Des ordres successifs sont rapidement donnés, mais même l’observateur extérieur le plus attentif aurait peine à tout enregistrer. On les entend sur tout le pont, dans la coque et dans le centre de commandement du patrouilleur du Shaldag, vaisseau de la Marine israélienne. Le système de communications fonctionne de façon parfaite. Les 11 hommes de l’équipage sont bien entraînés, ils connaissent la doctrine de combat sur le bout des doigts et ont l’expérience de la mer : ils obéissent instantanément...
En quelques secondes, ils endossent leur gilet pare-balles et leur casque haut de gamme et vont occuper leur poste. Ils connaissent l’importance de la mission qu’on leur a confiée : protéger les infrastructures de gaz naturel qui tirent l’économie d’Israël vers le haut.
Avec sa vitesse de pointe de 42 nœuds, le Shaldag est le cheval de bataille des opérations de patrouille de la Marine nationale. Une vitesse très élevée pour un bateau, et critique pour un patrouilleur, dont l’équipage doit réagir instantanément en cas de sollicitation en haute mer. Les informations mises à jour ce matin-là à la base navale d’Ashdod pour l’escadrille de patrouille 916 mentionnaient plusieurs « cadeaux » désagréables de la part d’organisations de Gaza : tirs sur des bateaux israéliens depuis la côte, embarcation bourrée d’explosifs conduite par un terroriste suicide, alerte générale en raison d’un projet d’attaque de la plate-forme de production du gisement de Tamar ou du derrick Mari B.
Il faut être là, à plus de dix miles nautiques des côtes, pour comprendre à quel point est courte la distance que le terroriste de Gaza doit couvrir pour venir attaquer l’une des plates-formes. C’est seulement ici, à quelques centaines de mètres des deux gigantesques plates-formes qui s’élèvent au-dessus de la mer, que l’on comprend la difficulté de les protéger – et l’importance critique que revêt cette mission.
« On s’accroche bien ! »
Le ciel est clair, la mer calme, et le Shaldag patrouille entre le derrick Mari B et la plate-forme de Tamar. Même après des centaines d’heures en mer, les marins postés sur le pont, s’émerveillent encore devant deux dauphins qui suivent pendant un temps le rapide navire de guerre. Mais une opération militaire laisse peu de temps pour s’amuser : deux Wasps (petits bateaux de l’escadrille de patrouille d’Ashdod) et une corvette lance-missiles sont en route pour les rejoindre. Ils simuleront un attentat suicide, offrant à l’équipage du Shaldag un exercice surprise pour s’entraîner à désamorcer une attaque… immédiatement.
Ce n’est plus le moment de poser des questions ou de réfléchir : la mitrailleuse est armée, le centre de combat a déjà une vision d’ensemble de la situation et il sait où sont ses cibles.
Sur le pont, on entend des ordres, dont le plus important est quelque chose comme : « On s’accroche bien ! » S’accrocher à quoi ? A tout ce que l’on a à portée de main, à condition que ce soit bien arrimé et que l’on ne risque pas, en le saisissant, de déclencher une salve de tirs intempestive.
Cinq ou dix secondes plus tard – mais qui compte ? – et le Shaldag vire brusquement à tribord selon un angle qui évoque le grand huit d’un parc d’attractions, soulignant la nécessité de bien écouter les consignes. La bataille est menée tambour battant et la manœuvre suivante, tout aussi brutale, intervient quelques secondes plus tard à peine. La cible factice est déjà détruite. La mitrailleuse est pointée sur la prochaine, qui fonce droit sur le Shaldag à toute vitesse, surfant sur son sillage. L’artilleur vise la cible en criant « Feu, feu, feu ! » et affirme avoir vu un impact direct. L’attaque est déjouée et toutes nos forces sont saines et sauves.
Haïs par Gaza
« Un plaisancier qui serait là par hasard, en train de pêcher tranquillement au soleil, nous prendrait pour de sales gosses en train de faire des bêtises par pur plaisir. Allez lui dire que c’est la vie ! », commente le lieutenant-colonel A., 36 ans, qui s’empresse d’envoyer les deux Wasps accomplir leur mission d’entraînement avec une corvette lance-missiles en haute mer. Les Wasps vont désormais simuler pour l’équipage de cette corvette une attaque menée par plusieurs bateaux agressant simultanément le bâtiment de plusieurs points différents. Un scénario qui n’a rien d’improbable quand on connaît la réalité au large des côtes du sud d’Israël. « Nous avons déjà essuyé une telle attaque il y a trois ans dans le secteur de Gaza », affirme le lieutenant-colonel A. « Nous étions sur nos gardes et nous savions comment réagir pour en sortir sains et saufs. » Car il s’agit là de la réalité quotidienne.
Le secteur sud est le plus chaud qu’ait à surveiller la marine, car il faut y faire respecter le blocus de Gaza. Des centaines de bateaux croisent au large de la péninsule côtière, en majorité des bateaux de pêche à bord desquels les terroristes récoltent des informations en vue de préparer leurs attaques contre des cibles militaires ou civiles. Les infrastructures des gisements de gaz sont cruciales pour l’économie israélienne. Sans parler des tentatives incessantes d’introduire des armes à Gaza par la mer.
Les marins du Shaldag se savent haïs par les habitants de la bande de Gaza, car ce sont eux qui veillent au respect du blocus naval. Une haine qui a encore grimpé d’un cran ces dernières semaines, avec l’interception d’un chargement d’armes venues du Sinaï. lieutenant-colonel A. se trouvait à bord du patrouilleur de classe Dvora Mark III qui a réalisé cette opération. Il raconte : « Nous les avions dans le collimateur. Nous avions vu deux bateaux de Gaza pénétrer dans les eaux égyptiennes et accoster sur une plage du Sinaï. Plus tard, chargés de leur cargaison, ils étaient repartis pour Gaza camouflés en bateaux de pêche. »
Sur le qui-vive
« Nous savons reconnaître des pêcheurs. Là, en dehors de l’aspect des bateaux, qui pouvaient bel et bien servir pour la pêche, rien n’indiquait que les hommes présents à bord aient l’intention de pêcher ; ils ne se comportaient pas du tout comme des pêcheurs. Ils savaient ce qu’ils faisaient, ils étaient très déterminés et ils ont essayé de nous échapper en manœuvrant leurs embarcations entre les dizaines d’autres bateaux de pêche palestiniens qui naviguaient dans la région. »
« Nous avons continué notre surveillance permanente. Nous ne doutions plus qu’il s’agissait d’activités de contrebande. A quelques centaines de mètres des côtes de Gaza, nous avons ouvert le feu sur eux d’une distance de plusieurs kilomètres, en utilisant le canon Typhoon que nous avons sur le pont. »
Quelques heures plus tard, les Palestiniens annonçaient 4 blessés dans une attaque. Quant au lieutenant-colonel A., il indiquait que deux des cibles avaient sans conteste été détruites. « Quand un grand nombre de munitions explosent, cela se voit à des kilomètres à la ronde. J’étais là et j’ai vu deux boules de feu qui ont duré jusqu’au lever du jour. Comment on se sent après ça ? Eh bien, on est très content d’avoir mené à bien sa mission », commente-t-il. « Maintenant, je sais qu’ils ont encore plus envie de nous atteindre. Ils nous voient comme “les méchants” qui leur veulent du mal. Ici, tout est personnel. Voilà pourquoi nous nous tenons constamment sur le qui-vive. Nous sommes prudents, c’est tout. »
Attention, embarcation non identifiée !
Toute cette activité de surveillance navale est guidée par le moniteur du système de commandement central, mis au point par sa division informatique. Les yeux de Yaron Levy, contre-amiral et chef d’état-major de la Marine, se mettent à briller quand il en parle. « Même les officiers supérieurs de la marine américaine sont en admiration devant lui. Croyez-moi, si nous pouvions le vendre aux armées étrangères, cela résoudrait une bonne partie des problèmes financiers de Tsahal ! », affirme-t-il.
« Ce système répond de la meilleure façon qui soit aux nouveaux besoins de la Marine », poursuit-il, « car il est capable de situer à tout moment et avec précision la moindre embarcation naviguant sur les eaux israéliennes. Il marque les menaces en rouge, les bateaux non identifiés en violet, et ceux qui sont identifiés et ne présentent pas de menace en vert. Il possède également de nombreuses autres compétences pour aider la marine à contrôler les eaux territoriales israéliennes, qui sont deux fois plus étendues que le pays lui-même. Bien évidemment, nous ne pouvons pas tout vous révéler… »
« Pour vous donner une idée du fonctionnement du système, un vacancier faisant du ski nautique à quelques centaines de mètres du rivage sera repéré sur les écrans et surveillé de près afin que l’on évalue ses intentions. Les côtes israéliennes sont couvertes dans leur intégralité par des radars. C’est la seule façon de faire en sorte que le commerce du pays puisse s’effectuer normalement ; il faut savoir que 60 % du PNB d’Israël en dépend. A tout moment, de 300 à 1 300 bateaux naviguent sur nos eaux. Chacun d’entre eux est repéré et identifié et, si nécessaire, nous allons les contrôler de plus près.
« Il est impossible qu’une embarcation non identifiée s’approche des plates-formes. Si cela se produisait, cela voudrait dire que j’ai échoué dans ma mission, qui est de protéger une zone tampon bien définie. Notre mission à tous est de sécuriser cet endroit, qui représente l’artère énergétique de l’économie israélienne, et nous faisons cela 24 heures/24, en parfaite coordination avec le personnel des plates-formes. Nous les informons de chaque alerte et ils participent à l’entraînement et aux exercices. Car il est évident qu’en cas d’incident, nous devrons travailler de concert », explique le lieutenant-colonel A. Il reconnaît qu’il faut avoir les nerfs solides pour être à ce poste et réussir à bien dormir la nuit.
Une simple étincelle suffirait à tout faire exploser
Toute embarcation qui s’approche à moins de 7 miles d’une plate-forme est interceptée par un patrouilleur de la Marine. On demande à l’intrus de s’éloigner, et en cas de refus, on tire des coups de semonce. Ce genre d’incidents se produit chaque jour, car les pêcheurs de Gaza considèrent qu’ils ont le droit de pêcher partout où ils le souhaitent. « Si nous n’étions pas dans le secteur », poursuit le lieutenant-colonel A., « ils viendraient jusqu’aux plates-formes pour pêcher en dessous. Avec leurs bateaux à moteur, ils atteindraient celles-ci en vingt minutes. S’ils ne le font pas, c’est juste parce que nous sommes là. Parfois, il leur arrive de s’approcher comme un essaim de fanatiques qui voudraient les prendre d’assaut. Il n’est pas rare non plus que les Egyptiens braquent leurs proues en direction des plates-formes. Si nous ne les arrêtions pas alors, ils arriveraient jusqu’à elles. On ne peut pas prendre ça à la légère. Il s’agit là de plates-formes de gaz et pour les détruire, nul besoin de fomenter un attentat de grande envergure de style Al-Qaïda ; ici, une simple étincelle suffirait à tout faire exploser.
Les mois prochains, la Marine prendra sa décision quant à l’acquisition de nouveaux bateaux pour accroître ses capacités de défense autour des infrastructures gazières en Méditerranée et dans la zone économique exclusive d’Israël. Elle devrait ainsi se procurer trois ou quatre nouveaux patrouilleurs équipés selon ses spécifications opérationnelles de pointe.
Toutefois, 4 années s’écouleront entre la commande et le jour où tout ce matériel sera en état de fonctionnement. « Nos embarcations actuelles sont de dimensions réduites », souligne Levy. « Mais avec elles, nous pouvons accomplir dix fois plus de choses que des navires plus gros. Les nouveaux bateaux que nous allons commander feront notre force dans la réaction défensive que nous préparons pour protéger les infrastructures cruciales et notre zone économique exclusive. »
Source JerusalemPost