La répression allait être vite hors de contrôle forçant Reinhard Heydrich – celui qui deviendrait Obergruppenführer et vice-gouverneur du protectorat de Bohême-Moravie et qui joua un rôle majeur dans l’organisation de la Shoah – à intervenir et à annoncer qu’il ferait arrêter les nazis autrichiens responsables de ces exactions.
Bien sûr, on connaît la suite ! Les persécutions entraînèrent plusieurs vagues d’émigration de Juifs qui fuirent le pays, abandonnant de facto leurs biens aux Nazis.
Et le 20 août 1938, cinq mois après l’intégration de l’Autriche à l’Allemagne, Adolf Eichmann mettait en place le Bureau central d’émigration juive afin de vider le pays de sa communauté israélite.
128.000 personnes, au total, devaient prendre le chemin de l’exil au cours de ces années alors que plus de 65.000 personnes étaient exterminées. Ces réfugiés, avec le temps, se disséminèrent sur les cinq continents où eux et leurs descendants bâtirent de nouvelles vies.
Il est notoirement connu que l’Autriche, contrairement à l’Allemagne, n’a guère entrepris de devoir de mémoire et que les études, s’il en existe[1], ne supportent que difficilement la comparaison avec l’examen de conscience auquel s’est livrée l’Allemagne durant ces dernières décennies au travers d’une multitude de publications ou de reportages.
Il faut dès lors sans doute considérer comme historique la décision du gouvernement autrichien qui a adopté en septembre 2019 une loi rendant la nationalité autrichienne aux descendants des exilés de la guerre.
Les arrière-petits-enfants de Juifs autrichiens établis en Californie, en Angleterre ou en Suisse pourront dès lors se réclamer de l’Autriche si tel est leur souhait.
Une reconnaissance de ce passé sinistre étonnante alors que l’Autriche oscille sur le fil de l’extrémisme de droite.
Car si le gouvernement est actuellement transitoire après l’implosion de la coalition de Sébastian Kurz au printemps dernier, les mouvances populistes demeurent extrêmement vivaces.
Mais l’aspect le plus étonnant de cette décision relève de la géographie politique. En effet, cette loi s’appliquera, dès l’année prochaine, à tous les descendants d’anciens résidents juifs de l’Empire austro-hongrois, de fait à tous les Juifs ayant demeuré entre les frontières du territoire impérial tel qu’il existait encore en 1918.
Les personnes ayant dès lors vécu à Prague ou à Budapest sont donc pris en compte, leurs descendants pouvant ainsi se réclamer autrichien sans pour autant habiter en Autriche.
La loi adoptée il y a deux mois se révèle ainsi symboliquement très forte. Certes, elle reconnaît la répression exercée contre les Juifs durant la guerre, mais elle nie par ailleurs la partition du territoire impérial intervenue en 1919. C’est en fin de compte une forme de prévarication, de négation du traité de Saint-Germain-en-Laye, signé le 10 septembre 1919 entre les Alliés et établissant la paix avec l’Autriche.
Un traité qui consacrait la dislocation de l’empire en sept États. Il est vrai que les Autrichiens, en tant que peuple vaincu, subirent la vexation de l’exclusion des négociations de paix, entraînant inévitablement, à l’instar du traité de Versailles à l’égard des Allemands, frustrations, humiliation et colère. Et il est piquant, dans ce contexte, de rappeler que le traité original de 1919, volé par les Allemands en 1940, a disparu depuis lors, sans doute détruit lors des bombardements alliés.
N’y a-t-il donc pas une forme d’instrumentalisation de ce passé mis en œuvre par le gouvernement autrichien ultra-conservateur qui, en utilisant le drame juif de la Seconde guerre mondiale, manipule habilement et de manière éhontée la noblesse d’une démarche se voulant responsable et résipiscente, dans le but de soutenir une idéologie hybris qui, semble-t-il, de nationaliste tend de plus en plus à un impérialisme au sens premier du terme ?
[1] Par exemple Oliver Rathkolb, Maria Wirth, Michael Wladika, Die “Reichsforste” in Österreich 1938-1945, Wien, 2002. Ou Dirk Hänisch, Die österreichischen NSDAP-Wähler: eine empirische Analyse ihrer politischen Herkunft und ihres Sozialprofils, Wien, 1998.
Source Le Temps
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