Les propos de Gérald Darmanin sur «la cuisine communautaire», qui faisaient notamment référence aux plats halal et casher, ont suscité de vives réactions. Le ministre a néanmoins précisé qu'il s'agissait bien là de son opinion personnelle, et non pas d'une position officielle.
Le sujet de la consommation de «cuisine communautaire» est en réalité très politique. Gérald Darmanin en a d'ailleurs profité pour pointer «la responsabilité des entreprises et même du capitalisme qui voient dans cette pratique une source de profits».
À travers ses propos, il estime que le commerce peut faire bouger les lignes du religieux. Mais alors, quelle est la place des produits «communautaires» dans les grandes enseignes françaises?
Un décollage dans les années 2000
Lors de son interview mardi soir, le ministre de l'Intérieur a précisé qu'il ne visait pas à proprement parler les produits «communautaires», mais plutôt les rayons spécifiques les proposant dans les supermarchés.
«Je comprends très bien que la viande halal soit vendue dans des supermarchés, ce que je regrette c'est les rayons.
Pourquoi je dois faire un rayon différent? J'ai donc le rayon pour les musulmans, le rayon casher puis tous les autres. Pourquoi des rayons spécifiques?», s'est ainsi interrogé Gérald Darmanin.
«Le goût de l'Orient» chez Auchan, «Toutes les saveurs du ramadan» chez Carrefour, «Spécial Orient» chez Intermarché, les rayons spécialisés des supermarchés français sont apparus dans les années 2000.
La grande distribution tentait à l'époque de trouver de nouveaux relais de croissance, parmi lesquels les produits casher et halal, traditionnellement destinés à des consommateurs de confession juive et musulmane.
«L'intérêt des industriels français de développer des rayons à destination des populations de confession musulmane est né un peu avant 2005», explique Mai Lam Nguyen-Conan, spécialiste marketing et auteure du livre Le marché de l'ethnique, un modèle d'intégration ?
À l'époque, le halal français était surtout considéré comme «un laboratoire» pour les industriels français qui voulaient développer leurs produits à l'exportation. Du côté des produits casher, la mise en place de rayons spécialisés en grande surface remonte à la fin des années 1990.
Les industriels et le Consistoire de France avaient convenu d'une liste de produits à rendre visible dans les rayons.
Mais alors, pourquoi les grandes enseignes n'ont-elles pas fait le choix de répartir ces produits dans leurs rayons habituels ?
Pour Mai Lam Nguyen-Conan, les acteurs français ont avant tout souffert d'une grande méconnaissance du marché.
«Ces rayons bien distincts ont été envisagés comme judicieux pour pousser l'offre. Les industriels ont cru, à tort, qu'il y avait un seul type de consommateur mulsuman qui se satisferait de tout ce qu'il y aurait dans ce rayon», explique-t-elle.
De son côté, Abbas Bendali, directeur de Solis, un cabinet d'études marketing, estime que cette distinction a été pensée pour que «le consommateur s'y retrouve», dans la même logique que «le rayon frais bio qui est isolé».
La concentration des produits dans un seul rayon était aussi une façon pour les industriels de démontrer qu'ils «savaient faire du halal et qu'ils étaient respectueux des normes religieuses».
Car pour les industriels, difficile d'assurer une traçabilité 100% halal sur une chaîne de production alimentaire. Et de disposer in fine d'une certification crédible.
Des polémiques ont d'ailleurs éclaboussé certaines grandes marques. En 2011 par exemple, le groupe Herta avait été accusé de vendre des Knackis halal contenant du porc.
Bien qu'un test ait blanchi le fabricant, le produit a été retiré du marché.
Enfin, le dernier enjeu pour les enseignes françaises était d'attirer les clients musulmans et juifs sans déplaire aux autres, abonde Mai Lam Nguyen-Conan.
Une augmentation de 247% des ventes en dix ans
L'année 2009 a marqué un tournant pour le marché du halal en France, avec une offre grandissante des produits dans les rayons. En pleine crise économique, la diversité ethnique est apparue comme une voie de salut pour les industries françaises.
Les produits halal dans les grandes enseignes ont connu une croissance à deux chiffres pendant plus de cinq ans.
À côté des produits carnés se disposaient des boissons (grands crus classés labellisés casher, champagne halal sans alcool) et des préparations cuisinées ou encore des pots pour bébé.
Les ventes de produits halal réalisées en grande distribution représentaient 80 millions d'euros en 2009.
Dix ans plus tard, le marché a atteint 282 millions d'euros, soit une hausse de 247%, selon une étude de la société Nielsen. En 2019, les ventes de produits alimentaires halal ont encore progressé de 5,2% sur un an, avec un pic de 10% durant la période de ramadan.
Par ailleurs, il n'existe pas de données précises sur le nombre de grandes surfaces en France disposant de rayons spécialisés halal et casher.
Une offre qui s'est étoffée
Pour s'adapter à une demande plus exigeante, l'offre de produits dans les rayons halal et casher s'est notamment étoffée.
Nombre de grands hypermarchés, tels que Carrefour, Auchan, Intermarché et Leclerc, continuent à proposer ces rayons spécialisés.
«Dans les grandes métropoles, surtout en Île-de-France, ces rayons sont en pleine expansion. Leur taille dépend du quartier où le supermarché est implanté», explique Abbas Bendali.
Dans le débat public toutefois, le poids du marché du halal en France reste quelque peu surestimé. Il ne représente encore que 0,3% des ventes de produits de grande consommation dans la grande distribution française et se partage entre des marques spécialisées (Isla Délice, leader du secteur, Medina Halal), des marques de distributeurs (Wassila pour Casino) et des géants de l'agroalimentaire (Fleury Michon, Nestlé).
Surtout, le marché des produits alimentaires halal en France reste largement dominé par les boucheries traditionnelles et enseignes spécialisées.
Si les produits casher se trouvent toujours dans les mêmes corners dans les hyper et supermarchés, les rayons demeurent plus confidentiels que ceux destinés à la nourriture halal.
«Les Français pratiquants de confession juive ont plus tendance à se tourner vers des magasins spécialisés», explique un spécialiste de l'alimentation casher. Les étalages sont mis en avant en période de fêtes religieuses.
Un marché non alimentaire confidentiel
Enfin, le marché non alimentaire des produits «communautaires» dans les grandes enseignes est de son côté quasi inexistant.
Dans l'habillement notamment l'an dernier, on se souvient surtout de la polémique autour du hijab (voile qui couvre les cheveux, le cou et les épaules) adapté à la course à pied et dont la vente était programmée par l'entreprise privée Decathlon pour sa marque «Kalenji».
Toutefois, l'enseigne de sport n'était pas la première à se lancer dans la «mode islamique».
Uniqlo, H&M ou encore Nike avaient déjà proposé ce genre de vêtements. Au niveau mondial, le marché de la «mode islamique» est estimé à 237 milliards d'euros, selon un rapport Dinard Standard-Thomson Reuters datant de 2019.
En France, les vêtements estampillés «communautaires» ou religieux se vendent plutôt dans des boutiques spécialisées.
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