jeudi 31 décembre 2015

J’ai vu « Je compte sur vous » de Pascal Elbé




Quand mon boss m’a dit « Sharon, tu files à l’avant-première de Je compte sur vous et tu me fais un papier pour mercredi ! », j’avoue ça puait le traquenard. Chroniquer un film inspiré de la vie trépidante de Gilbert Chikli, le « père de l’escroquerie au président » réfugié aujourd’hui en Israël, réalisé par Pascal Elbé, parrain emblématique de la Tsedaka, avec au casting Julie Gayet...



Merci du cadeau empoisonné. Un mot de travers et je suis bonne pour me faire flinguer de tous les côtés. Mais bon, le boss sait aussi me prendre par les sentiments, j’ai nommé Vincent « bombaz » Elbaz, dont je suis amoureuse depuis Le Péril jeune et La Parenthèse enchantée, qui était présent dans la salle avec l’équipe du film. Et ça, ça compte pour moi. 
Si vous ne connaissez pas Gilbert Chikli, c’est que vous ne regardez pas Envoyé Spécial. Ni i24News, mais ça c’est normal. Chikli, roi de l’arnaque téléphonique, dont la tchatche phénoménale lui a permis de soutirer des millions d’euros à des directeurs d’agences bancaires et hauts cadres de multinationales, avec un art consommé de la manipulation.
Aujourd’hui peinard au soleil d’Ashdod, dans sa villa avec piscine et écran plat géantissime trônant sur le mur du salon. Enfin, peinard, si l’on tient compte des gardes du corps, anciens des unités spéciales israéliennes, uzi posés sur les genoux et postés à l’entrée de la villa en cas de visite intempestive de la mafia israélienne pour ses bonnes œuvres. 
Un personnage ambigu, séducteur, dont les apparitions télévisuelles font pousser des cris d’orfraie à certains membres de la communauté juive française, qui tels des pucelles effarouchées, découvrent avec horreur que l’on peut être juif et malhonnête (et échapper à la justice française en se réfugiant en Israël), et s’époumonent sur les réseaux sociaux en appelant à boycotter le film (sans l’avoir vu) au prétexte qu’il donnerait une « mauvaise image des juifs et d’Israël ».
Rappelons que la Yiddish Connection ne fut qu’une association de promotion du foie haché (ce qui ne serait pas complètement faux, en considérant que les foies en question étaient ceux des cadavres qu’ils laissaient derrière eux), que les frères Zemmour furent de grands donateurs de la synagogue des Tournelles, et que la mafia israélienne n’est qu’une légende colportée par les antisionistes. 
C’est l’histoire de cet escroc charmeur, « cruellement drôle » comme le qualifie Pascal Elbé, qui est contée dans Je compte sur vous, phrase qu’assène Vincent Elbaz à ses victimes en guise de coup de grâce.
L’acteur porte le film sur ses (magnifiques) épaules (même si l’on regrette le trop peu de scènes où il est si sexy en débardeur), avec le talent d’un Vittorio Gassman dans Il Mattatore de Dino Risi.
Cette verve des années d’or de la comédie italienne, le réalisateur l’a en ligne de mire dans la première partie du film, où l’arnaque se déroule sous nos yeux ébaubis jusqu’à atteindre des sommets tragi-comiques. Avec au passage une vision de Tel-Aviv terriblement photogénique.
Pascal Elbé a toutefois le bon goût de ne pas sombrer dans l’empathie totale pour son personnage principal, montrant combien son addiction à l’arnaque en fait un psychotique qui, outre les traumatismes causés à ses victimes dans la réalité, dont bon nombre furent licenciées ou sombrèrent dans la dépression, détruit au passage sa famille dans cette fiction.
Une famille incarnée par un casting¹ impeccable, avec Nicole Calfan parfaitement paradoxale en mère juive mal-aimante, Ludovik, pour son premier rôle au cinéma, très juste en petit frère admirateur et complice, le jeune Léo Elbé émouvant en fils meurtri par les mensonges de son père, et Julie Gayet surprenante en épouse malheureuse. Julie Gayet dans le rôle de « Barbara Perez », c’est un peu comme si Elisa Tovati incarnait Nora dans Une maison de poupée d’Ibsen.
On a du mal à l’imaginer préparer la pkeila pour shabbat. Julie, pas Elisa. Mais passé le moment de surprise, on se laisse prendre au jeu et on admire au passage l’actrice en délicieux bikini, se prélassant au bord d’une piscine en lisant le fascinant roman de Juan-José Saer Glose.
Malgré une petite faiblesse scénaristique qui provoque des moments de flottement après les épisodes d’arnacomédies, comme si le réalisateur insistait trop longuement pour nous expliquer qu’il y a une morale à cette histoire, Je compte sur vous devrait séduire le public, et confirme, s’il en était besoin, l’immense talent de Vincent Elbaz.
Oui, je sais, vous allez dire que j’essaie de vous arnaquer et écris tout ça parce que j’aimerais bien pécho Vincent. Faites-moi confiance. Je compte sur vous pour aller voir le nouveau film de Pascal Elbé.
 
Sharon Boutboul


Source JewPop