Les habitants de cette ville nouvelle, située entre Tel-Aviv et Jérusalem, vivent la violence du conflit israélo-palestinien à l'abri de l'efficacité du Dôme d'acier de Tsahal. De l'immense terrasse de ce penthouse, au 25e et dernier étage de la plus haute tour de Modi'in, ville nouvelle de 100 000 habitants, située entre Tel-Aviv et Jérusalem, la vue est à couper le souffle. C'est un petit paradis pour professeurs de géopolitique et pour journalistes internationaux, car on y saisit, par un simple coup d'œil circulaire, les grands enjeux stratégiques de l'État d'Israël....
Il y a d'abord, d'ouest en est, la taille de guêpe de cet État, son absence de toute profondeur stratégique. Quand on regarde vers le soleil qui se couche, on voit d'abord les pistes de l'aéroport international Ben Gourion, où les avions de ligne atterrissent toutes les trois minutes, puis la skyline de Tel-Aviv, capitale économique d'un pays qui connaît plus de 5 % de croissance par an depuis dix ans. Plus loin se dévoilent les eaux bleu sombre de la Méditerranée, patrouillées par les corvettes ultramodernes de Tsahal, à même de prévenir toute éventuelle intrusion d'un commando naval arabe, qu'il vienne du Hezbollah libanais au nord, ou du Hamas palestinien au sud.
En se penchant du balcon vers l'est, on distingue, au sommet de la dernière colline, la ville arabe de Ramallah, «capitale» du Fatah de feu Yasser Arafat. Au premier plan, on voit serpenter le haut mur de protection construit par les Israéliens au cours de la dernière décennie, pour prévenir toute incursion de commandos suicide palestiniens. Derrière, apparaissent les villages arabes, et leurs minarets décorés de guirlandes lumineuses vertes.
Ici, le mur suit grosso modo le parcours de la «ligne verte», cette ligne du cessez-le-feu de janvier 1949 (fin de la guerre d'indépendance), qui est aujourd'hui la frontière internationalement reconnue d'Israël. Mais, un peu plus loin, le regard tombe sur des alignements pavillonnaires à l'urbanisme quasi germanique: ce sont des «colonies», bâties, en violation des conventions de Genève dont Israël est signataire, sur des territoires arabes conquis lors de la guerre de 1967.
Du nord au sud, l'État hébreu est en revanche plus étendu. De notre perchoir, on ne distingue, vers le nord, que les premières collines de Galilée, mais, vers le sud, on aperçoit parfaitement les villes d'Ashdod et d'Ashkelon, et on devine la côte de la bande de Gaza, où s'entassent deux millions de Palestiniens, qui sont les petits-enfants des réfugiés arabes ayant fui les combats perdus de la guerre de 1948. Alors que le soleil se couche, Ido, notre hôte, un ancien colonel du Shin Beth passé dans le privé, nous invite à rester, pour ne pas «manquer le spectacle». Il a encore ses contacts et sait que le début de la nuit promet d'être mouvementé. À 21 h 30, alors que se lève une pleine lune, que montent des odeurs de jasmin et que, sur la Terre sainte, s'allument de petites lumières orangées, les sirènes d'alerte aérienne se mettent à hurler. Les radars ont repéré une volée de missiles partis de Gaza vers Tel-Aviv et Modi'in. Les civils israéliens ne descendent plus aux abris, comme on le faisait encore pendant l'été 2006 à Haïfa, lors de la guerre de trente-trois jours contre le Hezbollah. Ici, chaque foyer dispose de son propre «mamad».
La loi a rendu obligatoire la présence dans les nouvelles constructions d'une telle pièce sécurisée au sein de chaque appartement. Les murs sont en béton ; la fenêtre dispose d'un volet en acier ; et il y a même un conditionneur d'air, «en cas d'attaque chimique». Chez Ido, il y a, en plus, des éléments de confort non obligatoires, comme une platine, avec un disque de Lou Reed prêt à passer à tout moment.
Dans la nuit, on ne voit pas arriver les roquettes palestiniennes, mais on voit parfaitement partir les missiles d'interception israéliens du Dôme d'acier mis au point par l'État hébreu après la guerre de 2006. Dans le ciel, se succèdent des grosses taches rouges: ce sont les fusées palestiniennes explosant après avoir été touchées par les missiles israéliens. L'efficacité du système de protection antiaérienne de Tsahal (qui ne s'applique qu'aux zones urbanisées) est impressionnante: pas le moindre mort israélien depuis le début des bombardements palestiniens. Seulement des blessés et des dégâts matériels. Ici, à Modi'in, on va une fois dans son abri, puis on se lasse, et on préfère rester en terrasse, en dégustant un merveilleux vin blanc provenant des vignobles israéliens du Golan, ce massif montagneux syrien annexé en 1967.
Le spectacle physique de la supériorité technologique et militaire israélienne peut faire place à celui, transmis par satellite et diffusé sur un grand écran télé, de la supériorité de l'équipe de football néerlandaise sur la brésilienne…
Quand on demande à Ido et à sa femme quelle pourrait être la solution politique, tous deux jettent un coup d'œil à la Cisjordanie occupée qui s'étend sous leurs yeux et disent: «Presque tout le monde en Israël est prêt à rendre ces territoires pour constituer un État palestinien, mais encore faudrait-il que les Arabes acceptent sincèrement l'existence de notre État juif, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui!»
Recevant Le Figaro et six autres médias européens dans un salon climatisé de Kyria (l'immense base des différents états-majors de Tsahal, en plein cœur de Tel-Aviv), un très haut responsable de l'armée de l'air explique, dimanche en milieu d'après-midi, que les frappes israéliennes sur Gaza vont se poursuivre, bien qu'il y en ait déjà eu près d'un millier (bombes guidées au laser ayant une précision de moins de 5 mètres).
«Nous sommes conscients que nous ne pourrons jamais détruire l'arsenal de roquettes du Hamas. Il y en a trop et elles sont disséminées sur toute l'étendue de la bande de Gaza», dit le jeune général. «Notre objectif, c'est de briser la volonté du Hamas de nous faire la guerre. En 2006, les Occidentaux avaient beaucoup critiqué notre campagne aérienne contre le Hezbollah. Force est de constater qu'elle a marché! Notre frontière nord est calme depuis lors…»
En sortant de l'univers high-tech de l'état-major israélien, on se dit que, depuis 1948, la capacité militaire de l'État hébreu n'a cessé de progresser, alors que celle des Arabes a stagné - les roquettes palestiniennes, même améliorées récemment, sont loin de rivaliser.
Militairement, il n'y a plus de match. Avec son cortège d'images des victimes civiles, le conflit israélo-palestinien est devenu avant tout une guerre médiatico-politique.
Source Le figaro