mardi 1 juillet 2014

« Big Bad Wolves », le film israélien qui montre les crocs


Big Bad Wolves, thriller-gore impressionnant et à l’humour très noir d’Aharon Keshales et Navot Papushado, avec en tête d’affiche Lior Ashkenazi, dresse un portrait dévastateur de la société israélienne. Après avoir triomphé sur les écrans locaux, le film sort en France le 2 juillet. Dans un entretien exclusif avec notre chroniqueuse Noa Benattar, Navot Papushado parle de son long-métrage et du cinéma israélien sans détours, comme un « jeune loup » prêt à n’en faire qu’une bouchée...Interview...
 

Projeté dans plus de 100 festivals, dont le prestigieux Tribeca, Big Bad Wolwes a été qualifié par Quentin Tarantino de « meilleur film de l’année », tandis que ses droits étaient achetés par Magnolia Pictures, l’un des plus importants distributeurs américains. En Israël, le long-métrage a rempli les salles et raflé les récompenses : c’est la première fois qu’une production locale est restée en tête du classement des meilleurs films pendant plus de 6 semaines, tout en obtenant 11 nominations et 5 prix lors de la cérémonie des Ophir Awards (les Césars israéliens).

D’où vient votre intérêt pour les films d’horreur et les thrillers ?
Aharon et moi étions enfants dans les années 80 et nous avons grandi en regardant un cinéma très américain, avec les films de Spielberg, Lucas, Carpenter… Nous aimions beaucoup ces « films popcorn » qui arrivaient à l’époque en Israël. Les films d’horreur stimulent tout particulièrement le spectateur et cela nous intéressait d’en faire un, et aussi parce que c’est un genre auquel personne n’avait touché en Israël. Cela étant, nous ne nous voyons pas juste comme des réalisateurs de films d’horreur : Rabies (1er film des réalisateurs) et Big Bad Wolves ne sont pas des films d’horreur au sens classique du terme. Dans Rabies, le « slasher »* s’endort au bout d’un quart d’heure, atteint par une piqûre de somnifère (rires). A part ça, nous avons des idées dans toutes sortes de genres cinématographiques, on réfléchit à ce qui n’y a pas déjà été fait.

Comment avez vous eu l’idée du scénario de Big Bad Wolves ?
Aharon et moi avons tout le temps des idées et nous nous les racontons. Quand nous étions en voyage au Portugal pour « Rabies », nous avons vu « I Saw The Devil », un film coréen qui nous a sidéré ! En sortant de la salle, nous avons évoqué une ancienne idée que nous avions eu, faire un film qui serait réalisé du point de vue d’un homme suspecté de kidnapping et de meurtre. Le film coréen nous a donné l’idée de rajouter le point de vue d’un flic qui vient se venger de lui, et d’un autre flic qui cherche à faire justice. Nous voulions les faire se rencontrer, comme dans « Le bon, la brute et le truand » de Sergio Leone. Quand nous avons présenté le projet à notre producteur, nous lui avons dit « Qu’est ce qui se passerait si Dirty Harry atterrissait par erreur dans un film coréen écrit par les frères Grimm ? ».

Comment avez vous commencé à travailler ensemble, toi et Aharon ?
Aharon était mon prof à la fac. C’était le seul qui me proposait une critique concrète quand j’allais le voir avec mes travaux. Avec le temps, nous sommes devenus amis et il est devenu le seul prof que j’écoutais et qui me motivait. Contrairement aux autres profs, il m’a encouragé à faire mon film de 2ème année, qui a finalement été sélectionné pour être projeté à Cannes. Aharon a ensuite produit mon film de fin d’étude. Un jour je lui ai dit « Et si au lieu de parler de cinéma, on faisait un film ensemble ? ». Je lui ai parlé de mon idée de faire un film d’horreur où le tueur ne tue personne, et c’est comme ça qu’est née l’idée de « Rabies ».

Comment avez-vous choisi les acteurs de « Big Bad Wolves », Lior Ashkenazi, Tzahi Grad, Rotem Keinan et Dov Glickman ?
En écrivant le scénario, nous savions déjà que nous voulions Tzahi, Dov et Lior, et nous avons écrit les rôles pour eux. Le seul personnage pour lequel nous avions un doute était celui du tueur. Nous avions vu Rotem dans « The Exchange » et nous l’avons rencontré. Il a fait une excellente audition et il s’est imposé comme l’acteur parfait pour le rôle.

Quel est ton personnage préféré ?
C’est très difficile de choisir, car ça change tout le temps, depuis le moment de l’écriture du scénario jusqu’aux projections avec le public… Un jour tu vas aimer Rotem parce qu’il joue de manière très précise, et son jeu aide met aussi en valeur les autres acteurs. Il est présent tout au long du film, mais son personnage varie grâce aux nuances qu’il insère dans sa partition d’acteur. Un autre jour, tu vas t’enthousiasmer pour la manière dont Lior joue une scène. Lior est surement l’acteur israélien le plus américain qui soit. C’est notre « George Clooney », en une seconde il peut t’émouvoir avec son regard, et c’est très fort. Et puis un autre jour, tu vas tripper sur une scène avec Dov, qui fait partir l’histoire dans une toute autre direction dès qu’il arrive… Quant à Tzahi, c’est le Daniel Day-Lewis israélien ! Quel que soit le personnage qu’il interprète, il rentre dedans à fond et il y a quelque chose de tellement fort en lui ! C’est donc très dur de choisir. Ces acteurs font partie des meilleurs en Israël, et ils sont aussi super cools et gentils. 

Que penses-tu du cinéma israélien ?
Je n’aime pas la direction que le cinéma israélien a choisi de prendre. Aharon dit toujours que les gens sont rentrés à l’université de Tel-Aviv pour devenir Tarantino ou Spielberg, et qu’en sortant ils voulaient être Godard. L’académie et les fonds d’aide au cinéma veulent que des films israéliens soient sélectionnés dans des festivals comme Cannes, Berlin ou Venise, et les gens pensent que ces festivals veulent des films à tendance politique, donc c’est ce que les fonds favorisent, et c’est ce que les cinéastes israéliens écrivent. Au final, le cinéma israélien parle de politique ou de guerre, de problématiques sociales ou de familles qui ont des problèmes à cause de la situation politique ou sociale. C’est un cinéma pleurnichard.

Mais tous les films israéliens ne sont pas comme ça.
Non, bien sûr. Des films comme « Le cœur a ses raisons » et « Les Voisins de Dieu » parlent de sujets sociaux, mais ils n’ont pas été faits pour des raisons opportunistes, ces sujets intéressaient sincèrement les réalisateurs  « Valse avec Bachir », « Beaufort » et « Lebanon » parlent de la guerre, mais leur qualité cinématographique est exceptionnelle, et il s’agit avant tout de cinéma de genre. A part ça, une fois par an sort un film comique comme « Hunting Elephants », « C’est Sodome » ou « Sumo« . Ces films là sont uniquement destinés à satisfaire le public, ils font des centaines de milliers d’entrées en Israël, et portent sur leur dos une trentaine de films israéliens qui parfois ne dépassent pas les 5000 entrées. En général, ces films là ne sortent pas à l’étranger. Et enfin, il y a les films qui réussissent en Israël et à l’étranger, comme les films de Yossi Cedar (« Beaufort », « Footnote« ) ou « La Visite de la Fanfare ». Mais il n’y a pas assez de films comme ça.

Selon toi, comment le cinéma israélien devrait-il fonctionner ?
Le pain quotidien de l’industrie est censé être composé de  films comme « Hunting Elephants », des films comme ceux d’Avi Nesher et des films plus complexes, mais qui parlent au public, comme ceux de Cedar. Le cinéma israélien est trop rationaliste, les gens disent souvent « c’est un film dont le message est important » et j’aimerais que ce soit plus hédoniste. Il y a tout un pan du cinéma de genre, comme les films d’action, les thrillers, les comédies… que le monde attend que nous fassions pour en voir notre vision. En Israël, les gens pensent qu’on ne peut pas faire ce genre de films, mais c’est sans aucun fondement. Ces films qui font 5000 entrées sont produits avec des budgets astronomiques (parfois 5 fois plus élevés que celui de notre film), et la plupart ne sont même pas projetés à l’étranger. Ces films là ont une place, mais les budgets doit être concentrés sur des films orientés vers le public, et qui peuvent aussi plaire à l’étranger.

Y-a-t-il un acteur ou une actrice française avec qui tu aimerais travailler ?
J’aimerai travailler avec Jean Dujardin. Il était génial dans « 99 francs », qui est un film énorme. Il y a aussi Romain Duris, qui m’a épaté dans « Mon cœur de battre s’est arrêté » de Jacques Audiard. Et Mélanie Laurent, qui est excellente !
  
*Slasher : de l’anglais slasher movie,  genre cinématographique, sous-genre du film d’horreur et du film d’exploitation, mettant en scène les meurtres d’un tueur psychopathe, généralement masqué, qui élimine méthodiquement un groupe de jeunes individus, souvent à l’arme blanche, et sa principale opposante est fréquemment une jeune femme (cf. Vendredi 13, Halloween, Freddy, Scream…)
 
Noa BenattarSource JewPop