jeudi 26 février 2015

Au Liban, la seconde vie d'une synagogue délabrée....

Jihad al-Mohammad, un réfugié syrien prépare du café à l'intérieur de la synagogue de Saïda au Liban, le 8 février 2015 où il a élu domicile avec sa famille
 (c) Afp
 
Au détour d'une ruelle de la vieille ville de Saïda, une synagogue à la peinture bleue défraîchie où priait l'une des communautés juives les plus dynamiques du Liban, abrite des familles syriennes et palestiniennes démunies. Il n'y reste plus que des étoiles de David en fer laminé, des voûtes et quelques peintures murales rouges et dorées à la place de l'estrade sur laquelle se lisait la Torah...



C'est ici, au coeur de l'ancien quartier juif (Haret el-Yahoud) de l'antique Sidon où la présence israélite remonte à l'époque romaine, que Jihad al-Mohammad a élu domicile il y a 25 ans, après son départ de Syrie.
"En 1990, l'endroit était abandonné et infesté de rats, je l'ai nettoyé et m'y suis installé", assure ce quinquagénaire qui y vit avec ses six enfants, son épouse et sa mère.
Construite en 1850, la synagogue, encore officiellement propriété de cette communauté, a accueilli différents "locataires" après le départ en 1982 des Lévy, dernière famille juive de Saïda. Dans la foulée de leur invasion du sud du Liban, des soldats israéliens s'y sont installés, suivis plus tard des renseignements syriens.
Aujourd'hui, cinq familles palestiniennes et syriennes squattent le lieu.
"C'était un lieu de prière, mais pour moi c'est une maison comme les autres. Je ne suis pas un occupant", dit Jihad, qui affirme avoir été "correspondant" du ministère syrien de l'Information jusqu'en 2005.
Sur les murs, des textes en hébreu de la Genèse et les tables de la Loi ont été badigeonnées à la peinture rouge. Les salles ont été transformées en une cuisine, une minuscule salle de bains, deux chambres à coucher et un salon où trône une télévision.
Ici, pas de candélabre à sept branches mais des ampoules pendant du plafond. 

Malgré son délabrement, la synagogue n'est pas tombée dans l'oubli.
"Je reçois des visiteurs du Canada, de France, du Brésil qui exhibent des photos de leurs ancêtres (juifs libanais) de Saïda", raconte Jihad, en préparant du café. En 2012, deux rabbins de groupe antisioniste Naturei Karta y ont prié pour la première fois depuis 40 ans à la surprise des habitants.
Jihad assure qu'il partirait si on le lui demandait. "Mais je me suis attaché à ce lieu", reconnaît-il.
Sa voisine, Wardé, est la fille de Palestiniens expulsés de leur terre après la création de l'Etat d'Israël en 1948. Elle occupe avec ses enfants la partie de la synagogue autrefois réservée aux femmes, et séparée de la "maison" de Jihad par un mur en béton.
"Mes parents ont vécu dans ce quartier. Je me rappelle que je jouais avec les enfants juifs et c'est ici que je voyais les juives prier sur des bancs en bois", dit cette quinquagénaire aux cheveux courts.
Elle se souvient des kippas, du shabbat où petite fille elle allumait la lumière quand eux ne pouvaient pas, et surtout de l'harmonie entre juifs et autres communautés. "Il n'y avait pas de tension, mais quand Israël a envahi, ils ont pris peur et sont partis. Il ne reste plus personne".
Au Liban, le nombre de juifs a chuté de 7.000 en 1967 à 1.800 en 1974 puis à 35 en 2006, selon M. Zeidan. A Saïda, où des propriétés sont encore au nom des Nigri, des Hadid et des Balanciano, ils étaient 1.100 en 1956, avant de disparaître en 1985.
Selon l'historien, les juifs ont quitté progressivement vers Israël, le Brésil, l'Europe ou les Etats-Unis, mais l'exode s'est accéléré après la défaite arabe lors de la guerre de 1967.
"A Saïda, il n'y a jamais eu de tension jusqu'à en 1967, lorsqu'on a criblé de balles le cimetière juif", assure-t-il à l'AFP.
Selon lui, les juifs sont la plus ancienne communauté religieuse du Liban. A Saïda, leur présence remonte à 47 avant JC et au XXe siècle, ils travaillaient dans le commerce et l'artisanat.
Il reste une poignée de synagogues dans le pays, dont une à Tripoli transformée en teinturerie et celle de Maguen Abraham à Beyrouth, rénovée mais pas encore inaugurée.
"Le départ des juifs du Liban, c'est comme si on avait arraché un bras à un corps humain", regrette M. Zeidan.

Source L'Obs