mardi 12 novembre 2019

Ross : « L'instinct de Trump le pousse à quitter le Moyen-Orient » (Interview)


Dennis Ross est, à 70 ans, l'un des meilleurs experts américains du Proche-Orient. Ancien émissaire américain dans la région sous les présidents George Bush père, Bill Clinton et Barack Obama, aujourd'hui conseiller au think tank américain Washington Institute for Near East Policy, il a joué un rôle majeur, des années 1990 jusqu'à l'élection de Donald Trump, dans l'élaboration et la mise en œuvre de la diplomatie américaine au Proche-Orient.......Interview.......


Il était à Paris du 9 au 11 novembre pour la deuxième conférence internationale organisée par Elnet, un think tank qui oeuvre au renforcement des relations bilatérales entre l'Europe et Israël. Il a répondu aux questions du Point.

Le Point : Après le retrait partiel américain de Syrie, va-t-on vers un retrait total des États-Unis du Proche-Orient ?
Dennis Ross : Donald Trump a exprimé une claire volonté de se désengager de ce qu'il appelle « les guerres sans fin » dans lesquelles les États-Unis sont engagés. Son instinct le pousse à quitter le Moyen-Orient. Il pense qu'on peut laisser ces problèmes à d'autres. 
En Syrie, il affirme que les troupes américaines vont rester autour de Deir ez-Zor (dans l'est du pays) afin de protéger les puits de pétrole. Ce motif est le pire qu'il puisse donner, car il renforce le préjugé des radicaux quant aux motivations énergétiques de la politique américaine dans la région. Tôt ou tard, il décidera de se retirer aussi de Deir ez-Zor. 
Vu que le Moyen-Orient est si proche de l'Europe, cette situation fait peser un fardeau sur les Européens. Ils seraient bien avisés de se demander ce qu'ils peuvent faire si le rôle américain diminue.

Est-il possible d'empêcher l'Iran de tirer un avantage stratégique du retrait américain ?
Les Iraniens vont certainement chercher à en profiter. Cependant, la vérité est qu'ils ont déjà atteint le maximum possible de leur déploiement dans la région. Ses dirigeants se montrent, certes, très confiants. 
Mais les protestations auxquelles on assiste en Irak, au Liban, devraient commencer à entamer cette confiance, car elles révèlent de vraies vulnérabilités. 
L'instinct de l'Iran est de réprimer ces manifestations de force. Mais en Irak, la population est endurcie. 
Elle défie l'Iran directement, y compris les chiites, dont certains ont incendié le consulat iranien de Karbala. Plus des manifestants seront tués, plus l'insurrection devrait s'intensifier.

Que se passera-t-il si les Iraniens obtiennent la bombe nucléaire ?
Ils deviendraient encore plus agressifs, parce que la détention de la bombe leur procurerait un bouclier. Cela plongerait la région dans une situation terrible. Les Saoudiens n'accepteront pas de ne pas avoir la bombe atomique, si l'Iran l'a. Il faut tout faire pour l'en empêcher. 
Le président Emmanuel Macron a raison d'étudier la possibilité d'une médiation. Les sanctions américaines contre l'Iran, exclusivement économiques, ne sont pas suffisantes car les Iraniens pensent qu'ils peuvent les gérer pour le moment. 
La France est consciente de la dimension régionale du problème. Mais elle doit accentuer la pression sur l'Iran. 
Elle pourrait par exemple contribuer à rendre la situation plus inconfortable pour l'Iran au Liban, où elle a une certaine influence. Elle peut lancer la question d'un accord qui prendrait la suite du JCPOA (l'accord sur le nucléaire iranien, conclu en 2015 à Vienne et que Donald Trump a quitté en 2018, NDLR).

Est-il encore possible de sauver l'accord sur le nucléaire iranien, comme les Européens essayent de le faire ?
C'est impossible, si l'effort se borne à ça. Les États-Unis n'y reviendront pas. Mais si l'accord est modifié d'une manière ou d'une autre, comme Emmanuel Macron essaye de le faire, cela peut créer une dynamique au sein d'une négociation plus large. 
Il est probablement nécessaire d'être plus ambitieux, en cherchant à obtenir un engagement plus grand des États-Unis en échange d'un engagement plus grand de l'Iran. 
Macron ne doit pas se contenter d'être le go-between, il doit aussi exercer des pressions. À l'approche de la présidentielle américaine l'an prochain, il est possible que Trump manifeste plus d'intérêt pour un accord.

L'Administration Trump est-elle bien disposée envers la médiation française ?
Donald Trump, qui se voit comme un faiseur de « deals », est ouvert aux efforts de médiation. Si Emmanuel Macron arrive à donner l'impression que sur ce dossier, Trump peut faire mieux qu'Obama, cela peut l'aider à s'engager dans un nouvel accord. Mais il devient de plus en plus difficile d'amener l'Iran à respecter le JCPOA. 
Téhéran a promis de contribuer à apaiser les tensions régionales, mais je ne crois pas qu'on puisse le prendre au sérieux sur ce point, sauf si on obtient des engagements concrets de sa part, par exemple l'arrêt des livraisons d'armes sophistiquées au Hezbollah. 
Et en Syrie, il faut qu'il arrête totalement d'y déployer des armes, car sinon cela va conduire à une guerre entre Israël d'un côté, l'Iran et le Hezbollah de l'autre, et l'Iran ne s'en sortira pas indemne.

Vous évoquez l'influence française au Liban. Que peut faire la France ?
La France connaît tous les protagonistes au Liban. Elle peut donner un coup de projecteur sur le fait que tout ce que fait le Hezbollah contredit ce qu'il affirme. Hassan Nasrallah (le chef du Hezbollah, NDLR) est très sensible à son image. La France peut faire plus pour mobiliser les ressources internationales si le Liban, par exemple, installe un gouvernement exclusivement technocratique voué aux réformes et procède à de vrais changements.

La Russie peut-elle jouer un rôle positif au Moyen-Orient ?
Pour l'instant son rôle n'est pas positif. La Russie génère un surcroît d'instabilité, un surcroît de létalité. 
Vladimir Poutine est dans une situation assez confortable, car il est de plus en plus en position d'acteur central, d'arbitre. 
Mais les Russes n'ont été capables de respecter aucun des accords conclus avec les États-Unis sur la Syrie. 
Il faudrait qu'ils se montrent plus fiables, qu'ils prennent des engagements très concrets et qu'ils le prouvent sur le terrain.

Quelle est l'implication du retrait graduel américain pour Israël ?
Israël doit encore plus compter sur lui-même, sans l'ombre protectrice de la dissuasion américaine. 
Les menaces qui pèsent sur lui sont réelles. Même si on parvenait à un accord avec les Palestiniens demain, cela ne changerait en rien le comportement de l'Iran, ni du Hezbollah, ni du Hamas.

Le soutien inconditionnel à Israël ne fait plus consensus aux États-Unis…
Ce n'est pas bon pour Israël. Le consensus bi-partisan n'a pas totalement disparu, mais la gauche du parti démocrate n'y adhère plus. 
Il y a un risque qu'Israël devienne, pour la première fois, un enjeu partisan. La communauté juive américaine est à 70 % pour les démocrates ; plus Israël s'aligne sur Trump, plus il l'antagonise. 
Il faudra voir quel gouvernement Israël parvient à mettre sur pied. Si c'est un cabinet d'union nationale, cela peut aider à reconstruire les ponts avec les États-Unis.

Un État palestinien séparé d'Israël est-il encore possible ? La solution d'un État unique pour deux peuples va-t-elle s'imposer ?
J'espère que non, car ce serait désastreux. Il y a deux nationalismes qui s'affrontent pour le même espace. 
Une coexistence dans un même État, avec des droits égaux, reviendrait à installer un conflit permanent. Certes, à court terme, il est impossible qu'il y ait deux États. 
Les Palestiniens ne peuvent pas faire la paix avec Israël tant qu'ils ne sont pas capables de la faire avec eux-mêmes. Mais Israël peut éviter de devenir un État pour deux peuples, notamment en arrêtant de construire dans les implantations qui ne sont pas les plus proches de la ligne verte. 
Si on perd la possibilité de séparer physiquement les Israéliens et les Palestiniens, on se dirigera vers l'avènement d'un seul État. 
J'espère que le prochain gouvernement israélien saura faire les gestes nécessaires pour l'empêcher.

Source Le Point
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