Les 70 ans de la fin de la deuxième guerre mondiale ont été l'occasion ces derniers mois pour les médias norvégiens de revenir sur certains épisodes de ce temps difficile. L'un des plus célèbre est celui de la "bataille de l'eau lourde". L'eau lourde (oxyde de deutérium) est un composant indispensable pour ralentir les neutrons issus de la fission nucléaire de l'uranium naturel et provoquer ainsi une réaction en chaîne...
Dans les années 1950, la Norvège était en pointe dans le domaine de l'énergie atomique: quand fut mis au point le premier réacteur expérimental à Kjeller, seuls les USA, l'URSS, la Grande-Bretagne et la France en avaient fait autant.
Richement dotée en hydro-électricité, la Norvège a été le premier pays à avoir les moyens techniques de produire de l'eau lourde, de sorte qu'à la veille de la deuxième guerre mondiale, l'unique stock mondial d'eau lourde se trouvait en Norvège, issu de l'usine à côté de la centrale de Vemork (comté de Telemark-photo ci-dessus).
Ce stock, convoité par les Allemands sur le point d'envahir la Norvège, est acheté à Norsk Hydro par la France et rapatrié dans des conditions difficiles. Après l'invasion, les Allemands remettent la production en route à leur profit, dans le cadre de la course à la bombe nucléaire.
Les Alliés décident de détruire le site de production. Quatre opérations seront menées dans ce but, en utilisant des parachutistes norvégiens formés en Angleterre, entre octobre 1942 et novembre 1943.
En février 1944, les Allemands décident de rapatrier l'eau lourde chez eux par voie de mer; c'est alors que deux parachutistes norvégiens parviennent à couler le bateau avec son chargement de 16 tonnes dans le lac de Tinnsjå: le programme nucléaire allemand ne s'en remettra jamais.
La fin de cette épopée n'a pas mis un terme au rôle de la Norvège dans les programmes nucléaires de nombreux pays.
Quoique l'objectif de cette nouvelle industrie était purement civil, la Norvège est rapidement devenue un fournisseur convoité par les pays désireux de se doter d'armes de dissuasion nucléaire: la Grande-Bretagne, la France, Israël et l'Inde.
Dans la réalisation du programme nucléaire de l'Etat d'Israël, l'eau lourde de Glomfjord, dans le comté de Nordland, a été, en grand secret, un élément décisif.
Norsk Hydro avait là depuis 1947 une usine de production d'ammoniac pour les engrais artificiels. Il en sortait également de l'eau lourde comme sous-produit, jusqu'à 17 kilogrammes par jour, soit 350 tonnes pendant toute la durée d'activité de l'usine.
Les Israéliens décidèrent de s'approvisionner là pour éviter tous les contrôles de sécurité, quitte à payer le double du prix par rapport au marché américain beaucoup plus surveillé.
Bien que dès cette époque, la Norvège ait pris la résolution d'être une nation pacifique, tout le monde savait de quoi il retournait, et que les Israéliens cherchaient à fabriquer des armes atomiques. Le secret fut bien gardé et ne fut révélé que 20 ans plus tard par Sverre Lodgaard.
Quand la nouvelle s'est répandue, d'autres pays ont fait des demandes: au début des années 1980, la Roumanie de Ceaucescu, pour un réacteur civil qui finalement ne fut jamais construit; l'eau lourde fut probablement revendue à l'Inde.
Israel, l'Inde, la Grande-Bretagne et la France ont utilisé l'eau lourde norvégienne pour produire de grandes quantités d'armes atomiques.
La Suède et la Roumanie en ont acheté dans le même but, mais ont abandonné leur programme avant qu'il aboutisse.
Des entreprises norvégiennes comme Noratom ont aussi fourni des plans et des procédés pour la fabrication de réacteurs atomiques en Israël et en Inde. D'autres pays dont les programmes en matière d'armement nucléaire étaient secrets, ont eu libre accès aux technologies du plutonium à Kjeller près d'Oslo: la Yougoslavie, l'Egypte, Taïwan, l'Afrique du Sud et l'Argentine.
Quand se répandirent des façons plus économiques de produire l'eau lourde (avec du gaz naturel), la fabrique de Glomfjord dut fermer.
Aujourd'hui, c'est une usine de fabrication de panneaux solaires.
Source Norvege Fr