Je suis juive. Je n’ai aucune idée de ce que ça signifie. Je cherche. J’ai l’impression que c’est un post-it qu’on m’a mis sur la tête de force, comme quand on joue au jeu du “Qui suis-je ?” en colonie de vacances, sauf que moi j’avais pas trop envie de jouer ce jour là....
Certains sont Pamela Anderson, d’autres Nicolas Sarkozy ou Bob L’éponge, et moi je suis là, avec mon post-it jaune entre mes deux sourcils où y a marqué à l’arrache “Juive” au Stabilo noir. Ce putain de post-it arrête pas de tomber de mon front. Et à chaque fois, j’essaye de le recoller, mais ça ne marche pas bien.
Enfant, on m’a dit que j’étais juive.
Que Papa était juif. Que Maman était juive. Et que toute ma famille était juive depuis des millions d’années, voire depuis la nuit des temps. On m’a aussi dit qu’il fallait que je sois fière d’être juive. Mais je crois que je n’ai pas trop compris pourquoi. On a essayé de me faire comprendre aussi, style l’air de rien, *clin d’oeil appuyé*, que les juifs, ils déchiraient grave. Qu’on est un peuple super malin, un peuple qui se relève à chaque galère, qu’on est intelligents et méga rares aussi, parce que, en résumé, d’après ce que j’ai compris, pour de mystérieuses raisons, on fout grave le seum aux gens et après ils ont vraiment très envie de nous buter.
Du coup, petite, quand je m’imaginais “les juifs”, j’imaginais Tom et Jerry. Jerry, elle fout tellement la rage à Tom, que Tom il a super envie de lui faire la peau. Elle se cache tout le temps mais en même temps elle est super fière et arrive toujours à s’en sortir. Tom, il ne lui simplifie pas la vie. Bon ben apparemment, “les gens”, c’est pareil, ils simplifient jamais la vie aux juifs, y a toujours un moment ou ça devient tendu. Mais ça n’a jamais été clair pourquoi.
Bref, quand j’étais gosse, vu ce qu’on m’a raconté, je me suis dit que les souris malignes de la terre, elles devaient, elle aussi, être juives sans doute. Du coup j’ai développé une grande compassion pour les rongeurs. Donc en gros ce qu’on m’a dit, c’est qu’on était plus des masses au final sur la terre, ce qui nous rendrait donc *uniques*. Des sortes d’animaux en voie de disparition, mais ça collait pas trop avec mon histoire de souris, alors ça m’a un peu saoulé. Mais que par principe, on est censé se “serrer les coudes” et se protéger entre nous, sinon personne allait le faire pour nous. Et moi j’imaginais un groupe de souris qui s’organisaient autour d’une table. Genre entre juifs, on doit s’entraider, et on devrait théoriquement accueillir les gens qui ont pas à manger pour le shabbat ou une histoire du genre.
Moi, le shabbat, déjà le nom, je trouvais que c’était une galère.
Je confondais le mot Shabbat avec le prénom du bébé de Samantha dans la série “Ma sorcière bien aimée”, Tabatha. Tu me diras, ça rime pas, mais dans ma tête, shabbat et Tabatha, y’avait un truc similaire. C’est juste que y a pas le “s” dans Tabatha, tu vois. Sinon y a toutes les autres lettres, donc quelque part j’avais un peu raison, suffit de remettre les lettres dans le bon ordre. Et puis je crois que j’ai vu une menorah (un chandelier juif à sept branches) dans la série. Aussi toute la série tournait autour du nez de Samantha, et on raconte beaucoup d’histoires sur les nez juifs, alors va savoir, j’ai tout confondu.
Laisse tomber, j’étais grave dégoûtée quand j’ai réalisé que y’avait absolument aucun rapport entre Ma sorcière bien aimée et le shabbat. Donc j’ai commencé à pas kiffer du tout, mais alors du tout, cette histoire. J’ai fait un rejet. Sans blague, je refusais de me lever pendant le shabbat. Moi, je restais assise. Et mes parents me disaient de me lever et je tapais un scandale, et plus ils m’obligeaient et plus je me disais que tout ça, c’était de la merde.
J’ai toujours été une tête à claque. Je sais pas, franchement j’aimais pas. Je comprenais pas à quoi rimait ce cirque. Mes parents pouvaient pas se saquer et on allait quand même pas faire semblant de tous bien s’entendre les vendredis soirs. Ça me semblait être du bon sens. Ils ont pas été foutus de m’expliquer ce qu’on était en train de foutre et qu’est ce que je foutais plantée là debout. J’avais mal aux jambes et j’avais la dalle, mince.
J’étais pas docile et il fallait des bonnes raisons pour me faire faire quoi que ce soit. Et puis le fameux invité surprise, le mec en galère qu’on allait aider parce que tu vois on a bon cœur, le seul truc qui m’excitait un peu, on l’a jamais vu et ça m’a pas plu non plus. En plus de ça, c’était n’importe quoi, une fois que la prière était terminée, on bouffait et dix minutes après mes parents allumaient la téloche pour ne pas avoir à se parler. Alors shabbat, ouais ouais. Autant vous dire qu’on l’a pas fait très longtemps. Ils ont vite abandonné.
Maintenant, je regrette parfois de ne pas être une shabbat-girl, parce que, woah, quel kiff de pouvoir dire à la terre entière : “ MOI, LE SAMEDI C’EST CIAO LA TECHNOLOGIE. Injoignable, sorry.” Le Shabbat en vrai c’est du luxe, s’autoriser à se déconnecter, ça n’a pas de prix. Mais à l’époque, j’étais pas voyante et j’avais pas capté que ça allait pouvoir me servir pour esquiver ma vie le samedi quand je serais grande, c’est con. Je me sentirais vraiment trop mytho aujourd’hui de commencer si tard.
Les adultes, ils ne savent pas parler aux enfants. Il aurait suffit de me dire : “Ecoute Dora, c’est simple, de vendredi soir à samedi, y a pas de devoir d’école et pas de cahier de vacances pendant l’été ” et l’histoire aurait été réglée ! C’est bon, en deux minutes, je l’aurais apprise par cœur la prière. Ça se trouve je serais religieuse aujourd’hui. Suffit de savoir me prendre par les sentiments.
Mais le vrai mindfuck, il est arrivé quand on m’a expliqué qu’être juif c’était un peuple mais aussi une religion. Alors là, les gars, j’ai plus rien compris.
Moi jusque là, j’avais capté qu’être juif, c’était comme être Français. Enfin ma mère est née en Israël, donc ça avait du sens, juste au lieu de dire Israélien on disait juif, parce que bon les adultes, c’est pas toujours trop logique. J’ai donc demandé à mes parents s’ils croyaient en Dieu, comme Marie de La Villegeorge dans ma classe, qui était à fond dans Dieu et le Christ et qui vouvoyait sa mère. Mes parents m’ont dit qu’ils ne croyaient pas en Dieu, mais que quand même, le dieu juif, il était pas le même que le dieu catholique et que le Christ il était juif avant et qu’il a ensuite vrillé le pauvre ami. Déjà si ils y croyaient pas, comment ils savaient que c’était pas le même avec un autre déguisement ? Ça me semblait un peu gros cette histoire.
Puis, je me suis sentie coincée dans un délire ultra chelou. Donc j’étais juive et fallait surtout pas que je l’oublie, parce que on s’était tellement fait buter la gueule, on était morts par millions dans des chambres à gaz, transformés en savons, et avant ça les Égyptiens ils nous l’avaient bien mis à l’envers aussi, alors maintenant on avait notre fierté et c’était très important de continuer à toujours en parler parce que fallait vraiment pas que ça recommence, mais par contre on était pas religieux. Dieu, D.ieu, ou dieu, on en avait rien à carrer.
J’avais l’impression que j’étais juive parce que les autres avaient essayé de nous tuer, parce que si on était pas religieux, c’était que ça qui me rendait juive alors, et j’étais pas sûre que c’était une bonne raison de s’accrocher à toutes ces horreurs. J’avais l’impression que si on continuait à vivre dans la névrose pour le restant de l’humanité, les méchants auraient gagné. Ça m’a vachement angoissé. Puis je me suis dit que c’était des histoires de grandes personnes et qu’un jour je comprendrais peut être.
La première fois que j’ai capté qu’être juive, ça changeait vraiment un truc par rapport aux autres enfants…
C’est quand on m’a dit que j’avais pas besoin d’aller au catéchisme à l’école et qu’on viendrait me chercher le mercredi après midi et que j’avais pas besoin de taper la bise au prêtre. Au début, j’ai été super déçue. Je veux dire, le prêtre, il avait l’air tellement sympa, alors pourquoi est-ce-que sous prétexte que j’étais juive, je pouvais pas lui taper la bise moi aussi ? J’ai trouvé que mes parents étaient sacrément coincés du cul. Je lui ai fait la bise en secret plein de fois.
Mais après coup, j’ai commencé à trouver ça plutôt stylé de pas avoir à me taper le catéchisme, car je me suis rendue compte que les autres gosses après un mois de cours, ils avaient tous très envie d’être juifs eux aussi, pour ne plus y aller.
“ T’as de la chance d’être juive” on m’a dit. C’est la première fois que j’ai ressenti de la fierté à être juive. Je faisais partie du clan cool des gosses qui pouvaient passer les mercredis à jouer à la Barbie au lieu de parler de Jésus.
Quand j’ai eu 7 ans on a déménagé en Allemagne
On était en 1994. Et je me rappelle que ça a pas plu du tout à mon grand-père Igal. Igal, c’était un super grand-père mais fallait pas trop que j’ouvre ma gueule au sujet des juifs et d’Israël, parce qu’on était jamais d’accord. Le pauvre, à l’époque, je mesurais pas ce qu’il avait vécu et je comprenais pas trop son amour surpuissant pour Israël. Il disait que Tel-Aviv c’était le New York d’Israël, et je lui ai dit que fallait pas déconner quand même. Alors le dîner est parti en cacahuètes, je crois qu’il a vraiment du se dire que mes parents avaient raté mon éducation juive.
Igal, c’était un gosse de la Shoah, ses parents d’origine polonaise avaient du l’abandonner avec sa sœur pendant la guerre. Igal et Charlotte avaient traversés la forêt avec un passeur pour arriver en Suisse dans une maison d’enfant et être sain et sauf, le temps que la guerre passe. Ils ne savaient pas si un jour ils reverraient leur papa et leur maman. Puis un jour ils les ont retrouvés. La guerre s’est terminée.
Et puis Igal est devenu sioniste, il était jeune et utopiste et les jeunes juifs avaient envie de construire un pays pour eux, Israël. Les gens utilisent le mot “sioniste” comme si c’était le synonyme du Diable, mais crois-moi, j’aime les Palestiniens aussi, j’aime tous les humains, je suis une HUMAINE avant d’être quoi que ce soit d’autre, et j’ai même déjà été en Palestine parce que j’aime voir les choses avec mes propres rétines. Mais je crois que le sionisme au début c’était une jolie utopie, qui s’est un peu ramassée.
En tout cas, le jour ou ma mère a dit à mon grand père qu’on se cassait vivre en Allemagne, il a pas été content. Les “boches” c’était pas trop son délire. Il a pas trouvé ça bien du tout, ça lui a fait mal dans son cœur. Le drame était trop récent. C’est la première fois que j’ai compris que c’était grave pour lui, même si il s’en foutait de Dieu.
Une fois, quand on était en vacances en Israël, mes grands parents ont voulu m’obliger à aller au musée de la Shoah pour voir des images horribles.
Mais j’ai fait une crise devant, j’ai tapé une colère et j’ai refusé de rentrer. Je me suis roulée par terre, j’avais 12 ans. J’aimais pas qu’on veuille m’obliger à être juive. J’aimais pas ce sentiment d’être à la fois l’élue et le martyr, je comprenais pas le sens, ça me mettait très très mal à l’aise. Je voulais décider qui j’étais, sans le passé des autres, mais avec du recul, je suis vraiment désolée pour mes grands-parents, ça a du être horrible pour eux de me voir vouloir renier leur douleur et leur passé.
Ma grand mère Shoshana, a aussi été cachée, en Belgique
Sa mère, allemande, l’a abandonnée pour fuir et elle a été éduquée par des catholiques jusqu’à ses 17 ans. Elle n’a pas pu aller à l’école parce que c’était sans doute trop risqué de l’y mettre. À 17 ans, elle s’est barrée pour retrouver sa mère biologique qui avait filé en Israël. Elle a pris un bateau clandestin, comme ceux dont on parle souvent, de Chypre à Israël. Puis elle a retrouvé sa mère, mais sa mère en avait rien à foutre cette garce.
Alors ma grand-mère a été au kibboutz. Le kibboutz, c’était un système communiste où pleins de jeunes sionistes ont atterri. C’était un Club Med de travailleurs, une sorte de système de Woofing, si tu veux, pour aller vite.
L’ idée c’est que tu venais là pour “construire” Israël, donc tu faisais de la production de pommes par exemple, de ponts, ou sinon t’étais berger. Bref tu contribuais à cette société naissante. T’avais pas vraiment de cash, tout était en commun. À la bonne franquette juive. Igal et Shoshanna se sont rencontrés là-bas, et ma mère est née dans l’enceinte du Kibboutz en Israël.
Ma mère, elle a un rapport bizarre au judaïsme. Elle a le passeport israélien et elle a été éduquée avec des parents sionistes qui ont un passé pas marrant quand même. Elle a été dans des camps de jeunesse juifs genre Hachomer Hatzair, mais je sais pas ce qui c’est passé, en devenant mère, elle a pas eu envie de nous éduquer là-dedans. Ma sœur et moi on a pas fait de bat mitzvah.
Et en même temps, j’ai l’impression que parfois elle le regrette. Mais je comprends, peut être que le poids du passé de ses parents était trop lourd à porter et à digérer. Ses parents étaient des gosses de la Shoah, des gosses d’Israël, et pas des traditionalistes, pas des croyants. Sans doute, parce que la tradition juive, la foi, et le sionisme c’est en fait trois choses différentes mais trois choses liées. Et tu peux te sentir juif pour toutes ces raisons là.
Chez les juifs, t’as les Ashkénazes et les Séfarades
Les Ashkénazes c’est le Nord et l’Est. Et les Séfarades c’est le Sud, plutôt le Maghreb, l’Espagne, tout ça… C’est pas les même traditions. Du côté de mon père, on est des Séfarades d’Algérie. Des pieds noirs. Ils sont traditionalistes, mais pas religieux. Y a pas de Dieu non plus dans cette histoire. Ma grand-mère paternelle fait un max de plats et puis elle adore faire les fêtes juives, c’est des moments de partage. Pessah, Kippour, Hanouka. Franchement je dis ces mots, mais pour de vrai, je sais à peine ce que toutes ces fêtes représentent.
Bon ok je sais vite fait. Pessah c’est la sortie d’Égypte (heureusement que y a eu Le Prince d’Égypte en dessin animé), Kippour c’est quand, super, il est temps de repenser à toutes les merdes que t’as fait dans l’année pendant que tu jeunes, et Hanouka, honnêtement, j’en sais rien, c’est le moment ou ma grand-mère fait les meilleurs gâteaux de la terre. Makrouds et cigares.
En tout cas, moi, je sais rien cuisiner. C’est la honte. Et j’ai absolument aucune idée de comment tu fais les rituels des fêtes. Je l’ai vu, sans l’apprendre, sans le comprendre. Je me suis d’ailleurs rendu compte que mon père non plus d’ailleurs. Quand Jacques, mon grand-père paternel est mort, mon père a du s’y mettre, et franchement, il est pas doué. Pourtant lui, il a été éduqué dans la tradition, il a fait shabbat tous les vendredis soirs de sa vie jusqu’à ses 25 ans.
Mais c’est un peu comme ma mère, il a à sa façon un rapport étrange au judaïsme, comme s’il avait eu un “choc”, un rejet, comme s’il était un déraciné. Enfant, lui et ses parents ont du tout abandonner en Algérie pour repartir de zéro à Sarcelles. Et je sais qu’il ne l’a jamais digéré. Cette famille est en train de perdre le fil et j’ ai l’impression que je ne pourrais jamais le rattraper.
Je me sens quelque part responsable de devoir continuer la tradition et de devoir défendre Israël. Pour mes grands-parents, par respect.
Mais en même temps, je n’aime pas le concept de clans, de religions, je n’aime pas le communautarisme. C’est comme si j’avais un double visage, une schizophrénie vis-à-vis de ce sujet. Si je tombe sur un non-juif qui dit du mal des juifs et d’Israël de façon non justifiée, je vais devenir très juive, pro-Israël et tout le tintouin. La situation tendue en France peut y pousser.
Si je tombe sur un juif qui dit que de la merde sur le reste de la planète et qui a un discours “brainwashed”, alors je vais lui dire que lui et ses potes juifs ils pensent que de la merde, et je risque même de devenir un peu antisémite, Je vais lui dire d’aller mourir dans son clan de consanguins en lui disant: “bah bravo, voilà pourquoi on nous déteste, imbécile”.
Mon rapport au judaïsme est insupportable
J’ai une certaine fascination et une soif d’information sur cette culture juive, et en même temps, j’ai le sentiment que c’est trop tard et que demander des informations à d’autres juifs me fait passer pour une imposture totale.
J’ai eu tellement honte parfois, que un jour, j’ai été à la Fnac acheter “Le judaïsme pour les nuls”. Mais je me suis endormie en le lisant et après j’ai eu la flemme.
J’ai l’impression de ne pas être légitime en tant que juive. Parfois je me suis demandée si certains juifs n’étaient pas en train de se demander si je mentais sur le fait d’être juive.
Quand un juif vient chez moi, je suis toujours terriblement gênée, car chez moi et mes parents, on a pas de mezouza devant la porte. Une mezouza, c’est un truc que les juifs mettent devant leur porte, c’est un petit étui qui tient un parchemin dedans. C’est censé protégé la maison et parfois les juifs l’embrassent avant de rentrer chez toi. Je me sens toujours obligée de me justifier : “Oui je sais, on a pas de Mezouza”.
Et la schizophrénie recommence. En même temps, j’ai pas envie d’en mettre une. Je trouve imbécile de dire à tout ton immeuble que t’es juif avec un étui. Ca va, c’est bon, personne a besoin de le savoir, on connait les dégâts. Et là, PAF ! Ma réflexion devient en fait très juive. Oh je ne comprends rien. Qu’est ce qui me rend juive ? Merdier !
Je suis sortie quelque fois avec des mecs juifs et ça a été l’enfer
En même temps, il y a quelque chose qui m’attire, c’est irrésistible. Mais c’est pourtant plus facile pour moi de sortir avec un mec musulman. Car au moins c’est clair depuis le jour un que j’y connais absolument rien. Je vais faire n’importe quoi, je vais faire que des erreurs s’il ne m’ explique pas. Tandis qu’avec un juif, enfin comment lui dire… Que t’es juive parce que coucou le post-it sur la tronche et salut le putain de passé familial que je me trimballe, mais qu’en vrai, je sais rien ?
Que ça m’intéresse un peu, mais bof, mais ça m’angoisse, mais ça me stresse mais ça me fascine, mais je vous déteste, mais je vous aime.
Et puis comment accepter le fait que t’es juive juste parce que. Et que tes enfants seront donc juifs ? C’est une responsabilité que je trouve lourde de savoir que mes enfants seront théoriquement juifs (transmission par la mère) même si j’épouse quelqu’un de non-juif. C’est dur à porter. Je ne veux pas qu’une autre génération se tape un post-it sur le front sans savoir pourquoi, sans se sentir à l’aise avec le titre.
Je me sens totalement incapable de les éduquer là-dedans et je ressens un certain devoir pourtant. Sinon je termine la lignée. C’est peut être pour ça que j’essaye avec des mecs juifs, pour qu’ils prennent en charge ce que moi je ne me sens pas capable d’assumer. Comme si ils avaient le pouvoir de sauver ma famille du crash.
Pourtant, moi et les juifs ça ne marche pas. Je me suis toujours sentie rejetée car je ne suis jamais “assez juive”. Quand j’étais ado, tous les chalalas se foutaient de ma gueule car j’avais les cheveux roses et des piercings, et que j’en avais rien à foutre de leurs joggings California truc, de leurs Converse et de leurs bandanas dans les cheveux.
Je crois que mon ex, Adam, n’a jamais voulu m’inviter à un shabbat avec ses parents et ses amis, car il savait qu’il y avait moyen que je fasse n’importe quoi et tout le monde aurait remarqué que j’étais une juive en carton.
J’ai souvent envie de dire que je suis une athée d’origine juive mais le judaïsme est l’une des seules “religions” ( quel mot faut il utiliser ?) où il est possible d’être athée et juif à la fois. C’est sans doute pourquoi je trouve que c’est une identité si compliquée à porter.
Dire “d’origine juive” ne serait pas juste, bien que je sois régulièrement tentée d’utiliser cette expression pour me débarrasser du fardeau.
Il faut peut être alors mieux savoir jongler avec les mots et commencer à parler de judéité au lieu de judaïsme. Et accepter que la judéité n’est au final ni seulement une croyance, ni seulement une conviction, ni seulement un Livre, ni seulement une histoire, ni seulement un pays, ni seulement un style de vie. C’est un mélange de tout et de rien, où chacun pioche.
Je crois que la meilleur façon de décrire cette identité torturée et aux multiples facettes serait de dire qu’au final, la judéité est peut être juste un état de l’existence.
Dora Moutot
Source JewPop