La paracha de Ki-testé dit : « Un Ammonite ni un Moabite ne seront admis dans l’assemblée d’Hachem… parce qu’ils ne vous ont pas offert le pain et l’eau à votre passage, au sortir de l’Égypte… » [1]. Les hommes de Ammon et de Moav révélèrent une grande faiblesse dans leur mida de ‘hessed lorsqu’ils refusèrent d’offrir au peuple juif du pain et de l’eau. C’est l’une des raisons pour lesquelles ils ne pourront jamais se marier avec des jeunes filles juives...
Le séfer Mélits Yocher note que ce manque de bienveillance est d’autant plus difficile à comprendre quand on sait qui était leur patriarche – Loth. Ce dernier excellait en matière de hakhnassat or’him (hospitalité), au point qu’il risqua sa vie pour protéger les anges venus à Sodome.
Comment comprendre alors qu’en l’espace de quelques générations, ce trait de caractère disparut totalement et que ses descendants se montrèrent si indifférents ?
Il répond que si l’on prodigue un bienfait parce que l’on réalise réellement son importance et que l’on désire sincèrement aider les autres, cette disposition au ‘hessed restera ancrée durant plusieurs générations.
En revanche, si l’acte est fait par habitude, il ne sera pas intériorisé par les générations futures.
Loth excellait effectivement dans le ‘hessed, mais c’était uniquement parce qu’il avait grandi dans la maison d’Avraham Avinou.
Il n’a pas véritablement réalisé l’importance du ‘hessed, c’était une seconde nature. Par conséquent, les actions comme celles de Loth ne sont pas intériorisées dans l’âme de la personne et ne durent pas [2].
Deux leçons peuvent être tirées de l’explication du Mélits Yocher. Il nous donne tout d’abord l’une des raisons pour lesquelles tant de jeunes enfants, qui ont grandi dans des familles pratiquantes, s’éloignent du chemin de la Thora. Si leurs parents respectent les mitsvot, mais que leur observance n’est pas le résultat d’une compréhension profonde de ce qu’est un éved Hachem (serviteur de D.), les enfants imiteront certainement l’attitude des parents à l’égard des mitsvot.
Au mieux, ils les accompliront machinalement, sans réfléchir (ce qui est bien peu souhaitable) ; mais, situation bien pire, elles risquent de ne plus rien signifier pour eux et ils risquent alors de se tourner vers d’autres « sources de bonheur et d’inspiration ».
Aussi, le Mélits Yocher souligne que bien que Loth ait accompli du ‘hessed par habitude, il fut tout de même prêt à se sacrifier pour cette cause ! On peut penser que puisque l’on est prêt à consacrer beaucoup d’efforts, d’argent et de temps pour accomplir les mitsvot, c’est une preuve qu’elles ne sont pas faites par habitude.
Or, nous apprenons de l’attitude de Loth que la force de l’habitude est telle qu’elle peut même conduire quelqu’un à risquer sa vie pour elle !
Le Alter de Slabodka ajoute un commentaire au sujet du ‘hessed de Loth. Dans la paracha qui parle du sauvetage de Loth lors de la destruction de Sodome, la Thora précise qu’Hachem se souvint d’Avraham et (donc) sauva Loth [3].
Le Midrach explique que Loth fut sauvé par le mérite d’un ‘hessed particulier qu’il prodigua à son oncle.
Quand Avraham et Sarah descendirent en Égypte et qu’Avraham dit que Sarah était sa sœur, Loth aurait facilement pu révéler la vérité aux Égyptiens et il aurait probablement gagné une importante somme d’argent en récompense. Le Alter demande pourquoi c’est le mérite de ne pas avoir dénoncé son oncle aux Égyptiens qui sauva Loth de l’anéantissement de Sodome. Sa grande méssirout néfech (dévouement, sacrifice de soi) pour recevoir des invités à Sodome aurait dû être la source de son mérite !?
Il répond que la akhnassat or’him de Loth était le résultat de son éducation, et non une qualité qu’il avait profondément intériorisée ; ce n’était pas preuve d’un haut niveau, et il ne méritait donc pas de récompense pour son hospitalité.
Par contre, il était très attiré par l’argent et donc fortement tenté de révéler, au moins par allusion, que Sarah était la femme d’Avraham et non sa sœur. Dans ce domaine, il n’avait pas la « force de l’habitude » pour l’aider, il dut faire appel à son self-control, et il parvint, par ses efforts et sa maîtrise de soi, à faire le bon choix.
Dans ce cas, sa capacité à ne pas dénoncer Avraham fut considérée comme plus honorable que son extraordinaire ‘hessed à Sodome. [4]
Ceci illustre un principe développé par le rav Dessler zatsal, appelé « nécoudat habé’hira » (le point [de départ] du libre arbitre). Rav Dessler affirme que les hommes ne sont pas jugés en fonction des mitsvot et des bonnes actions qu’ils accomplissent, mais à mesure des efforts fournis pour s’élever spirituellement. Par conséquent, chacun est jugé selon son niveau, en fonction de l’éducation qu’il reçut, des influences extérieures et de son penchant naturel.
Ceci explique pourquoi nous ne pouvons jamais juger notre prochain avant d’avoir été à sa place — nous ne pouvons pas comprendre la nature des épreuves que l’autre doit affronter, parce que nous ne connaissons pas tous les éléments qui les composent.
Chaque mitsva accomplie est bien sûr récompensée, mais le salaire principal est reçu lorsque l’on vainc son yétser hara et que l’on utilise le libre arbitre pour devenir une personne meilleure.
Ainsi, celui qui a été élevé dans l’observance des mitsvot et le développement des bonnes midot (qualités) ne mérite pas une récompense prestigieuse pour avoir fait ce qu’il a appris à faire depuis son enfance et qui est pour lui une seconde nature. [5]
À l’aube du mois d’Eloul, c’est un concept effrayant ; nous présumons que toutes les mitsvot que nous accomplissons seront mises sur une balance face à nos avérot. Or, c’est la force de chaque mitsva, c’est-à-dire le niveau de libre arbitre utilisé pour l’accomplir, qui compte. Ainsi, les mitsvot faites par habitude sont bien moins puissantes.
Comment contrecarrer la force de l’habitude ? Rav Dessler écrit que les « grands dirigeants des mouvements de moussar et de ‘hassidout des dernières générations ont mis en évidence la nécessité absolue de développer la avodat halev qui mène la personne à l’intériorisation [des mitsvot]. » [6]
Ceci inclut l’étude du moussar, du sens de la tefila, ainsi qu’une intensification de la avodat Hachem.
Il est, bien entendu, difficile de prendre sur soi trop de résolutions à la fois, mais le mois d’Eloul est le moment opportun pour se focaliser sur un aspect de la avodat Hachem, dans lequel l’habitude s’est installée et que l’on peut améliorer.
La récompense réservée pour un tel travail est de taille – nos mitsvot ne seront pas de simples faits et gestes superficiels, mais le fruit d’une intériorisation réelle ; par conséquent, nos descendants suivront plus probablement la voie de la Thora.
[1] Parachat Ki Tetsé, Devarim, 23:4-5
[2] Mélits Yocher rapporté dans Tallelé Oroth, Devarim, p. 47.
[3] Parachat Vayéra, Beréchit, 19:29.
[4] Le Alter de Slabodka, rapporté et expliqué dans Mikhtav MeEliyahou, 3ème volume, p. 131-132.
[5] Mikhtav MeEliyahou, 1er volume, p. 115-116.
[6] Ibid., 3ème volume, p. 138.
Rav Yehonathan GEFEN
Source Torah Box