Lisa Fittko née Ekstein, était une jeune trentenaire, une militante aguerrie lorsqu’elle rencontra « dans un bistrot d’une ruelle du Vieux-Port » Albert Hirschmann et Varian Fry : le Centre américain de secours voulait qu’elle se charge d’une filière permettant de franchir à pied la frontière espagnole. Avant de passer par Marseille, Lisa avait connu plusieurs exils.
Juive germanophone, sa famille austro-hongroise s’était installée en 1922 à Berlin.
En 1933, après l’incendie du Reichstag, Lisa partait pour Prague où elle rencontra son futur mari, Hans Fittko (1902-1960).
Après avoir transité par la Hollande et la Suisse, le couple rejoignait Paris en septembre 1939.
Pour de nombreux anti-hitlériens considérés comme des « suspects », la France fut le contraire d’une terre d’accueil : Lisa Fittko fut convoquée en mai 1940 au Vélodrome d’hiver de Paris, avant d’être dirigée à Gurs dans les Pyrénées-Atlantiques.
Les baraquements du Camp de Gurs avaient été construits pour héberger des Républicains Espagnols de la Retirada ; ils enfermèrent pendant l’été 1940 plusieurs milliers de femmes originaires d’Allemagne considérées comme des indésirables.
Parmi les personnes logées dans ce lieu de grande insalubrité, il y eut Martha Feutchwanger, Lotte Eisner et Hannah Arendt.
Lisa et Hans, « Justes parmi les nations »
À Gurs comme dans d’autres lieux de lutte, ce qui frappe chez Lisa Fittko, c’est sa vivacité, sa capacité d’adaptation.
Dans la partie essentielle de son récit – le repérage d’un sentier de contrebande qui permet de franchir la frontière, le chemin des Pyrénées – chaque épisode, chaque protagoniste surviennent promptement.
Le couple Lisa-Hans, c’était sans le contexte mortifère d’aujourd’hui, une mini-ONG efficace, agile et bienveillante.
Pendant leur travail de passeur, une première expérience fut extrêmement malheureuse. Un jour avant son suicide du 26 septembre, les Fittko conduisirent Walter Benjamin loin de Banyuls, leur base de départ en France.
Après des heures de marche et une nuit passée dans la montagne, Benjamin rebroussa chemin et s’isola pour mettre fin à ses jours : un visa et les forces lui manquaient, il désespérait d’échapper aux douaniers.
Malgré le choc de la mort de Benjamin, Varian Fry continua de solliciter ardemment le concours des Fittko.
Chaleureux et discret, bien accepté par le maire et les vignerons de Banyuls, le couple perfectionna l’itinéraire et le protocole de la Filière F. Pendant sept mois, deux ou trois fois par semaine, Hans et Lisa coururent le risque d’exfiltrer avec succès, sur leur chemin de crête, plus de trois cents personnes – des hommes politiques, des intellectuels, des pilotes anglais – désireuses d’échapper aux griffes des nazis.
A Portbou, sur une vitre du monument Walter-Benjamin de Dani Karavan, on lit cette citation : « Honorer la mémoire des anonymes est une tâche plus ardue que celle d’honorer les gens célèbres ».
Lisa Fittko publia son livre de souvenirs en 1985. Elle assista en 2001 à l’inauguration du monument de Karavan. Le titre de « Justes parmi les nations » fut décerné en 2002 à Lisa et Hans Fittko. Elle mourut à Chicago à l’âge de 96 ans, le 12 mars 2005.
« Le Chemin Walter Benjamin. Souvenirs 1940-1941 », éditions du Seuil.
Source La Marseillaise
Vous nous aimez, prouvez-le....