lundi 9 mai 2016

Les juifs de Suisse sont las d’exprimer leur indignation à tout bout de champ





Les références aux nazis sont des provocations qui fonctionnent infailliblement, mais les juifs de Suisse sont las d’exprimer sans cesse leur indignation, estime Herbert Winter (photo ci-dessus), président de la Fédération suisse des communautés israélites. Les nazis ont dépouillé six millions de juifs et des millions d’autres victimes de leurs droits, de leur humanité, avant de les assassiner systématiquement dans des usines de la mort...







Selon Christoph Blocher, les membres de l’UDC seraient les nouveaux juifs – cette comparaison est une banalisation grotesque des crimes nazis.
Pourtant, j’entends que les milieux proches de l’UDC ne sont pas les seuls à brandir des comparaisons tout aussi grotesques.
Parmi la gauche, certains n’hésitent pas à comparer l’UDC aux nazis ou du moins à détecter des tendances fascistes. Autre comparaison absurde, mais souvent avancée: les juifs seraient tout aussi brutaux, voire même plus brutaux que les nazis face aux Palestiniens.
De telles affirmations me parviennent de la gauche, de la droite – et du centre. Même les islamistes du Conseil central islamique suisse ont porté sur leurs poitrines des étoiles juives avec l’inscription «Musulman» – pour provoquer.


Toujours le même schéma


Les débats provoqués par ces comparaisons suivent toujours le même schéma. Un provocateur déclare qu’il est «le nouveau juif» ou que son adversaire est le nouveau nazi. Tout de suite après, les médias accordent au provocateur l’attention qu’il cherchait.
Selon certains journalistes, nous, les juifs, aurions un rôle déterminé à jouer dans ces débats: nous montrer outrés pour donner encore plus d’effet au scandale.
Les hommes politiques aiment profiter de notre indignation publique pour diffamer leur adversaire encore davantage. Quand nous critiquons la droite, la gauche applaudit. Quand nous critiquons un parti de gauche, la droite nous tape sur l’épaule.
Mais gare à nous si nous ne jouons pas bien notre rôle. Ainsi, la semaine dernière, un journaliste plutôt proche du stratégiste en chef de l’UDC déclara que l’on ne pouvait pas prendre au sérieux la critique de la Fédération suisse des communautés israélites, puisqu’elle s’était abstenue de critiquer les croix gammées figurant sur les affiches contre l’initiative de mise en œuvre.


Sommes nous obligés d’exprimer notre indignation ?


Certains semblent partir du principe que nous sommes obligés d’exprimer notre indignation à chaque comparaison avec les nazis, aussi absurde qu’elle soit, pour embraser le débat encore plus.
Si nous avions l’ambition de condamner chaque référence mal placée aux nazis, nous serions forcés de publier chaque semaine des prises de position reflétant notre indignation.
Et pourtant, nous ne nous faisons pas que des amis avec nos réactions. Chaque fois que nous répondons aux questions des médias concernant des références aux nazis, nous recevons des courriers offensants.
Ceux qui affirment que nous, les juifs, cherchons sans cesse à attirer l’attention sont encore les plus gentils.
Comme si nous recherchions ce type de gros titres. Ces jours, nous recevons à nouveau des courriels affirmant que nous, les juifs de Suisse, étions mal placés pour critiquer les autres, vu ce que les juifs font avec les Palestiniens…


Que signifie cette banalisation ?


Par contre, rares sont ceux qui cherchent à savoir ce que cette banalisation des références aux nazis ou des comparaisons avec les juifs signifient pour nous, les juifs.
Les médias qui offrent une plate-forme à ces provocations recherchent le scandale ou, plus précisément, une plus grande audience; les personnalités politiques cherchent à se profiler ou à diffamer leurs adversaires.


Des références indignes de notre culture politique


Personnellement, je suis las d’entendre ces références aux nazis et les débats qui s’ensuivent.
Ces références aux nazis sont indignes de notre culture politique. Elles sont toujours mal placées, elles reflètent toujours un manque de piété face aux victimes des nazis, elles sont toujours blessantes pour nous, les juifs. Cela vaut autant pour la gauche qui compare l’UDC au NSDAP que pour l’UDC ou pour les islamistes qui déclarent qu’ils sont les nouveaux juifs.
Je souhaiterais que les hommes politiques cessent de brandir ces termes sans réfléchir; et je souhaiterais que les médias cessent de tomber dans le piège de ces provocateurs.
Je souhaiterais qu’à l’avenir, les médias refusent aux provocateurs la publicité qu’ils recherchent, et qu’ils démasquent très brièvement ces références pour ce qu’elles sont: inappropriées.
Nous, à la Fédération suisse des communautés israélites, ne sommes plus prêts à jouer le rôle qui nous est imparti, celui de l’indigné chronique. Peut-être qu’à l’avenir, nous donnerons la même réponse à toutes les questions des médias: Ces références aux nazis en disent plus long sur le comparant que sur le comparé.

Herbert Winter, président de la Fédération suisse des communautés israélites


Source Le Temps