entre Berlin et Leipzig.
Quand il «tombe croque love» de l’écrivain israélien Etgar Keret, auteur de nouvelles mêlant absurde et ironie ainsi qu’une comédie musicale où Nétanyahou dévore son frère, l’entraîneur se débrouille pour le rencontrer à Paris. Mais son amour le plus immodéré va au pape des impressionnistes. «Monet Monet Monet», se marre Zeitoun frottant ses mains sur des billets imaginaires en mode rappeur.
L’ancien «bad boy speed», qui fond devant les marines aux tons pastel, a poussé son admiration jusqu’à dormir dans la maison du mentor de Monet, Eugène Boudin, à Honfleur.
Au lieu dedéjeuner sur l’herbe,André Zeitoun y a organisé un entraînement de muay-thaï avec deux boxeurs coréens. On ne se refait pas.
15 avril 1965 Naissance en Israël.
5 novembre 1980 Inscription au Yamatsuki Club.
1988, 1995 et 2006 Naissance de ses enfants : Leslie, Noam et Lena.
24 octobre 2016 Naissance de sa petite-fille, Rose.
Source Liberation
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