mercredi 9 décembre 2015

Marcus Klingberg (l'espion qui a volé les secrets d'Israël) : ses cendres sont au Père Lachaise

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Depuis quelques jours, les cendres de Marcus Klingberg, l’espion juif et Russe qui a fait trembler Israël, sont au Père Lachaise. L’épidémiologiste, qui collecta au profit de Moscou quelques-uns des secrets les mieux gardés de l’État hébreu pendant deux décennies, vient de mourir à l’âge de 97 ans. Démasqué en 1982, il fut emprisonné jusqu’en 2003, date à laquelle il gagna la France. Son histoire fut celle d’un sidérant raté du contre-espionnage israélien...


Cet espion-là, aussi, venait du froid. Marcus Klingberg, qui s’est éteint il y a une semaine à l’âge de 97 ans, avait grandi à Varsovie. Son histoire fut celle d’un sidérant raté du contre-espionnage israélien.
Pendant plus de vingt ans, l’épidémiologiste formé sur les bancs de l’université de Minsk collecta au profit de Moscou quelques-uns des secrets les mieux gardés de l’État hébreu.
Plusieurs fois soupçonné, il n’en exerça pas moins d’éminentes responsabilités au sein de l’Institut israélien de recherche en biologie (IIRB). Ce centre dissimulé derrière de hauts murs à Ness Ziona abrite depuis 1952 des laboratoires aux activités ultraconfidentielles". (Paul Louis. Le Figaro)
C’est l’une des affaires d’espionnage les plus graves de l’histoire d’Israël. Un immigrant juif polonais, Marcus Klingberg, a espionné l’Etat hébreu au profit de l’URSS jusqu’en 1983, avant d’être arrêté puis écroué pendant 15 ans. Marcus Klingberg n’est autre que le grand-père de l’adjoint au maire au Logement à Paris, Ian Brossat. Pour la première fois, le communiste de 34 ans raconte l’histoire peu commune de son grand-père.
Certains passent leurs étés dans la maison de campagne familiale. Ian Brossat, lui, se rendait chaque année jusqu’à ses 18 ans en Israël, pour rendre visite à son grand-père en prison. L’élu communiste de Paris, adjoint au maire au Logement, est le petit-fils de l’espion israélien Marcus Klingberg.
Celui-ci a été condamné dans “la plus grave affaire d’espionnage de l’histoire d’Israël”, selon le spécialiste israélien des affaires d’espionnage, Yossi Melman. Marcus Klingberg a transmis pendant près de 30 ans des documents secrets à l’Union soviétique.
Arrêté en 1983, il écope de 20 ans de prison. En 2003, il est autorisé à quitter Israël et s’installe à Paris près de sa fille, Sylvie, la mère de Ian. A 96 ans, il y habite encore.

“Je l’admire pour sa force de résistance à toutes les épreuves”

Ian Brossat n’avait jamais raconté cette histoire familiale. Une affaire si caractéristique du XXe siècle où se mélange le drame de la Shoah, les péripéties de la Guerre froide et la montée en puissance de l’Etat d’Israël. L’adjoint au maire de Paris ne l’a pourtant jamais cachée.
Mais cet aspect de sa vie était passé largement inaperçu, et ce alors que de nombreux médias ont tiré le portrait du communiste quand il est devenu porte-parole de campagne de la future maire de Paris, Anne Hidalgo. Le porte-parole de NKM, Pierre-Yves Bournazel (UMP), a bien tenté lors d’un débat sur LCP d’y faire allusion mais la manoeuvre était tombée à plat.
Si Ian Brossat a décidé de parler aujourd’hui de cette histoire un peu spéciale, c’est parce qu’il ne veut pas que “la première version soit donnée par des gens qui n’y connaissent rien”.
Et c’est aussi parce que le parcours de son grand-père a façonné son engagement politique. Ian Brossat a commencé à visiter son grand-père en Israël à l’âge de trois ans alors qu’il était écroué à la prison d’Ashkelon. “Pendant tout une période, de trois à six ans, je ne savais pas qu’il était en prison. Ma mère me mentait, elle me disait qu’il était à l’hôpital.”
Puis elle a fini par lui dire la vérité et la lui expliquer. Le jeune Ian Brossat ne devait raconter cette histoire à personne. Si l’information s’ébruitait, il pourrait perdre son droit de visite.
Une fois, pourtant, il en parle à l’école par inadvertance : “A une rentrée scolaire, on me demande mon souhait pour l’année en cours. Je dis que j’aimerais que mon grand père soit libéré de prison. Blanc dans la salle. Ma mère a eu très peur que je ne puisse plus lui rendre visite. Au final, personne ne l’a appris.”
En 1993, deux ans après l’effondrement de l’Union soviétique, l’affaire de ce “masque de fer” israélien est révélée publiquement après un recours du journal de gauche Haaretz devant la Cour suprême. A 13 ans, Ian Brossat “est enrôlé dans le combat” pour la libération de Marcus. Lui et sa mère commencent alors à rencontrer les députés à la Knesset et les ministres de la Justice israélienne pour les convaincre d’intercéder en faveur de l’espion soviétique. “Je n’en ai jamais voulu à mon grand-père. J’ai toujours considéré que ses conditions de détention étaient injustes”, se souvient l’adjoint au maire. “Je pense d’ailleurs qu’il y a, dans mon engagement communiste, une part de fidélité par rapport à mon grand père. Je pense qu’il n’aurait pas supporté que je m’engage ailleurs, même à gauche.”
Marcus Klingberg, dont l’anglais au fort accent d’Europe de l’Est rappelle un Yiddishland aujourd’hui disparu, confirme au JDD.fr : “Je suis très heureux. J’ai toujours rêvé de cela. C’est la troisième génération de communistes dans la famille”. Le jeune élu PCF continue pour sa part à rendre visite régulièrement à son grand-père âgé de 96 ans, “pratiquement tous les dimanches”.
Avec le recul, Ian Brossat se montre toujours fier de ses actions : “Je ne dis pas que j’aurais fait ce qu’il a fait. Mais je l’admire pour sa force de résistance à toutes les épreuves, il est indestructible. Et puis il a une forme de fidélité à son engagement.”

“S’il y en a un qui doit survivre, c’est toi. Pars.”

Pour comprendre le parcours de Marcus Klingberg, il faut revenir à ses origines. La guerre, le nazisme et le pacte germano-soviétique. Marcus Klingberg vient d’une famille juive polonaise très religieuse. En 1939, l’armée allemande envahit l’ouest de la Pologne ; celle de la Russie, l’est. Le père de Marcus, qui habite Varsovie, sous contrôle nazi, devine la catastrophe à venir et demande à son fils de fuir : “S’il y en a un qui doit survivre, c’est toi. Pars.” Le jeune homme de 21 ans rejoint l’URSS de Staline.
Après l’offensive de l’armée d’Hitler en Union soviétique en 1941, Marcus Klingberg s’engage comme volontaire dans l’Armée rouge pour combattre les nazis. Pour Ian Brossat, c’est le “déclencheur” qui expliquera la “fidélité absolue” de son grand-père à l’URSS et son espionnage au profit de l’Union soviétique. “Ce pays lui permet à la fois d’échapper à la mort et de combattre les nazis qui ont tué toute sa famille.”
A la fin de la guerre, Marcus Klingberg retourne en Pologne. Il se marie. Puis s’installe brièvement en Suède avant de faire son alyah (sa “montée” vers Israël) en pleine guerre israélo-arabe de 1948-1949. Le jeune médecin finit alors la guerre d’Indépendance avec le grade de colonel. “Il a toujours ce grade d’ailleurs, ainsi que sa retraite d’officier”, sourit Ian Brossat, qui s’amuse du paradoxe.

Armes chimiques et bactériologiques

 
Le nouvel immigrant continue à travailler pour l’armée israélienne. En 1950, il devient chef de médecine préventive au commandement des services de santé de l’armée. En 1953, il prend la direction de l’Institut de médecine militaire. Puis il est nommé directeur scientifique adjoint de l’Institut de recherche biologique Nes Ziona. Le poste est clé.
Cet institut ultra-secret, situé près de Tel Aviv, est soupçonné d’avoir été utilisé par Israël pour fabriquer des armes chimiques et bactériologiques. Selon Le Nouvel Obs, daté du 6 janvier 1994, “au moins 43 types d’armements non conventionnels, des virus aux toxines de champignons en passant par les bactéries et les poisons de synthèse” y seraient confectionnés.
Interrogé sur son travail à l’institut, Marcus Klingberg, 96 ans, refuse toujours de répondre : “Je n’ai pas le droit de parler de la nature de mon travail à l’institut Ness Ziona. C’était la condition pour qu’on m’autorise à quitter le sol israélien en 2003 après la fin de ma détention.”
Jusqu’à son arrestation, l’espion soviétique vit la vie du bon samaritain à Tel Aviv. Membre du parti travailliste, “pour faire carrière”, selon Brossat, il vote pourtant pour les communistes lors des élections.
Scientifique reconnu, il est invité à s’exprimer dans plusieurs grandes universités.
Pendant 30 ans, Marcus Klingberg transmet de nombreux documents classés secret-défense à l’Union soviétique. L’espion utilise les congrès scientifiques auxquels il participe à l’étranger pour communiquer ses dossiers à son agent traitant.
Marcus Klingberg parvient à deux reprises, en 1965 et dans les années 1970, à échapper aux suspicions et au détecteur de mensonges du Shin Beth, le service de sécurité intérieur. En 1983, un nouvel interrogatoire fait pourtant tout basculer. Questionné pendant plusieurs semaines, il finit par avouer.

Procès à huis-clos

 
Un procès a lieu à huis-clos dès 1983. Pour éviter toute publicité quant à l’existence de Ness Ziona, le nom de Marcus Klingberg n’est même pas mentionné dans l’ordre d’accusation.
L’affaire est nommée “Etat d’Israël contre X” par le tribunal de district de Tel-Aviv qui a jugé l’affaire. Sa condamnation à près de vingt ans de prison ne lui fait pas davantage retrouver son identité. Pour tous les gardiens et tous les autres prisonniers, il est “Greenberg”.
Quand Ian, sa mère et sa grand-mère viennent le voir, ils doivent donner ce nom au surveillant. “Il était à l’isolement. Un gardien était là en permanence quand on lui parlait”. Au fil des années, les restrictions commencent un peu à se desserrer. “Greenberg” peut rencontrer d’autres prisonniers. “C’était assez curieux de le voir lui, le notable, devenir pote avec des prisonniers de droit commun. Il a une certaine capacité d’adaptation à tous les milieux”, témoigne l’élu parisien.
En prison, il a aussi fréquenté l’Israélien Mordechai Vanunu, converti au protestantisme, qui révéla en 1986 au Sunday Times de nombreux détails sur le programme nucléaire israélien. Ce qui le condamna à 18 ans de prison.
En 1998, Marcus Klingberg sort finalement de prison pour raisons de santé et est assigné à résidence.
Cinq ans plus tard, il est autorisé à quitter le territoire israélien et se rend en France, où vivent sa fille et son petit-fils. Toujours en pleine santé mentale, il passe ses journées dans son appartement du cinquième arrondissement parisien à lire des livres d’histoire en anglais, polonais, ou russe, trois des six langues qu’il a appris au cours de sa vie, avec l’hébreu, le yiddish, et l’allemand.
“Tous les jours, je lis les trois principaux journaux israéliens sur Internet, le Guardian, le New York Times, et des journaux polonais” raconte d’une voix enjouée Marcus Klingberg.
Mais dès que sont évoquées plus précisément ses activités d’espionnage, il se montre moins loquace. Sans doute dépositaire d’encore bien des secrets, l’un des espions soviétiques les plus importants de l’histoire d’Israël n’est pas encore prêt à les livrer.


Source Israel Valley