Il y a moins de cinq ans, Nadia Murad Basee Taha était une adolescente normale vivant dans le village de Kocho, dans la région de Sinjar en Irak. Mais sa vie a changé pour toujours quand, en août 2014, elle fut capturée par le groupe terroriste Etat islamique et vendue comme esclave sexuelle, au côté de milliers d'autres femmes et filles yézidies......Détails........
Après être parvenue à s'échapper des griffes du groupe djihadiste, Nadia est devenue la voix des souffrances du peuple yézidi, en témoignant en 2015 devant le Conseil de sécurité des Nations Unies sur les atrocités commises par l'EI.
Mardi, Nadia a terminé une visite de cinq jours en Israël co-organisée par l'organisation humanitaire IsraAID, l'association pour le combat du génocide, et le bureau israélien de la Société pour le développement international (SID). Cette visite fait partie d'une tournée mondiale de deux ans au cours de laquelle Nadia milite auprès de différentes gouvernements pour que les crimes perpétrés par l'EI contre les Yézidis soient formellement reconnus comme un génocide.
Lors de son dernier jour en Israël, et devant le public enthousiaste de la salle de conférences au Musée du peuple juif, qui se trouve sur le campus de l'Université de Tel Aviv, Nadia a établi de solides parallèles entre les souffrances du peuple yézidi et celles des Juifs pendant la Shoah
"L'histoire du peuple juif est une histoire unique, et pourtant, une partie d'elle fait écho aux expériences de ma propre communauté. Comme les Juifs, les Yézidis ont une histoire millénaire. Malgré les récentes persécutions, nos deux peuples ont survécu", a affirmé Nadia.
"Depuis trois ans, l'EI a volé la paternité de l'histoire des Yézidis. Mais nous ne les laisserons pas écrire notre avenir. Mon voyage en Israël m'a montré qu'après l'oppression et le génocide, une communauté peut émerger plus fort ", a-t-elle déclaré.
Nadia et le génocide yézidi
Les Yézidis sont une vieille ethnie issue de la minorité kurde dont les croyances religieuses intègrent des éléments du christianisme et de l'islam. En 2014, on comptait environ un million de Yézidis vivant dans le monde, dont 700.000 concentrés dans la région des monts Sinjar au nord-ouest de l'Irak, près de la frontière syrienne.
Lors de la conquête par l'Etat islamique de régions entières en Syrie et en Irak, les djihadistes ont lancé le 4 août 2014 une offensive sur Sinjar avec l'objectif manifeste d'éliminer les Yézidis, considérés comme des "kfirs ou "non-croyants", et qu'ils ont fini par tuer, asservir ou encore convertir.
"Je me souviens avoir entendu les rumeurs concernant ces terroristes qui détestaient mon peuple et nous considéraient comme des adorateurs du diable", s'est rappelée Nadia.
"Ce jour-là [4 août 2014], et ceux qui ont suivi, l'EI a tué des hommes et des femmes âgés, y compris six de mes neuf frères, ainsi que ma mère (...) Ils ont piégé des milliers de personnes qui ont fui sur le mont Sinjar sans eau, ni nourriture.
L'EI avait planifié à l'avance d'asservir les femmes et les enfants yézidis dans le cadre de leur stratégie visant à détruire notre communauté. Et donc, des milliers d'entre nous ont été enlevés et transportés vers des entrepôts et des prisons", a-t-elle raconté. "Mais je me suis échappée".
Nadia s'est ensuite installée en Allemagne dans le cadre d'un projet gouvernemental spécial pour les femmes et les enfants vulnérables.
Elle a témoigné des crimes des djihadistes devant le Conseil de sécurité de l'ONU en décembre 2015, puis représentée par l'avocat spécialiste des droits de l'homme, Amal Clooney, elle a commencé à plaider pour que les combattants de l'EI soient traduits en justice pour les crimes contre sa communauté.
En 2016, elle a été nommée ambassadrice de bonne volonté de l'UNDOC pour la dignité des survivants de la traite des êtres humains, puis pressentie pour le prix Nobel de la paix.
La même année, une commission indépendante a officiellement déclaré que les crimes de l'EI contre les Yézidis constituaient un génocide.
"Lorsque l'EI a pris le pouvoir, les femmes ont été les premières à souffrir. Les filles de moins de neuf ans ont été vendues sur des marchés d'esclaves et brutalement violé", a ajouté Nadia.
"Il y a aujourd'hui beaucoup de filles dans les camps de réfugiés, qui ont survécu au génocide et qui sont prêtes à témoigner et raconter ce qui leur est arrivé", a-t-il souligné.
Mais jusqu'à maintenant, trop peu a été fait pour traduire les auteurs de ces crimes devant la justice.
"Pendant deux ans, j'ai parlé à des politiciens, à des chefs religieux et à des commissions, les appelant à la reconnaissance et à la justice. Mais la communauté internationale n'a toujours pas agi pour protéger les Yézidis, ou pour traduire les auteurs devant la justice", a-t-elle regretté.
Près de 3.000 Yézidis sont encore prisonniers de l'EI tandis que des milliers d'autres vivent dans des camps de réfugiés de fortune sur les côtés grecques, où des organisations comme IsraAID pourvoient à leurs besoins fondamentaux et leur apporte un soutien psychologique.
L'exemple israélien
C'est aussi grâce au travail d'IsraAID avec les réfugiés yézidis dans le camp en cours d'évacuation de Petra, en Grèce, que le co-directeur de l'organisation, Yotam Polizer, s'est rendu compte qu’Israël pouvait jouer un rôle important dans la cause yézidie.
"Contrairement aux réfugiés syriens qui ont vu notre logo avec l'étoile de David et étaient peut-être confus, les Yézidis nous ont accueillis avec d'énormes sourires. Ils ont dit que pour eux que c'était un lien naturel", a déclaré Polizer. Dans les camps, ajoute-t-il, il est devenu clair que les Yézidis ne voulaient pas notre soutien financier, mais nos conseils".
En Israël, Nadia a visité Yad Vashem et le Musée de l'histoire du peuple juif, a rencontré des députés israéliens, ainsi que le président de l'Université de Tel Aviv pour réfléchir à la possibilité de voir des étudiants yézidis venir étudier en Israël.
"Comme les Juifs, les Yézidis ont montré une résilience face à l'oppression. S'accrocher à son identité peut être une force de résistance. Chaque fois que nous pratiquons une coutume traditionnelle ou que nous en défendons une autre, nous refusons de laisser nos tortionnaires être plus forts que nous", a-t-elle affirmé.
Lors d'un rassemblement à la Knesset lundi soir, Nadia a exhorté les députés israéliens à reconnaître officiellement le génocide des Yézidis et à adopter un projet de loi présenté par la députée de l'Union sioniste Ksenia Svetlova, également à la tête du lobby pour le renforcement des relations entre l'État hébreu et le peuple kurde.
"Si le projet de loi est adopté, Israël rejoindrait d'autres pays qui ont reconnu officiellement que ce que nous avons enduré est un crime. En effet, le crime le plus odieux", a affirmé Nadia mardi devant les étudiants de l'Université de Tel Aviv. Après elle, Svetlova a affirmé croire qu'Israël peut faire beaucoup pour favoriser la cause des Yézidis.
"La première chose que nous devons faites est commémorer et reconnaître", at-elle déclaré.
"Plus jamais ça. C'est la devise de notre pays qui a été construit sur les cendres de la Shoah. Pour moi (...) Il est évident que 'Plus jamais ça' n'est pas valable seulement pour les Juifs. Ça l'est aussi pour les autres nations et pour les autres peuples", a ajouté Svetlova.
Avec l'armée irakienne qui reprend petit à petit sur les derniers bastions de l'EI dans le pays, Nadia espère bientôt pouvoir revenir dans son village de Sinjar et poursuivre son rêve d'étudier le maquillage artistique et d'ouvrir son propre salon.
"Il n'y a pas un jour qui se passe, sans que je pense à ma famille, à notre maison et à ce qui m'est arrivé. Toute ma vie est devenue un souvenir. Ca me suit tout le temps", a-t-elle soupiré.
Avant de quitter Israël, Nadia a livré un dernier message aux étudiants: "Merci d'avoir donné aux Yézidis un exemple pour savoir comment rester liés à notre histoire et à notre patrimoine tout en façonnant notre avenir".
Emily Gatt
Source I24News
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