dimanche 1 mars 2015

Leonard Nimoy, Spock yiddish...

Leonard Nimoy, Spock yiddish

Lorsque Leonard Nimoy publia en 1975 son autobiographie «Je ne suis pas Spock», les fans de Star Trek furent outrés par le titre. L’acteur décida vingt ans plus tard d’écrire un second tome intitulé cette fois «Je suis Spock». Jewpop revient sur l’entreprise artistique, profondément empreinte de judaïsme, de l’homme complexe qui imprima sa marque et son salut Vulcain des Cohanim à des générations de Trekkies...



Né à Boston dans une famille juive orthodoxe originaire d’Ukraine, Leonard Nimoy a raconté son enfance à l’écrivain Abigail Pogrebin dans un ouvrage publié en 2005, Stars of David : Prominent Jews Talk About Being Jewish.
«“Sale juif” était une insulte que j’entendais souvent enfant» se souvient l’acteur, qui explique que ses parents, ayant quitté la Russie à cause des pogroms, lui conseillaient toujours de la jouer «profil bas». Son enfance baigne dans le yiddish, seule langue parlée par sa grand-mère, qu’il apprend, parle et lit couramment.
Un grand-père tailleur de cuir, un père coiffeur… l’univers de Leonard Nimoy est celui d’une famille nombreuse issue du shtetl, qui vit frugalement et lui transmet les valeurs du judaïsme.
La notion de «sécurité» est au cœur de l’éducation qui lui est donnée, et Nimoy confie que ses parents, craignant pour son avenir, ne l’encourageront pas dans son désir de devenir acteur. Cette «sécurité», il la trouvera pourtant grâce à Star Trek, qui fera de lui un multimillionnaire.


Bien que diffusée seulement durant 3 saisons, de 1966 à 1969, la série télévisée de science-fiction créée par Gene Roddenberry, qui voulait à l’origine confier le rôle de Spock à Martin Landau (Mission Impossible), n’a jamais vraiment quitté les écrans, emblématique d’une culture pop qui traversera les générations. 10 films (Nimoy jouera dans les 6 premiers, et réalisera les 3ème et 4ème volets), 4 nouvelles saisons de la série, un dessin animé, des rediffusions à gogo, des figurines, costumes, conventions, parodies, apparitions dans 2 épisodes des Simpsons, jusqu’à la sitcom The Big Bang Theory, dans laquelle le personnage de Sheldon Cooper est obsédé par Leonard Nimoy, au point de ne plus avoir le droit de l’approcher par décision de justice, Spock est partout ! Même ses oreilles se vendent à prix d’or sur eBay.


Comme dans toute bonne histoire juive, Nimoy raconte que ses parents reconnaîtront enfin la réussite de leur fils lorsqu’ils le verront jouer le rôle de Tevye dans Un violon sur le toit, sur une scène de Boston en 1971. «Star Trek», explique-t-il, «c’était trop loin de leur univers, même s’ils avaient compris l’importance de la série pour ma carrière.
Ils savaient que j’étais connu, parce qu’ils étaient dans l’annuaire et que leur téléphone sonnait sans cesse, que des inconnus venaient frapper à leur porte. Des gens se rendaient même dans le salon de coiffure de mon père, qui avait accroché une photo de moi en Spock sur son mur, et lui disaient “mon gamin veut une coupe Spock”. Mais c’est en allant voir Un violon sur le toit dans une salle de 2500 places pleine à craquer, qui applaudissait à tout rompre, que mes parents ont vraiment compris. Tevye, c’était leur monde.»


Leonard Nimoy avait quitté Boston pour Hollywood à l’âge de 18 ans, et se souvient de l’importance du théâtre yiddish dans sa formation, rencontrant des acteurs mythiques tels que Maurice Schwarz, le fondateur du célèbre Yiddish Art Theater de New York, qui le fera jouer dans la langue de son enfance. Mais sa carrière hollywoodienne débute surtout par des petits rôles plutôt improbables.
Le comédien narre avec humour avoir longtemps été catalogué dans les personnages «ethniques» très éloignés de ses racines juives. «Les types avec mon physique se tapaient en général les rôles de méchants, les méchants mexicains, les méchants italiens…
Et j’étais content d’avoir ces rôles ! J’ai joué les Indiens dans des Westerns pendant des années ! Le premier rôle d’Indien que j’ai décroché, je l’ai eu parce qu’un acteur amérindien l’avait refusé, tellement il trouvait le personnage ignoble. Mais moi j’étais ravi d’avoir le job !»


Avec Star Trek, Nimoy décroche le jackspock à 35 ans. Le duo qu’il forme avec le capitaine Kirk, interprété par William Shatner (également juif originaire d’Ukraine) fonctionnera à merveille, entre l’impétuosité de Kirk et la froide logique du Vulcain.
Les 2 comédiens enregistreront par la suite des disques devenus cultes, ovnis de spoken word pop, et resteront des amis fidèles. Sur les origines du salut vulcain, Nimoy a maintes fois raconté son histoire, inspirée par la bénédiction des Cohanim qu’il regardait enfant à la synagogue en compagnie de son père, ce malgré son interdiction formelle de lever les yeux vers les officiants. Après Spock, Leonard Nimoy tournera dans la série Mission Impossible, mais le rôle de Star Trek lui collera aux oreilles.
Il se tourne vers le théâtre, enregistre encore quelques disques, écrit des recueils de poésie, puis revient au cinéma avec les adaptations sur grand écran de la série. En 1982, il jouera dans le téléfilm A woman called Golda son unique rôle de juif face à une caméra, interprétant le mari de Golda Meir, Morris Meyerson, avec Ingrid Bergman dans le rôle-titre pour sa dernière apparition à l’écran.


L’une de ses autres passions, la photographie, le conduira à réaliser de superbes photos de nus inspirées par la Shekina, la «part féminine de Dieu» évoquée dans la Kabbale, qui paraîtront dans un livre d’art.
Elles feront scandale dans certaines communautés juives américaines, alors que les critiques verront en Nimoy un grand photographe, dont les clichés seront par la suite exposés dans des musées, dont les collections permanentes du Jewish Museum de New York.
La Shekhina, mot hébreu (signifiant littéralement « demeure ») qui désigne dans la Bible la présence de Dieu parmi son peuple, ou l’immanence divine dans le monde, a pris un développement considérable dans la kabbale. Elle représente le principe féminin, réceptif et passif, du monde divin, elle est la condition de l’harmonie du monde divin, dont celle du monde d’en bas n’est qu’un reflet, selon les termes de Gabrielle Sed-Rajna dans L’Encyclopædia Universalis.
Lors d’ une interview de Leonard Nimoy réalisée par Nadine Epstein pour le site Moment en 2004, l’acteur explique que sa vision de la Shekhina est «purement artistique», mais qu’il a «ressenti cette expérience spirituelle à de nombreux moments de sa vie».
Une expérience qu’il qualifie «d’état de grâce, d’harmonie, de paix, une combinaison d’instinct et de volonté, de sensation d’être au bon moment au bon endroit, et de réaliser ce qui doit être juste».


Leonard Nimoy explique que la Shekhina l’intéressait tout particulièrement, car élevé dans la tradition juive orthodoxe, il était conscient que la «part féminine du concept n’y était pas bienvenue», ajoutant qu’il la considérait, «qu’elle soit justifiée ou non, comme un passionnant et étrange mélange de spiritualité et de culture contemporaine».
Lorsque la journaliste lui demande pourquoi ses modèles portent des tefillin (deux petits boîtiers cubiques comprenant quatre passages bibliques et rattachés au bras et à la tête par des lanières de cuir, portés lors de la prière matinale des jours profanes par les hommes ayant atteint leur majorité religieuse.
Le port des tefillin par les femmes, bien que non interdit formellement, est inexistant dans le judaïsme orthodoxe, plus fréquent dans le judaïsme libéral), l’acteur a cette réponse : «Les tefillin sont toujours associés aux hommes, pourtant, avec ces photos, ce n’est pas la première fois que cette féminisation a été représentée», ajoutant que d’après certains textes, «les filles du roi Saul priaient avec des tefillin, ainsi que la fille de Rachi». «Mon opinion» précise en riant l’acteur, «c’est que la Shekhina peut mettre des tefillin si elle le veut !»


Bien évidemment, la publication du livre d’art présentant les photos de Nimoy choqua une partie de la communauté juive américaine, qui refusa d’accueillir l’acteur-photographe pour des présentations de son ouvrage, alors qu’une de ses photos fut achetée par le prestigieux Jewish Museum de New York pour figurer dans sa collection permanente.
Outre les images de femmes arborant des tefillin au bras, c’est aussi la nudité de certains modèles qui provoqua des réactions outrées. Lorsque Nadine Epstein demande à Leonard Nimoy si le public juif a trouvé ses photos trop «explicitement sexuelles», le photographe réplique : «Depuis huit ans que je travaille sur ce projet, mon approche a toujours été totalement respectueuse. Je suis profondément attaché au judaïsme, et je n’y ai pas inventé la sexualité, elle y est présente depuis des siècles.»


«Il existe une histoire extraordinaire dans la Kabbale», poursuit Nimoy, «dans les dernières années de sa vie, Moïse vivait séparé de son épouse pour rester pur, au cas où la Shekhina viendrait à lui. Cela arriva, et ils vécurent ensemble comme mari et femme jusqu’à sa mort.
C’est un baiser de la Shekhina, selon la Kabbale, qui emporta son âme au Paradis, puis elle porta son corps sur ses ailes jusqu’à sa sépulture, toujours selon cette légende.
C’est une très belle et émouvante histoire. Il en est de même concernant la bénédiction pour les époux de s’unir lors du Shabbat… Les éléments liés à la sexualité dans le judaïsme ne m’ont pas attendu ! Pour cette série de photos, j’ai pris la décision de ne pas cacher le fait que la Shekhina était une femme, mais surtout d’insister sur le fait qu’elle est femme !»


Une anecdote que raconte Nimoy au cours de cet entretien est un petit bijou d’histoire juive, que méditeront tous ceux qui pourraient être choqués par ces photos. «J’ai reçu un e-mail d’un rabbin orthodoxe, qui m’écrivait ceci : Je peux comprendre pourquoi vos images peuvent déranger certaines personnes dans notre communauté.
Mais il y a une légende qui raconte que lorsque deux juifs étudient le Talmud, la Shekhina apparaît et s’asseoit entre eux», et le rabbin de conclure : Après avoir vu vos photos, peut-être que de plus en plus de jeunes voudront étudier le Talmud, dans l’espoir que votre Shekhina viendra s’asseoir entre eux.*

Alain Granat

Source JewPop