vendredi 20 juin 2014

Ces trente dernières années, les gouvernements israéliens ont mis leur veto aux opérations d’espionnage contre les Etats-Unis

 
Un vieux de la vieille, le journaliste américain Jeff Stein se trouvait, il y a quelques mois, attablé à la terrasse d’un café de Tel-Aviv.  Stein, rédacteur pour l’hebdomadaire américain Newsweek, était en Israël pour réunir des informations pour une série d’articles sur le monde du renseignement. Durant son séjour, il a rencontré de hauts responsables des services de renseignement et de la sécurité. Deux de ses articles, publiés dans Newsweek en mai, accusent Israël de poursuivre des opérations d’espionnage contre les Etats-Unis. Citant des sources anonymes, l’auteur affirme qu’il y a 16 ans, des agents israéliens auraient essayé de mettre la suite présidentielle de l’hôtel King David à Jérusalem sur écoute, lors d’une visite du vice-président américain Al Gore...




Selon Newsweek, ce serait la raison principale du refus des services de renseignement américains, FBI en tête, d’ajouter Israël à la liste des quelque 30 pays qui bénéficient du programme américain d’exemption de visa.
Certaines organisations juives ont tenté de jeter le discrédit sur les allégations de Stein. Elles affirment que certaines de ses sources sont connues pour être anti-Israël, en particulier des militants de la branche américaine du BDS – le mouvement de boycott, désinvestissement et sanctions contre l’Etat hébreu. Elles laissent même entendre que le journaliste serait un antisémite obsédé par la haine d’Israël.
 De prime abord, cela ne saute pas aux yeux. Mais Stein semble complètement méconnaître la politique israélienne et tout ignorer de ses agences de renseignement et de la complexité des relations israélo-américaines. Par ailleurs, c’est à l’hôtel Inbal et non au King David, comme il le prétend, qu’Al Gore a séjourné lors de sa visite à Jérusalem.
 

Pollard et son unité de renseignement
 

La vérité est que ses histoires n’ont guère fait de vagues aux Etats-Unis. Ni le grand public, ni les responsables de l’administration n’en ont eu connaissance. Les principaux journaux et chaînes de télévision n’ont pas repris ces informations. Sans vouloir lui faire injure, Newsweek n’est plus ce qu’il était.
Les seuls à avoir été dérangés par ces allégations sont les organisations juives, ainsi que quelques Juifs à titre individuel. Tout comme les hommes politiques et les médias israéliens.
 Youval Steinitz, le ministre chargé du renseignement, a semblé céder à la panique : il a exigé que le comité restreint sur le renseignement du Congrès américain enquête sur les propos de Stein, afin d’innocenter Israël. Une réaction superflue. Ceux qui sont au courant des véritables relations entre les deux pays, comme le comité restreint du renseignement par exemple, le savent parfaitement : depuis près de 30 ans, Israël a cessé toute activité d’espionnage sur le sol américain, ou contre des cibles américaines en dehors du pays. Et ce, depuis l’arrestation de Jonathan Pollard, un analyste du renseignement de la Marine américaine, reconnu comme espion israélien et condamné à la prison à vie.
Pourtant, malgré les affirmations israéliennes de l’époque, l’affaire Pollard n’était pas une opération isolée, ni l’œuvre d’un individu sans scrupules.
 Pollard était dirigé par une petite unité de renseignement, certes importante par la portée de ses actions, connue par son acronyme hébreu de Lekem, qui signifie Bureau des relations scientifiques. Dépendant du ministère de la Défense, le Lekem, placé sous la houlette de Benjamin Blumberg, était chargé de l’espionnage scientifique et technologique.
 Sa mission était, entre autres, d’acquérir, à tout prix, tout le nécessaire pour le développement du programme nucléaire israélien, qui ne pouvait être obtenu ouvertement sur les marchés internationaux. La raison pour laquelle le Lekem a été choisi pour diriger Pollard est évidente. Ni le Mossad, ni la direction du renseignement de Tsahal (Aman), chargés de l’espionnage étranger, ne voulaient opérer sur le sol américain et diriger un espion, de surcroît juif américain et officier du renseignement. Ils craignaient de nuire aux bonnes relations avec leurs homologues d’outre-Atlantique, la CIA et la Defense Intelligence Agency du Pentagone (DIA) ainsi que les unités de renseignement de l’armée américaine.

Le vol  du savoir-faire militaire et nucléaire

Le Lekem, inconnu des agences de contre-espionnage américaines, ou à peine connu, a donc reçu l’ordre de mener à bien cette mission. Tous les dirigeants israéliens du milieu des années quatre-vingt, des Premiers ministres Shimon Peres et Itzhak Shamir aux ministres de la Défense Moshé Arens et Itzhak Rabin, savaient qu’Israël avait un espion implanté au cœur de la communauté du renseignement des Etats-Unis. Et tous les organismes d’espionnage israéliens, Mossad et renseignement militaire inclus, partageaient les informations secrètes délivrées par Pollard.
 Car, même avant sa création et plus encore depuis son Indépendance en 1948, Israël a constamment enfreint les lois américaines, espionné sur le sol des Etats-Unis, volé ses secrets et violé sa souveraineté.
Durant cette période, certains diplomates israéliens et attachés militaires de l’ambassade à Washington ont été déclarés persona non grata par le Département d’Etat et forcés de quitter le pays. Dans certains cas de moindre importance, ils ont été sommés de cesser leurs activités illégales, dirigées principalement contre des diplomates arabes dans le but de les recruter.
 A la fin des années cinquante et pendant près de 30 ans, l’espionnage israélien s’orientait principalement vers le vol du savoir-faire militaire et nucléaire de l’Oncle Sam. Certains scientifiques de l’Etat hébreu, en visite dans les universités américaines et les laboratoires de pointe, des Israéliens en voyages d’affaires, certains membres du personnel militaire travaillant sur des projets communs avec les fabricants américains de la sécurité ou participant à des programmes d’échange, se sont vus parfois demander par le Lekem ou les services de renseignement de Tsahal, d’obtenir des plans et de la technologie innovante.
 A de rares occasions, certaines de ces opérations ont été découvertes par le FBI et les douanes américaines. Les Israéliens ont été expulsés, le matériel confisqué, des plaintes déposées, mais ils ont, pour la plupart, réussi à s’en sortir sans trop de dégâts.

Manque de preuves

C’est ce qui s’est passé notamment avec les deux opérations les plus audacieuses et mémorables menées contre le secteur nucléaire américain.
 La première se déroule dans les années soixante, selon des archives américaines. Une équipe conjointe du Lekem et du Mossad, dirigée par l’espion de génie Rafi Eitan, vole de l’uranium enrichi dans un dépôt de la société NUMEC à Apollo, en Pennsylvanie, qui traite les déchets nucléaires pour la Commission de l’énergie atomique des Etats-Unis. Le PDG de NUMEC est alors Zalman Shapiro, un Juif orthodoxe qui se retrouvera par la suite au conseil d’administration du Centre du patrimoine israélien du renseignement.
 L’enquête, menée par une équipe spéciale interagence appointée par le gouvernement américain, suspecte alors Israël d’être derrière le vol, mais ne trouve aucune preuve pour étayer ses soupçons.
La seconde affaire, dans les années quatre-vingt, vise la société Milco de Los Angeles et son directeur Richard Kelly Smyth, reconnus coupables d’avoir fait passer en fraude des krytrons (détonateurs d’armes nucléaires) en Israël. Smyth parvient à s’enfuir en Espagne et sera déclaré fugitif par un tribunal américain. Il finira par être extradé quinze ans plus tard, puis arrêté et condamné.
 Milco avait en fait été fondée par Arnon Milchan, l’héritier d’une riche famille israélienne. Jeune play-boy, il est recruté par Shimon Peres (alors vice-ministre de la Défense) et devient agent secret pour le compte du Lekem de Blumberg. Dans les années soixante-dix, Milchan achète illégalement les plans top-secret de centrifugeuses d’enrichissement d’uranium en Allemagne pour le réacteur de Dimona. Avec l’argent des commissions et des caisses noires empoché au cours des transactions réalisées au nom du renseignement israélien, il deviendra un brillant producteur de films à succès à Hollywood.
 Contrairement à Smyth, et probablement grâce à l’aide de Peres, Milchan parviendra à éviter les poursuites aux Etats-Unis.

Une entente cordiale

Les fiascos de Milchan et Pollard, qui explosent au visage d’Israël dans la même année, 1985, marquent alors un tournant dans les relations israélo-américaines. A première vue, les liens entre les services de renseignement des deux pays sont alors au plus bas. Israël doit rendre les krytrons volés aux Etats-Unis et s’excuse auprès de l’administration Reagan pour ces incidents.
 Le Lekem est démantelé, bien que les besoins scientifiques et technologiques de l’Etat hébreu demeurent. Plus important encore, Israël s’engage à ne plus espionner contre les Etats-Unis.
 Autant qu’il soit possible de vérifier, Israël a bel et bien tenu sa promesse. Tous les gouvernements israéliens des trois dernières décennies ont ordonné aux différents chefs du renseignement de ne pas violer la souveraineté des Etats-Unis.
Avec les années, les relations entre les deux communautés du renseignement sont non seulement revenues à la normale, mais se sont même améliorées. Des opérations conjointes ont été montées. Dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, elles avaient pour cible les tentatives soviétiques et russes d’acquérir les technologies israélo-américaines et plus tard, al-Qaïda et les terroristes du Hezbollah. Dernièrement, les deux pays auraient concentré leurs efforts sur le sabotage et le ralentissement des ambitions nucléaires iraniennes.
 Selon des documents secrets révélés par Edward Snowden, un agent travaillant pour le compte de l’Agence de sécurité nationale des Etats-Unis, la NSA maintiendrait une coopération extraordinaire avec l’agence de renseignement militaire de Tsahal.
Il serait pourtant naïf de croire que les deux pays ne collectent pas d’informations l’un sur l’autre. Cela se fait via des sources publiques, ou l’interception des communications et des signaux électroniques (SIGINT), sans recrutement d’agents ni violation de la souveraineté du pays tiers.
 Un défaut semble cependant bien avoir contaminé les chefs de la sécurité et du renseignement israéliens. Leur empressement borné à parler et livrer des informations aux journalistes étrangers, généralement sans vérifier leurs antécédents, même s’ils travaillent pour des médias de faible importance, comme dans le cas de Jeff Stein par exemple.


Source JerusalemPost