Quand on a la chance de sauver ne serait-ce qu’une seule vie humaine, on le doit, c’est primordial. Et j’ai eu la chance d’en sauver beaucoup.(Adolfo Kaminsky)
Cet homme est un héros très discret même si sa fille, Sarah, a longtemps ignoré qu’il avait été résistant, faussaire et expert en faux papiers.
Adolfo Kaminsky, mon père, a aujourd’hui 94 ans et il a fait des faux papiers pendant 30 ans de sa vie pour sauver des gens.
Il a commencé son travail de faussaire pendant la Seconde Guerre mondiale où il était le faussaire de Paris.
Et puis il a continué pour toutes les causes qui lui ont semblé justes pendant 30 ans jusque dans les années 70. (Sarah Kaminsky)
Juif d’origine russe né en Argentine, Adolfo Kaminsky grandit en France. Dès 14 ans, il travaille dans une teinturerie où il se forme à la chimie.
En 1942, à 17 ans, il est interné dans le camp de Drancy d’où il sort miraculeusement.
À sa sortie, il entre dans la Résistance en inventant le principe de l’effaceur.
La Résistance avait un énorme problème pour la décoloration de l’encre bleue Waterman.
Et c’est ainsi qu’il a été recruté. Lui savait comment faire et donc il a intégré le laboratoire de faux papiers. (Sarah Kaminsky)
"Même les enfants en bas âge avaient une carte d’alimentation avec le tampon "Juif" en rouge, se rappelle Adolfo Kaminsky.
Et puis il y avait les noms. Quand on s’appelle Israélovitch David, il vaut mieux s’appeler Jean-Pierre Dupond.
À cette époque, c’était jour et nuit, j’ai travaillé jusqu’à l’évanouissement. Plusieurs fois de suite, j’ai été réanimé par mes camarades."
En une heure, je fabrique 30 faux papiers. Si je dors une heure, 30 personnes mourront. (Adolfo Kaminsky)
J’ai perdu un œil de fatigue de ce travail ininterrompu jour et nuit, au microscope, à la loupe, explique aujourd'hui Adolfo. Mais c’est le prix à payer. (Adolfo Kaminsky)
Après-guerre, il fabrique des faux papiers pour l’émigration des rescapés juifs vers la Palestine.
Puis il sera le faussaire des combattants algériens, sud-américains, tiers-mondistes, etc. Dans la clandestinité jusqu’en 1971.
Il a toujours refusé d’être payé pour faire des faux papiers pour ne jamais être forcé à soutenir une cause.
Ce qui pour moi fait la particularité de son engagement, c’est que pendant la Seconde Guerre mondiale, il s’est engagé pour des Juifs, c’est-à-dire qu’il était athée mais juif.
Et ce que je trouve extrêmement intéressant dans son histoire, c’est que par la suite, il met exactement le même engagement à sauver des personnes qui n’ont rien à voir avec sa communauté.
Financièrement, il a toujours été fauché. Sentimentalement, ça a toujours été très très compliqué d’avoir une double vie.
À chaque fois qu’il avait une histoire d’amour et qu’il devait aller travailler au laboratoire la nuit, son amoureuse se disait : "Mais avec qui est-ce qu’il me trompe ?". Sarah Kaminsky
C’est en faisant des faux papiers qu’Adolfo découvre la passion de sa vie : la photographie.
Une passion restée secrète, clandestine, jusqu’à aujourd’hui.
Il voulait être peintre quand il était petit mais il pouvait pas, retrace Sarah, il fallait qu’il travaille, il était dans une famille pauvre. Mais d’un coup la photographie vient remplacer sa volonté de transcrire le monde en images. Et il fait plein de photographies artistiques pour lui-même dont il développe la pellicule et dont il ne tire jamais les photos.
Donc il a gardé comme des boîtes, des boîtes et des boîtes remplies de pellicules développées mais de photos non tirées que personne n’a jamais vues, qu’il ne pouvait pas exposer parce qu’il ne pouvait pas être à la fois dans l’ombre et dans la lumière.
Aujourd’hui, parce qu’il n’est jamais trop tard, même si à 94 ans pourquoi pas, il a une carrière naissante de jeune photographe. (Sarah Kaminsky)
À voir : Exposition "Adolfo Kaminsky, faussaire et photographe", Musée d'art et d'histoire du Judaïsme (MAHJ), Paris, du 23 mai au 8 décembre 2019
Source France Culture
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