L’enrôlement de tout Israélien dans l’armée s’impose. Comment comprendre alors l’opposition d’éminents rabbins dans notre société ? Cette question fait émerger deux problèmes : celui de l’insertion de cette population à tous les niveaux de la société israélienne, et celui de l’utilisation de la Torah et du prestige des rabbins pour justifier ce statu quo.
Tout d’abord, il convient de se méfier des généralisations, car toutes les nuances individuelles sont possibles parmi les religieux orthodoxes et les non-religieux. Certains Harédim sont d’authentiques citoyens à l’armée, et certains « laïcs », d’authentiques déserteurs. D’autres y renoncent à cause de trop fortes pressions de leur milieu.
Le message venu de ces yeshivot est clair : « Nous et nos étudiants sommes les prêtres de la société israélienne, habilités à intercéder auprès d’Hachem pour protéger le peuple d’Israël, et en particulier Tsahal, de ses ennemis. Priver nos étudiants d’étude pour les enrôler dans l’armée signifierait priver tout Israël de protection divine. » Suite à quoi pleuvent menaces et malédictions.
Le statu quo qui prévaut jusqu’à présent prouve l’embarras de nos députés et de nos dirigeants, même religieux, face aux arguments dits de la Torah. Est-il vrai que ces yeshivot sont le meilleur bouclier d’Israël contre ses ennemis ? Sont-elles les porte-parole de la Torah ? Sur la base des enseignements du rav Léon Ashkénazi Manitou, voici un parallèle entre l’actuelle attitude des Harédim vis-à-vis d’Israël et la période qui a précédé la Shoah. Les mêmes acteurs citent les mêmes arguments tirés de la Torah écrite et orale, et profèrent les mêmes menaces.
Le mérite de vivre un jour de fête
A l’époque, deux mouvements s’affrontent de manière très violente en Europe : le camp des sionistes, qui appelle au retour en Palestine, et le camp de ceux qui, au nom de la Torah, interdisent aux juifs de quitter l’Allemagne, la Pologne, etc., sous peine d’excommunication. En conséquence de quoi, l’idée d’une reconstruction nationale est présentée par l’establishment religieux comme une menace ; et le sionisme, comme une idéologie à combattre, un danger pour la Torah et la pratique des mitsvot.
« Dans les années vingt, les rabbins de Varsovie voulurent excommunier le Rav Ashlag qui, voyant se préparer la Shoah, militait pour l’aliya des juifs de Pologne. Il s’est enfui, les autres sont restés. Arrivé en Palestine, il a gagné sa vie comme machguiah d’une yeshiva. C’était un grand kabbaliste. Il y en a eu d’autres comme cela1. » Vladimir Jabotinski, en 1938, déclare aux juifs de Pologne : « Depuis trois ans je m’adresse à vous, juifs de Pologne, diadème du judaïsme dans le monde… Je vous mets en garde sans cesse, contre la catastrophe qui approche. Mes cheveux ont blanchi et j’ai vieilli, car mon cœur saigne en voyant que vous, mes chers frères et sœurs, êtes aveugles devant le volcan qui va bientôt cracher son feu destructeur… Ecoutez cependant mes paroles, en cette heure ultime : au nom de Dieu ! Que chacun sauve sa vie, tant que cela est encore possible, et il ne reste plus beaucoup de temps ! Et je souhaite vous dire encore une chose, en ce jour de Ticha BéAv : ceux qui parviendront à fuir la catastrophe auront le mérite de vivre un jour de fête et de grande allégresse juive : la renaissance et le rétablissement de l’Etat juif. Je ne sais pas si je mériterai de le voir, mais mon fils, certainement ! Je crois à cela tout comme je sais que demain matin, le soleil brillera de nouveau. Je le crois d’une foi parfaite2. »
Des sages sourds et aveugles
Nous ne saurions a posteriori refaire l’histoire, et encore moins donner une explication à la Shoah. Nous savons juste que, pour peu que la majorité des dirigeants du judaïsme, avant la seconde guerre mondiale, aient encouragé le mouvement sioniste, il y aurait eu moins de juifs victimes en Europe, et plus de juifs en Palestine pour fortifier l’Etat d’Israël embryonnaire.
Le Rav Ashkénazi enseignait : « Notre Torah est une Torah de vie. En Nitsavim (30, 15), nous lisons : “Vois, J’ai placé devant toi aujourd’hui la vie et le bien, et la mort et le mal.” Le bien, c’est la vie. Le mal, c’est la mort. Ce qui va du côté de la vie, c’est le bien ; et ce qui va du côté de la mort, c’est cela, le mal. C’est la raison d’être de la sagesse : savoir diagnostiquer ce qui engendre la vie et ce qui engendre la mort. Et on ne demande pas à des responsables juifs athées de connaître la Torah, ni le Talmud ou le Zohar. Mais à des rabbins, si3. » « Ce ne sont pas les juifs qui sont responsables, mais ceux qui ont trompé les juifs et les ont fait prendre dans un piège. […] N’osant pas parler de la culpabilité des juifs, on culpabilise Dieu lui-même. Voilà le problème. C’est extrêmement délicat comme sujet4. » Comment, au nom de la Torah, de si nombreux rabbins ont-ils pu encourager leurs coreligionnaires et leurs étudiants des yeshivot à rester en Europe ? Il est possible malheureusement que d’éminents sages de notre peuple restent sourds et aveugles à l’enseignement littéral de la Torah, comme à tout ce qui concerne sa dimension collective, donc politique.
A l’écart du klal Israël
Le Rav Yissachar Shlomo Teichtel est une exception remarquable : « J’avouerai la vérité et je rappellerai mes fautes. Moi aussi je n’ai eu que dédain pour l’entreprise de reconstruction du Pays d’Israël. Ce dédain, je l’avais entendu chez beaucoup de nos maîtres craignant Dieu… Ce n’est que lorsque nous fûmes frappés dans l’amère cruauté de cet exil que je commençai à étudier sérieusement la question du retour à Sion. Alors Dieu éclaira mes yeux et me montra ma faute. La faute dont étaient responsables tous ceux qui s’étaient opposés au retour. Aussi, j’avoue et je proclame ma faute comme le firent Rava et plusieurs de nos maîtres dans le Talmud, bénie soit leur mémoire. Ils avouèrent et proclamèrent : “L’enseignement que je vous ai donné était fautif et j’en suis responsable5.” » Que l’aveu des sages constitue leur louange.
Le refus harédi de s’enrôler dans Tsahal, de travailler et de s’impliquer dans la cité a pour effets de les mettre à l’écart du klal Israël, et d’entraîner la division dans notre peuple. Leur vertu et leur érudition ne sont pas en question, mais leur lien à Erets Israël en tant que nation, et non comme une « “Terre promise”, éternellement promise, ou bien une “Terre sainte” inaccessiblement sainte6 ».
Ce n’est ni le statu quo, ni les contraintes judiciaires ou administratives qui résoudront le problème. Nous sortirons de cette impasse lorsque ces mêmes lignées de rabbins comprendront et reconnaîtront leurs erreurs. Ils deviendront sans aucun doute les premiers défenseurs de l’armée d’Israël, et auront une part active déterminante dans l’avenir du pays. Ils auront plaisir à faire partie du peuple d’Israël et nous serons heureux de les savoir parmi nous.
Source JerusalemPost