Voici un texte que j’ai écrit pour le Haaretz, le 17 juin. J’ai le coeur brisé en relisant ces lignes. Elles n’ont plus le moindre sens sinon celui de dire mon chagrin, mon amertume et ma rage. Toutes mes pensées, ce matin, vont à Gilad Shaar, Naftali Frenkel et Eyal Yifrah. Toutes. Je suis à Paris, à ma table d’écriture, mais j’ai devant moi leurs trois photos, sans doute anciennes, mais pas trop, ils ont l’air de tous les enfants du monde, ils semblent insouciants, heureux...
Je suis à Paris, censé travailler, mais j’ai CNN branché en permanence, silencieux mais branché, je guette une nouvelle, une minuscule nouvelle, mais hélas il n’y a rien, ce sont les mêmes images en boucle, les mêmes minuscules informations usées jusqu’à la corde, essorées.
Je suis comme tous les pères d’Israël, et peut-être comme tous les pères juifs du monde, incapable de détacher ma pensée de ces trois innocents qui ont, en un instant, basculé en enfer – ont-ils chaud ? froid ? ont-ils peur ? les a-t-on frappés ? ligotés ? séparés ou laissés ensemble ? comment le rapt s’est-il déroulé ? ont-ils vu venir les ravisseurs ? les a-t-on circonvenus ? forcés ? j’ai tellement écrit sur ces choses ! tellement réfléchi (Daniel Pearl…) sur ce moment où tout bascule et où un enfant, ou un presque enfant, bascule dans cet autre monde qu’est le monde des kidnappés !
Bref, je veux bien parler de paix.
Rien n’est plus important, sans doute, que de parler aujourd’hui, et aujourd’hui plus que jamais, de la paix entre Israël et ses voisins palestiniens.
Mais je ne peux le faire, pardonnez-moi, que dans la lumière noire de ce triple enlèvement.
La paix est nécessaire parce que les enfants d’Israël doivent, comme tous les enfants du monde, pouvoir faire de l’auto stop quand ils ont envie de faire de l’auto stop – mais que Goush Etzion n’est, en ce début de siècle, et l’état du monde étant ce qu’il est, pas un endroit pour faire de l’auto-stop.
La paix est, non seulement nécessaire, mais urgente parce qu’il faut que les enfants d’Israël puissent vivre, rêver, aimer, circuler en sécurité mais que Bethléem, Hébron et les autres villes de la rive occidentale du Jourdain ne sont, dans l’état de guerre non déclarée mais larvée où Israël se trouve avec ses voisins, pas près d’être des villes sûres pour eux.
La paix est une obligation, et elle l’est maintenant, sans délai, parce qu’il faut aux enfants d’Israël un Etat aux frontières sûres, reconnues par la communauté internationale, défendues par une armée efficace, bien renseignée – et que cela n’est possible, politiquement et militairement possible, qu’à l’intérieur de la formule, pour laquelle je plaide depuis quarante ans, des deux Etats.
Le Hamas restera le Hamas, probablement – balançant ses roquettes sur les civils de l’autre côté de la frontière et jouant, pour le moment, au sale petit jeu de saluer sans le revendiquer, d’approuver sans l’assumer, le rapt abominable.
Catherine Ashton restera Catherine Ashton, se réjouissant de l’accord de gouvernement inter-palestinien, appelant Israël à s’en réjouir aussi – mais n’ayant, à l’heure où j’écris ces lignes, pas trouvé le temps ni les mots pour se soucier du sort de Gilad, Naftali et Eyal.
Les ennemis d’Israël en général resteront les ennemis d’Israël ; ils ne désarmeront pas pour autant ; et ils ne seront vraisemblablement pas touchés par la grâce, ou par le courage, d’un Premier Ministre prenant, pour le bien de ses enfants, la décision historique d’engager en Cisjordanie le processus qu’Ariel Sharon, naguère, mena à terme à Gaza.
Mais un pas important aura été fait.
Mais le rapport de forces symbolique, et pas seulement symbolique, entre Israël et ses ennemis aura changé.
Mais les enfants d’Israël vivront, non seulement dans un pays, mais dans un monde qui leur sera un peu moins hostile et où ils ne risqueront plus leur vie quand ils sortiront de leur yeshiva pour rentrer chez eux.
Et puis, last but not least, je ne connais toujours pas d’autre solution que cette solution des deux Etats pour permettre à ces enfants, et aux enfants de ces enfants, de vivre dans un pays qui reste l’Etat des juifs, qui ne devienne pas insensiblement l’Etat binational dont rêvent les plus subtils des négateurs d’Israël et qui ne tourne, donc, pas complètement le dos à la promesse de nos pères.
Bernard Henri Levy
Source La Regle du jeu