jeudi 29 août 2019

Et si l’Arabie saoudite jouait contre elle-même avec l’Iran ?


« En Arabie saoudite, 80 % des puits de pétrole se situent dans les zones chiites ». La « pression maximale » contre Téhéran entretenue par Washington, avec le soutien privilégié des Emirats arabes unis (EAU) et de l’Arabie saoudite, pourrait se révéler à terme une très mauvaise affaire pour les deux tenants du nouvel axe fort sunnite au Moyen-Orient......Détails........



Surface maritime stratégique

Dans une précédente tribune, nous revenions sur le redéploiement géostratégique des EAU dans la région, après leur annonce officielle de se retirer de la guerre au Yémen pour soutenir une option de sortie de crise plus diplomatique. 
La stratégie de Mohamed ben Zayed (dit « MBZ ») va en réalité bien au-delà : devenir à la fois la nouvelle Sparte régionale et un mini empire militaire, en étendant notamment son emprise maritime autour du détroit d’Ormuz, mais également en s’engageant à la tête de la contre-révolution anti-démocratique dans le monde arabo-musulman.
Anticipant le probable retrait américain de toute cette tension régionale, avec l’approche des élections américaines de 2020, où Donald Trump se concentrera surtout sur sa réélection, MBZ sait très bien qu’il peut encore pâtir d’un embrasement régional. 
Il faut gagner du temps et conquérir ce qu’il y’a à conquérir ; profiter des projecteurs braqués pour le moment sur l’Iran et augmenter discrètement son influence.
Les EAU ne résisteraient pas bien longtemps à la force de frappe iranienne et au poids de ses milices, délocalisées sur les différents terrains de guerre à proximité, où Abou Dhabi est impliquée. 
Il y a donc urgence à se concentrer sur le « Rimland » [concept créé par le professeur de relations internationales Nicholas John Spykman, qui percevait la géopolitique comme une planification de la politique de sécurité d’un pays donné en fonction de ses facteurs géographiques, ndlr], la surface maritime stratégique qu’elle peut facilement gagner. 
Mais les inquiétudes persistent tout de même pour MBZ, à tel point qu’un accord secret, qui vient d’être révélé, a été passé entre les EAU et Israël, pour 760 millions d’euros d’armement préventifs en cas de guerre avec l’Iran.

Menace existentielle

Quid de l’Arabie saoudite ? Même risque vital dans le déclenchement d’une guerre avec Téhéran car le ver est déjà dans le fruit. 
Pourquoi ? Si Riyad se présente comme le porte-étendard de la cause sunnite, anti-nucléaire iranien, appuyé par ses satellites qui, en réalité, dépendent économiquement d’elle, comme le Bahreïn ou l’Egypte notamment, elle a dans son jeu une très mauvaise carte contre elle. 
Pour rappel, en Arabie saoudite, 80 % des puits de pétrole se situent dans les zones peuplées par les chiites. Riyad, par ailleurs, ne disposant d’aucune autre ressource économique.
Déjà en 2016, la tension entre les sunnites et les chiites avait atteint des sommets après l’assassinat d’un haut dignitaire chiite dans la région concernée. « Les autorités saoudiennes ont pris le risque d’une conflagration majeure. 
En décidant d’exécuter la semaine dernière le cheikh Nimr al-Nimr, elles ont attenté à l’une des figures les plus respectées de leur minorité chiite, une communauté qui souffre de nombreuses discriminations tout en entretenant des liens étroits avec leurs puissants coreligionnaires iraniens. 
Le cocktail est si explosif que la communauté internationale a immédiatement réagi », écrivait à l’époque le quotidien suisse Le Temps.
Ceci ajouté aux 60 % de chiites bahreïnis que Riyad finirait par avoir du mal à contenir, et l’on comprend pourquoi les Saoudiens voient l’Iran comme une menace existentielle. 
D’autant plus qu’ils apparaissent aujourd’hui cernés par les populations chiites du Yémen, et que Téhéran « ferme » le monde sunnite en Irak, en Syrie, au Liban et à Gaza.

Apaiser la situation

Or, dans un tel contexte, face à un pays de 81 millions d’habitants aux ressources illimitées et qui « dispose » d’un lien privilégié avec les populations de langue persane des multiples pays d’Asie centrale, la raison stratégique voudrait que l’Arabie saoudite conclue une alliance pérenne et consacre à son développement les sommes qu’elle engloutit dans une conflictualité sans issue. Le royaume saoudien n’a plus les moyens de sa guerre meurtrière menée au Yémen depuis cinq ans, qu’elle ne gagnera de toute façon pas.
Ces deux entités que sont les EAU et l’Arabie saoudite peuvent-elles prendre le risque, depuis l’échec du blocus contre le Qatar et l’effondrement de facto du Conseil de coopération du Golfe (CCG), de se frotter à l’Iran, sachant que les Etats-Unis pourraient se retirer (même provisoirement) du jeu ? 
Si Mohamed ben Salman (dit « MBS »), le prince héritier saoudien, s’accroche encore à l’illusion de détrôner au Yémen les Houthis, pour ne pas perdre la face dans ce pays dévasté, MBZ, fin stratège et bien mieux rôdé aux rouages géopolitiques que son poulain, sait très bien que la partie parait déjà jouée. Et qu’il vaut mieux s’adapter au plus vite à la configuration géopolitique en cours, dans laquelle l’Iran résiste. 
L’inexpérience de MBS pourrait dès lors être fatale à tout l’équilibre de la région, s’il ne se ressaisissait pas au plus vite et ne cherchait à apaiser la situation.

Source Le Monde Arabe
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