Total vient de démarrer des forages d’exploration au large de Chypre. Le bassin du Levant pourrait receler des réserves gazières gigantesques......Détails.......
Les menaces d'Ankara à l'égard du gouvernement chypriote n'y ont rien changé : Total a démarré le 13 juillet, avec son partenaire ENI, les opérations de forage pour l'exploration du champ Onisiforos, au large des côtes de l'île. Une opération à haut potentiel, « l'une des explorations les plus critiques de l'année dans le monde », avait estimé le cabinet IHS Markit en début d'année.
Le géant pétrolier français fonde de grands espoirs dans ce forage, car la zone a abrité de belles découvertes gazières récemment, comme celle de Zohr en Egypte, à 6 kilomètres de là, réputée être la plus grande découverte de gaz jamais effectuée en Méditerranée.
Sur Onisiforos, les résultats ne seront pas connus avant plusieurs mois.
« D'un point de vue géologique, le bassin a le même potentiel que la Mer du Nord. »
A elle seule, cette zone de la Méditerranée orientale, appelée le « bassin du Levant », recèlerait selon les estimations de l'US Geological Survey 3.400 milliards de mètres cubes de gaz naturel « en place ».
La totalité n'en sera pas récupérée, mais de telles réserves pourraient assurer la consommation d'un pays comme la France pendant plus de cinquante ans au moins.
Leur exploitation relève toutefois d'un long parcours du combattant. « D'un point de vue géologique, le bassin a le même potentiel que la Mer du Nord », note Olivier Appert, président du Conseil français de l'énergie. « Sauf qu'il est entouré de sept pays en conflit entre eux depuis des décennies : le gaz risque d'être difficile à valoriser ! »
Chypre, un cas emblématique
Le cas de Chypre est emblématique : alors que l'île est coupée en deux depuis 1974, la Turquie, qui occupe la partie nord, ne reconnaît pas la République de Chypre (pourtant reconnue par l'ONU et membre de l'Union européenne) et conteste notamment le partage des eaux territoriales, où sont effectués les forages de Total et ENI.
Malgré les tensions (Ankara a été jusqu'à déployer des navires de guerre dans la zone), « les compagnies estiment que le risque politique est gérable », souligne Francis Perrin, directeur de recherche à l'IRIS.
« Les compagnies estiment que le risque politique est gérable. »
Les grandes découvertes dans la région ont commencé en 2009 et 2010 au large d'Israël, avec les gisements de Tamar, puis du champ géant Leviathan, par la compagnie américaine Noble Energy, associée à la société locale Delek. Elles se sont poursuivies en 2011 à Chypre, où Noble a aussi trouvé le vaste champ Aphrodite.
La découverte de Zohr par l'italien ENI en Egypte, en 2015, a achevé de convaincre les compagnies que la zone pouvait être un nouvel eldorado gazier.
Le développement de Zohr est aujourd'hui le plus avancé. ENI, qui s'est entre-temps associé à BP (10 %) et au russe Rosneft (30 %), a engagé un développement accéléré et la première production est prévue pour fin 2017. « Le projet avance bien, cette perspective est réaliste », indique Francis Perrin. En Israël, la décision d'investissement sur le développement de Leviathan a été prise fin 2016.
« Les Israéliens ont perdu beaucoup de temps en discussions internes mais le démarrage est désormais prévu fin 2019-début 2020 », poursuit l'expert.
Bouleversement des équilibres régionaux
De quoi bouleverser l'équilibre de la région. L'Egypte et Israël, qui étaient importateurs de gaz, vont devenir exportateurs : la production à venir sera à terme largement supérieure aux besoins de leurs marchés intérieurs. D'autant que l'Egypte a aussi lancé des projets gigantesques au large du delta du Nil (North Alexandria, West Méditerranéen Deepwater).
« Tous ces nouveaux volumes vont devoir trouver des clients », relève Thierry Bros, chercheur à l'Oxford Institute for Energy Studies.
Une partie de ce gaz sera liquéfiée dans les installations égyptiennes aujourd'hui sous-utilisées.
« Il pourrait sur le papier trouver preneur en Europe, où les gisements de la mer du Nord et des Pays-Bas sont en fort déclin. Mais ils auront du mal à concurrencer le gaz russe, particulièrement bon marché », poursuit-il.
D'autres pays de la région aimeraient profiter de la manne gazière du bassin du Levant et lancer des opérations d'exploration.
Après un premier round qui comprenait le bloc 11, dont fait partie Onisiforos, Chypre a attribué de nouveaux blocs à des compagnies internationales fin 2016. Après des années de tergiversation, le Liban devrait aussi céder des permis dès cet automne.
« Mais les zones les plus prometteuses font l'objet de contestations frontalières avec Israël... », relève Francis Perrin. Le gaz pourrait bien devenir une source de nouvelles tensions dans une région qui n'en a pas vraiment besoin.
Anne Feitz
Source Les Echos