Lorsqu’on évoque le service militaire, et notamment les unités combattantes, c’est sur les garçons que se braquent les projecteurs. Quand votre fils part pour trois ans au service militaire en Israël, vous ne dormez plus sur vos deux oreilles. Vous écoutez tous les flashes d’informations à la radio et gardez un oeil sur les réseaux sociaux afin de vous assurer que votre progéniture ne court pas de risques supérieurs à la normale.
Si vous avez une fille soldate, vous vous inquiétez peut-être aussi, mais moins, car très peu de femmes se trouvent impliquées dans des opérations de combat.
Les familles des jeunes filles basées au commandement central de Judée-Samarie, cependant, ont pour leur part des inquiétudes tout aussi réelles – sinon plus –que celles de leurs collègues masculins. « Quand on a des fils », disait la chanson de l’Américain Perry Como, « on se fait du souci.
Mais quand on a des filles, c’est bien plus que ça : on prie… » Nous sommes sur la base bien gardée de la brigade Kfir, division responsable des patrouilles en Judée-Samarie, qui s’efforce de maintenir autant que possible le calme dans une région très sensible et dangereuse. Etre en poste ici, autant le dire, n’a rien d’une partie de plaisir.
« A une fille qui s’apprête à faire son service militaire, on ne propose pas les mêmes postes qu’aux garçons », explique le capitaine Shani Kesari, la soldate la plus ancienne de l’équipe.
« Mais si elle veut exploiter au mieux ses capacités, elle peut demander à être infirmière sur le terrain. Sachant qu’elle va passer deux ou trois ans dans l’armée, c’est un bon moyen de contribuer à l’effort commun, de se rendre vraiment utile. »
En dire, mais pas trop
A l’âge où, dans les autres pays, les jeunes filles entrent à l’université, entament leurs vies de salariése ou voyagent avant de décider de leur avenir, le capitaine Kesari et les sergents Shani Davidpor, Dar Golan, Amit Mor et Carmel Cohen partent en service actif, vêtues de leur uniforme militaire, avec gilet pare-balles et casque, arme automatique dans une main et sac contenant tout un arsenal médical d’urgence dans l’autre.
Elles sont presque toujours les seules filles dans un monde masculin.
« Nous voulons faire le maximum », affirme Amit Mor, 21 ans. « Chaque fois que je sors en mission, j’ai le sentiment que je suis arrivée exactement là où je voulais être. Il me semble parfois que je suis une sorte de pionnière, mais je sais que je fais partie d’une équipe et que cette équipe me protégera en cas de danger. » « L’équipe », ce sont les soldats de la brigade Kfir. Lorsqu’ils patrouillent, ils peuvent être appelés à faire face à des émeutes, disperser des foules de lanceurs de pierres ou poursuivre et combattre des suspects de terrorisme. Chaque jour amène son lot de nouvelles difficultés. « J’évite de donner des détails à ma famille », reconnaît Amit Mor. « Mes parents savent ce qu’ils savent, c’est-à-dire ce que je leur dis », renchérit Shani Davidpor, 20 ans.
« Ma famille est terrifiée de me savoir en première ligne », soupire Dar Golan, 21 ans. « Ils commencent à s’y faire maintenant, parce qu’ils savent que c’était mon souhait. Ils sont venus me voir à la base et ça les a calmés. »Amit Mor sourit : « Moi, je suis un peu le garçon de la famille, alors ça va !» Le type d’incident que leurs parents préféreraient ne jamais apprendre s’est déroulé quelques jours avant notre rencontre. « Il y a deux jours, notre unité se trouvait dans un village arabe et nous étions en train de traiter un patient.
Tout à coup, notre ambulance Zeev essuyé trois cocktails Molotov et la portière de gauche a pris feu. Elle a brûlé 15 minutes alors que nous étions à l’intérieur. Nous avons eu très peur », raconte Dar Golan.
« Il arrive souvent qu’on nous lance des cailloux ou de grosses pierres »,poursuit-elle. « Les soldats sont alors blessés et je cours le même danger. Mais ça va. C’est notre boulot. C’est à ça qu’on nous a entraînées. »
Des conditions loin d’être idéales
« Notre formation a été très efficace et notre seul but, c’est de soigner, de sauver des vies. Ensuite, on réfléchit et on se dit : “Si j’arrive à soigner dans de telles conditions, sur le terrain, avec peu de matériel et alors que des gens me menacent, je pourrai exercer la médecine n’importe où !” C’est dans ces moments-là qu’on ressent de la satisfaction. » Quand un soldat ou un civil est blessé, les infirmières entrent en action. Malgré leur jeunesse, elles s’occupent de tout.
En cas d’urgence médicale, ce sont elles qui prennent des décisions, parfois sans demander l’avis des officiers plus haut gradés.
Que se passe-t-il dans leur tête quand elles accourent pour soigner un blessé au milieu d’une émeute sanglante ? « Nous sommes avant tout des soldates »,répond Shani Kesari. « Nous avons une arme. Cela peut poser des problèmes, d’ailleurs, parce que donner des soins quand on porte un gilet pare-balles et un casque, ce n’est pas facile.
Nous sommes amenées à pratiquer la médecine dans des conditions qui sont loin d’être idéales.
« Dans la médecine civile, même en cas d’urgence, le médecin ou l’infirmier a le contrôle de la situation. Nous, nous devons d’abord nous assurer que personne n’est en train de pointer un fusil sur nous, ou que notre patient n’est pas en train de nous tendre un piège ou de chercher à nous mettre en danger.
« Il faut évaluer les risques en permanence », poursuit-elle.
« Mais nous ne sommes pas seules, il y a d’autres soldats avec nous, qui veillent pendant que nous soignons les blessés. Mais nous devons tout de même regarder sans cesse autour de nous pour évaluer à quel moment il faudra évacuer le terrain. » Même dans les meilleures conditions, traiter une urgence médicale est source de stress. Les infirmières de la brigade Kfir, elles, doivent combiner la nécessité de tout faire pour le patient sur un champ de bataille avec des impératifs militaires à chaque fois différents.
« Il y a des civils autour de nous », explique Shani Kesari.
« Des civils parfois menaçants. Et il y a des commandants qui veulent qu’on travaille le plus vite possible.
Ce n’est pas souvent qu’un soldat moins gradé donne des ordres et que les plus gradés soient obligés d’obéir. Ce genre d’interaction, la nécessité de convaincre que ce que vous dites est la meilleure chose à faire dans la situation présente, c’est toujours très difficile. »
Hasbara sur le champ de bataille
Près de l’implantation de Beit El, nous avons visité l’une des cliniques militaires où l’on trouve 24 h/24 un médecin ou une infirmière de Kfir.
L’installation est basique, mais contient tout le matériel nécessaire pour traiter un large éventail de cas. Souvent, ce sont des Palestiniens du coin qui viennent là pour recevoir des soins gratuits. Il s’agit, dans le fond, d’un avant-poste de la hasbara (diplomatie publique), un endroit où l’on peut combattre l’idéologie dominante, qui représente les juifs israéliens comme des ennemis fondamentalement mauvais.
« Nous nous occupons d’eux en tant que patients, pas en tant que Palestiniens», souligne Carmel Cohen, 20 ans.
« Ils savent d’avance qui va les soigner. Vous seriez surpris de voir les relations de coopération que nous avons avec les civils. » « Parfois, nous allons sur place. Ils nous conduisent alors jusqu’au malade en annonçant : “‘Le docteur est là”. En fait, dès qu’ils voient le stéthoscope, tout va bien. Dans les villages, il m’est arrivé d’avoir 50 personnes autour de moi pendant que je soignais quelqu’un, et je n’avais pas peur. Ils savent que pour nous, peu importe qui est le patient. » « Il y a, dans le fait de soigner, quelque chose qui n’est pas politique et qui peut apaiser bien des situations », renchérit Dar Golan. « Le Croissant Rouge s’occupe de la santé dans les grandes villes, mais dans les endroits où nous sommes plus présents militairement (en particulier dans les zones rurales), il n’y a pas beaucoup de structures de soins et ils savent qu’en cas de besoin, les militaires peuvent les soigner. Nous avons un peu l’impression d’être une clinique rurale. Nous soignons de l’asthme, des crises cardiaques, des blessures à l’arme blanche, des blessures par balles, et même des enfants qui se font renverser. Ils viennent à la grille et ils savent qu’ils obtiendront de l’aide.
« Ce n’est pas du tout la même chose qu’être infirmière à Tel-Aviv, par exemple, où l’on ne soigne pas grand-chose d’autre que des crises cardiaques ou des attaques. Et nous avons même eu des accouchements », ajoute Shani Kesari avec un sourire.
Dissimulée sous l’uniforme
Et les sensibilités religieuses, qu’elles soient juives ou musulmanes, ne sont-elles pas difficiles à gérer dans les territoires ? N’est-ce pas un problème, pour certains, quand le seul personnel soignant disponible est féminin ? « Je vous assure que, quand une vie est en danger, les orthodoxes, qu’ils soient juifs ou musulmans, ne se soucient pas de cela. » «Dans notre brigade », précise Carmel Cohen, « il y a un bataillon entier de juifs orthodoxes. Un bataillon sans filles. Mais pendant les entraînements, ces garçons-là se retrouvent quand même avec des filles. Et si l’un d’eux a besoin de soins médicaux et que ces soins sont donnés avec professionnalisme, ce n’est pas un problème.
Pour devenir infirmière dans l’armée, le processus de sélection est très sévère. Les jeunes filles subissent des tests de compétences générales et de réaction au stress. Une fois acceptées, elles partent pour 14 mois de formation, qui débutent par un cours intensif du Magen David Adom et se poursuit par deux mois et demi d’entraînement militaire.
Mais à l’armée, il n’y a pas seulement des infirmières : il y a aussi des infirmiers. Comment se passe la cohabitation ? Les filles sont-elles bien acceptées par les garçons ? « Au bout du compte, on doit faire ce qu’on a à faire et être la personne qui prend soin des autres », répond Shani Davidpor.
« On nous considère comme des individus responsables.
Celles qui ont suivi cette formation et ont été nommées à ce poste inspirent le respect. Mais, dans la vie, les femmes sont toujours obligées de faire davantage leurs preuves que les hommes. C’est pareil dans l’armée. On doit travailler dur pour devenir quelque chose. Et on reste toujours la fille. »N’empêche que, parfois, une présence féminine inattendue au milieu d’une équipe masculine peut avoir des conséquences embarrassantes pour les hommes : «J’étais partie en entraînement d’une semaine avec l’infanterie », raconte Carmel Cohen. « Nous devions marcher avec un sac à dos de 40 kg sans manger grand-chose, car c’était une unité combattante. Quand vous avez votre casque et votre uniforme, les autres ne voient pas forcément que vous êtes une femme. L’un des soldats ne l’a pas remarqué et il a commencé à me raconter l’une de ses histoires qui ne se racontent qu’entre hommes. Quand je lui ai dit qui j’étais, il ne savait plus où se mettre ! Dans notre travail, l’humour est très important. Ça aide à garder le moral. »
Guère plus de 20 ans
Quand on les regarde travailler ou raconter des épisodes à faire se dresser les cheveux sur la tête, on a du mal à croire que les infirmières de la brigade Kfir n’ont guère plus de vingt ans.
« Un jour », confie l’une d’elles, « une personne qui venait juste de me parler est morte tout à coup. Je me suis sentie très mal : qu’aurais-je dû faire pour éviter cette mort ? Quelle erreur avais-je commise ? Finalement, j’ai dû accepter qu’il y ait des choses contre lesquelles on ne peut rien. On doit toujours faire de son mieux, mais parfois, cela ne suffit pas. » Toutes les filles de l’unité ne rêvent pas de faire carrière dans la médecine, mais un certain nombre d’entre elles y sont décidées.
En fin de semaine, ou quand elles sont autorisées à quitter la base, peuvent-elles vraiment se déconnecter ? « Moi, tout ce que je fais, c’est dormir », répond Dar Golan en riant.
« Je n’ai aucun problème pour me déconnecter une fois que je suis à la maison», ajoute Shani Davidpor.
« Chacune d’entre nous a ses raisons personnelles d’être là », estime Carmel Cohen. « Le point commun, c’est que nous voulions toutes faire quelque chose de différent, quelque chose qui nous donnerait le sentiment d’avoir vraiment fait l’armée et d’avoir rapporté de cette épreuve quelque chose de concret. Ce que l’armée nous a donné, nous le garderons pour la vie. Je ne suis plus la même fille qu’il y a trois ans. Je suis beaucoup plus forte. » A côté de la fierté qu’elles tirent de leur travail, on sent une note de tristesse à l’idée qu’une telle tâche est nécessaire. Je me demande tout haut si ces jeunes filles n’aimeraient pas ressembler à leurs contemporaines aux quatre coins de la planète, dont le principal problème est de savoir comment s’habiller pour sortir en boîte de nuit le prochain weekend.
« Ne croyez pas que ce genre de problème ne nous tourmente pas ! », proteste le capitaine Kesari, déclenchant les éclats de rire de toute l’équipe.
Source JerusalemPost