mercredi 18 juin 2014

Analyse: la hiérarchie israélienne de la terreur


La vérité doit être dite : l'enlèvement de trois étudiants de Yeshiva près des implantations du Gush Etzion a secoué Israël à la racine malgré le lieu, et surtout en raison du fait que des enfants sont impliqués. Dans une réalité socio-politique où la plupart des Israéliens ont tendance à se détacher des questions de sécurité au-delà de la ligne verte, mais sont très sensibles aux enfants, l'âge l'emporte sur l'emplacement...



Contrairement à d'autres, qui remarquent à peine la plupart des actes de terreur dans les implantations et les territoires, celui-ci est ressenti différemment dans une société où toutes les victimes ne sont pas égales.
La plupart des adultes juifs israéliens vivant à l'intérieur de la ligne verte n'aiment pas les habitants des implantations.
Une étude récente présentée à l'université d'Ariel, située dans la grande implantation d'Ariel, montre que 40% des Israéliens pensent que les implantations sont un gaspillage d'argent, et plus de la moitié des personnes interrogées pensent que l'argent qui y est dépensé, coûte au bien-être et à l'éducation pour tous.
Surtout, la majorité des Israéliens (71 pour cent) détestent la façon dont les habitants des implantations causent des dommages aux biens militaires et cherchent des frictions avec les soldats.
Les résultats constituent certainement tout un changement dans l'approche plus traditionnelle, adoptée par la droite israélienne et le centre à l’intérieur de la ligne verte.
La grande masse des Israéliens, même ceux qui ne soutiennent pas les implantations, ont pour habitude de traiter leurs habitants avec une certaine révérence et respect, les voyant souvent comme la réincarnation des pionniers du passé.
Pourtant, dans le même temps ils sont restés, pour la plupart des Israéliens, des "frères de l'extérieur". Même les partisans des implantations comme notion politique, ont toujours ressenti une certaine aliénation envers ceux qui vivent au-delà de la ligne verte.
La plupart des Israéliens n’ont presque jamais ou rarement franchi la ligne verte invisible et n'ont aucune idée, par exemple, d’où est Talmon, le lieu de naissance de l'un des étudiants de yeshiva enlevés.
Cette réalité a non seulement des implications politiques, résultant dans le fait que plus de la moitié des Israéliens sont prêts à évacuer tout ou la plupart des implantations en échange de la paix.
Mais en même temps, cela a des répercussions principalement sociales. Une façon de les mesurer, est de regarder la façon dont les Israéliens réagissent aux attaques terroristes dans les implantations. Cette réaction est généralement caractérisée par un certain détachement affectif, souvent à la limite de l'indifférence. Après tout, cela arrive quelque part, dans une terre lointaine et inconnue, que les gens ne comprennent pas vraiment.
Toutes les recherches ou les réactions des médias prouvent que tous les attentats terroristes ne sont pas égaux pour les Israéliens. Contrairement aux guerres traditionnelles qui s’accompagnaient d’un profond sentiment de solidarité collective, le terrorisme est une agression privatisée, une expérience plus individuelle. Et certainement graduelle. Aussi la liste israélienne non écrite de la victimisation, est principalement graduée - mais pas exclusivement - en fonction de l’emplacement et de la distance du centre géographique et social.
La distinction principale cependant, est faite entre les soldats et les civils : contrairement à d'autres pays et sociétés, contrairement à toute logique en Israël, la vie des soldats vaut plus que la vie des civils. Les soldats, même verbalement, sont surnommés "nos enfants". Il existe un certain élément de culpabilité attaché à une victime soldate. Les terroristes palestiniens le savent très bien. Leur objectif principal a toujours été l'enlèvement de soldats ; les jeunes juifs de Cisjordanie, par rapport aux soldats de l'armée d'occupation, ne viennent qu’en deuxième place.
Ensuite, la situation géographique et sociale entre en considération. Le plus éloigné du centre a le moins d'intérêt. Tel-Aviv est en tête de liste. Le terrorisme à Tel-Aviv, la capitale israélienne de la normalité, est conçu comme presque contre nature. Les terroristes le savent aussi. Toute attaque sur Tel Aviv est définie par eux comme des "attaques de qualité". Puis vient Jérusalem, théâtre de tant d'attaques terroristes. Et seulement après tout le reste. Un petit test : tous les Israéliens connaissent par coeur les noms tragiques sur cette liste : le centre Dizengoff, le bus numéro 18, le café Moment, les attaques terroristes au Delphinarium - nommées d'après leur emplacement à Tel Aviv ou Jérusalem.
Presque personne ne se souvient qu’il y a même eu une attaque terroriste dans le centre commercial de Dimona, une petite ville à l'extrême sud d'Israël, où une femme a été tuée et plusieurs personnes blessées. Loin des yeux, loin du coeur. Les derniers sur la liste sont les citoyens arabes d'Israël. Bien que les bombes plantées par les terroristes et les tirs de missiles ne font aucune distinction ethnique, les victimes arabes font moins d'impact. Les attaques contre les implantations et leurs habitants, distantes géographiquement et socialement, attirent généralement moins d'attention et une implication émotionnelle moindre. Pour beaucoup, pas seulement à gauche, les territoires en tant que tels semblent être une scène plus naturelle pour la terreur; beaucoup pensent que les colons “l’attirent par eux-mêmes” par le choix qu’ils font de vivre dans cet environnement dangereux.
Pourtant, l'enlèvement des trois étudiants de Yeshiva est différent. Ils sont trop jeunes pour être considérés comme responsables du choix fait par leurs parents de vivre ou d’étudier dans une implantation ; et ils sont assez vieux (16-19 ans) pour être considérés comme des "soldats". C'est pourquoi tant d'Israéliens suivent les développements et, dans ce processus, obtiennent un aperçu de ce à quoi la vie quotidienne dans les implantations ressemble.
Le même processus a eu lieu après la bombe de juin 2001 à Tel Aviv où 21 adolescents issus de familles de nouveaux immigrants de l'ancienne Union soviétique ont été tués près de leur lieu de repère préféré. Pour beaucoup d'Israéliens, c’était aussi une étude anthropologique, d'abord un regard sur la vie de cette communauté. En 2014, dans des circonstances tragiques, ce drame survient à un moment rare qui permet de montrer une solidarité sans équivoque, une denrée rare dans une société déchirée par tant de schismes.

Source I24News