mercredi 26 juin 2019

Irena - Tome 4 : Une femme comme toutes les femmes, dans une Pologne déchirée par la guerre et le nazisme !


Nous sommes dans une année de commémoration, de souvenir… Souvenir de la bataille de Normandie, souvenir, bientôt, de la bataille des Ardennes, souvenir du début de la fin pour Hitler et ses actes nauséabonds........Détails.........



Nous sommes aussi dans un moment de l’Histoire qui voit refleurir des discours dignes des écrivains les plus poujadistes du début du vingtième siècle, des discours qui parlent de l’héroïsme, avec des accents qui frisent le ridicule et, de ce fait, ne peuvent que donner froid dans le dos !
Il est nécessaire, dès lors, de se plonger dans une série bd comme Irena, une série qui remet l’héroïsme à sa place réelle, loin des idéologies et des politiques oublieuses de l’être humain !
Irena, c’est une petite bonne femme qui, à Varsovie, a sauvé des centaines et des centaines d’enfants juifs. Et qui ne l’a fait que poussée par l’émotion, par le sentiment, par l’envie, non pas d’être une héroïne, mais celle simplement de ne pas être un mouton parmi les moutons.
Irena, ce n’est pas un personnage né de l’imagination des auteurs de cette série. C’est un personnage réel, et cette bd lui rend hommage en nous racontant, sans fioritures, sans exagération, ce que fut sa vie, ce que fut son action, le tout dans une époque historique qui, parfaitement bien rendue, nous fait comprendre ce qu’est l’horreur, ce qu’est l’indicible, ce qu’est la résistance !
Dans ce quatrième tome, deux époques se mélangent. 
Il y a Irena, en 1944, à Varsovie, arrêtée, torturée, retrouvant miraculeusement la liberté et continuant à sauver des enfants. Il y a Irena, en 1983, à Jérusalem, reconnue comme Juste parmi les nations, et y retrouvant, adulte, une femme qu’elle a sauvée, pendant la guerre, enfant… Une femme accompagnée de sa petite-fille, à  laquelle Irena raconte son histoire.
La grande Histoire est totalement présente : on parle, dans ce volume, des Russes attendant devant Varsovie que la résistance polonaise se résume à une peau de chagrin. 
On parle également du communisme qui, bien des années plus tard, accepte  enfin de laisser Irena se rendre en Israël.
Deux réalités se mêlent aussi dans ce récit. La mort, d’abord, qui se nourrit d’elle-même, qui démultiplie l’horreur et la rend quotidienne, la mort qui ne s’estompe, le plus souvent, que grâce à la nostalgie qui lui dénie son pouvoir… La vie, ensuite, qui, toujours, reprend le dessus, avec la peur de ne pas laisser de souvenir, ou, pire encore, de perdre ses souvenances.
Irena se révèle, dans le magma de cette Histoire horrible, comme une femme simple, sans convictions autres que celle de la gentillesse et de la tolérance. Elle n’est pas juive, au contraire du petit Martin qu’elle rencontre dans le ghetto de Varsovie et qui lui raconte sa vie naissante, mélange de réalité et de mensonge, ce petit Martin rappelant un autre Martin qui, bien des années plus tard, sera écrivain de souvenirs pas toujours très réels ! 
Irena n’est pas juive, et cette série nous montre que face à la mort, aucune religion, aucune race, aucune identité n'est à l'abri de l'horreur et de la souffrance!...
Irena, c’est une petite bonne femme, oui, guidée par cette gentillesse qui la rend héroïque dans un environnement historique où le simple fait d’être gentil est déjà un acte de résistance.
Et ce qui est étonnant, et d’une réussite impeccable, dans cette série, c’est que, construite autour de bons sentiments, elle parvient à ne jamais être mièvre!
S’il me fallait trouver un style auquel rattacher " Irena ", se serait peut-être la tragi-comédie… Au sens premier du terme… Une tragédie profonde, insoutenable même, mais qui devient accessible grâce à des moments de tendresse, d’humour, grâce à  la présence d'instants d’une intimité qui estompe la démesure de l’inacceptable.
Et les scénaristes, incontestablement, ont mis beaucoup d’eux-mêmes et de leurs philosophies personnelles, en écrivant cette histoire, en adaptant en bande dessinée les vécus d’Irena.
La priorité, dans cette série, et plus spécialement encore dans ce quatrième volume, est donnée aux mots. Et à leurs espoirs...
Mais le dessin a une importance capitale, puisque c’est lui qui permet à ces mots de s’exprimer, de prendre vie, puisque c’est lui qui évite et le manichéisme et le voyeurisme !
Le graphisme de David Evrard, de par son trait volontairement quelque peu tremblant, rend compte sans avoir l’air d’y toucher de la réalité des sentiments, peur et espérance, vécus par les protagonistes du récit.
Son travail, par exemple, sur les bouches, est exemplaire. Et ses pleines pages intimistes sont des respirations dans un album qui, sinon, serait peut-être étouffant. 
Et j’ai beaucoup aimé ses gros plans qui, presque abstraits, permettent, eux aussi, au lecteur de souffler… Et donc, de réfléchir!
Et n’oublions pas la couleur de Walter, qui, même dans les moments de cauchemar, réussit à conserver une belle part de lumière…
La bande dessinée est multiforme. Elle peut être d’une lecture immédiate, elle peut se faire onirique, elle peut plonger dans le réel comme dans l’imaginaire. Mais je pense qu’elle n’est jamais aussi importante, aussi forte, que lorsqu’elle naît et de nourrit d’un sentiment essentiel, l’émotion !
Et puisque le monde " officiel " se souvient aujourd’hui de la tragédie de la guerre 40/45, je trouve primordial qu’existent des œuvres de qualité, comme " Irena ", pour remettre, enfin, l’être humain et ses quotidiens dans les sillons de la vérité historique !

Par Jacques Schraûwen

Irena - Tome 4 : Je suis fier de toi (dessin : David Evrard – scénario : Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël – couleurs : Walter – éditeur : Glénat)






Source RTBF
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