dimanche 10 novembre 2019

Salaud, collabo, faux cul : le plaidoyer d’Henri Béraud


Le 24 août 1944, Henri Béraud est arrêté. Béraud, le reporter à la plume voyageuse, le journaliste qui a signé des articles de haute graisse, le mémorialiste génial d’une jeunesse lyonnaise… Mais aussi, pendant la guerre, le chroniqueur vedette de « Gringoire », journal peu suspect de résistance. Que fait Béraud, menotté ? D’abord, il proteste de son innocence, c’est attendu, c’est de bonne guerre (sans jeu de mots)......Détails.......


Ensuite, il écrit un livre, « Quinze jours avec la mort », où il re-proteste et où il explique « la cruauté », « l’aveuglement haineux » de ceux qui vont le condamner à mort pour « intelligence avec l’ennemi » - il sera néanmoins gracié par le général de Gaulle (traité de « charlatan funèbre »), qui lui évitera le destin de Brasillach. 
Ce qui fait le prix de ce livre - car l’homme a un indéniable talent - c’est le style. Henri Béraud est vif, de mauvaise foi, fielleux et, souvent, drôle comme un qui n’a rien à perdre. Sauf sa tête.
Trimballé de cave en cage, de bureau en placard, Béraud raconte ses tribulations dans le désordre de la Libération de Paris. 
Il décrit « les boit-sans-soif qui biberonnent à plein goulot » dans les commissariats, « l’odeur de sueur qui est celle des insurrections », se défend d’avoir « jamais outrepassé les droits reconnus à tout écrivain ». 
Il est transféré dans les bas-fonds de l’Hôtel de Ville (en « compagnie d’une vingtaine de petites gouapes, de la simple graine de harengs »), dialogue avec « un coiffeur odorant et frisé » (« pédéraste », précise-t-il), côtoie des Polaks qui ne parlent que du « baragouinoff et du charabiaski » et un « échappé de Biribi couvert de prestigieux tatouages, pourvu d’une chaude-pisse monumentale ».
Le 21 septembre, il est gardé par une femme. Laquelle mérite une jolie description :
« Toute en ventre et en fesses, cette harpie dodue soulignait ses rondeurs d’un pantalon de plage tendu aux limites de la catastrophe. Un Niagara de tétons la submergeait jusqu’au nombril. 
Elle avait des bras comme des cuisses, et des cuisses comme des jambons. Coquette, avec ça, et lascive, elle se trémoussait en minaudant, ni plus ni moins qu’une danseuse andalouse, de sorte que toute sa viande tremblait comme un baquet de colle. 
J’allais oublier la figure, autrement dit le plus beau. Que, sous un chignon d’un noir poisseux, on imagine une espèce de fromage tavelé de points verts, d’où jaillirait un nez triste et pointu assez semblable à un couteau de cuisine oublié dans le roquefort. 
Figurez-vous ensuite une bouche grassement fardée, se convulsant sans trêve, pour imiter la grimace d’un voyou qui déplace un mégot, ajoutez le dos arrondi et les mains enfoncées dans les poches, qu’elle doit prendre pour les attributs du féminisme vainqueur… »
Notre homme s’attache « à démontrer que mon activité d’écrivain était non seulement légitime mais légale… » et offre à ses juges « la totalité de ses écrits politiques », pour prouver son innocuité. Mais « ces fauves n’abandonnent pas si facilement la piste ».
J’admire profondément le Béraud d’avant-guerre, l’auteur du « Flâneur salarié », de « Qu’as-tu fait de ta jeunesse ? » (livre merveilleux), de « Dictateurs d’aujourd’hui ». 
Devenu collabo, contempteur de l’Angleterre et chantre de Pétain, le Béraud des années sombres est, tout simplement, un salaud. À ses inquisiteurs, qui l’accusent, lors de son arrestation, de « ne pas aimer les Juifs », il répond, la bouche en cœur, que « les dénonciateurs des juifs installés dans les bureaux de “Gringoire” me dégoûtaient profondément ». Faux cul total.
Il suffit de feuilleter ses articles (1). 
16 janvier 1941 : « Il y a, dans nos malheurs, une responsabilité juive ». 
23 janvier 1941 : « Oui, il faut être antisémite… Le salut de la France est à ce prix » ; « On parle yiddish à la Sorbonne » ; « Il faut beaucoup plus qu’un juif pour remplacer la moitié d’un Breton » ; « La France a souffert de ce qu’il faut bien appeler l’enjuivement d’un peuple ». 
11 juin 1943 : « Les juifs entonnèrent à pleine voix le grand air de la persécution… La pleurnicherie dure le temps qu’il faut puis brusquement la haine éclate… ».
Henri Béraud est mort, libre (mais paralysé) à Saint-Clément-des-Baleines, en 1958. 
Ses « Quinze jours avec la mort », pages dans lesquelles il croise en prison Sacha Guitry et Paul Chack, valent le détour. Il y entonne « le grand air de la persécution », comme tous les Hitlériens, les Doriotistes, les Miliciens, les Gestapistes et les Waffen-SS français. 
Crapule ? Sans doute. Mais, quand même, grand chevalier du stylo à bile.

Quinze jours avec la mort, la Chasse au lampiste, Henri Béraud, Plon, 1951.

(1) Rassemblés en trois volumes publiés en 2006 par Consep.

Par François Forestier

Source L'Obs
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