mercredi 9 décembre 2020

Cyril Aouizerate, une vision poétique du combat écologique


Cofondateur des hôtels Mama Shelter aux côtés de Serge Trigano et de Philippe Starck, philosophe des nouvelles urbanités et talmudiste high-tech, Cyril Aouizerate a toujours un temps d’avance pour penser notre rapport à l’espace. L’avenir est peut-être autour de nous, dans les périphéries, qui ont inspiré son concept de MOB. Un projet d’odyssée urbaine pour vivre mieux. Ensemble. Propos recueillis par Sarah Herz......Interview.......

L’écologie est-elle, pour vous, un humanisme ?

Il faut reconstruire le lien qu’avait l’écologie avec un certain humanisme. Aujourd’hui, avec l’influence des réseaux sociaux, de certains médias ou de certaines organisations, on dilue la puissance de ce que peut incarner l’écologie sociale. 
C’est pour moi le dépassement de l’analyse rationnelle du réchauffement climatique par ce que j’appelle «la philosophie du panache» ; une sorte d’optimisme qui est l’allié de l’humanisme. Il faut sortir du discours «tous coupables». 
Nous sommes des hommes et des femmes, plein de contradictions, et n’avons pas nécessairement de culpabilité intrinsèque. La seule chose qu’il nous reste c’est notre panache.

Pouvez-vous préciser ce que signifie pour vous «la philosophie du panache» ?

La philosophie du panache, pour moi, c’est mettre de la beauté au cœur de notre expérience de vie. Par exemple, je dis souvent que nous devrions payer un petit impôt pour regarder les paysages. 
Le travail que font les paysans est colossal et nous en bénéficions gracieusement en roulant, en nous baladant à pied ou à vélo. Ils créent quelque chose d’indéfinissable et nous offrent beaucoup d’émotions. Je parle d’ailleurs plus de paysages que de biodiversité, car je lutte contre le trop-plein du scientisme dans les questions écologiques. 
Cela ne signifie pas que nous n’avons pas besoin de la science mais l’homme est, par essence, complexe et si nous ne parlons pas à l’âme, il n’y a aucune raison d’espérer un changement effectif sur les problématiques écologiques.
L’écologie, c’est prendre le pouls réel du problème – qui est vaste et très anxiogène – et essayer de le transcender par une certaine forme de poésie, de lier l’art et l’agriculture. Je suis pour une vision poétique du combat écologique.

N’est-ce pas une bonne nouvelle que de présumer que l’économie va être repensée au prisme d’une réconciliation entre les ressources naturelles et la production ?

Il y a presque une révolution qui est en train de se mettre en place sur les questions de la mobilité et de l’habitat. Néanmoins, je pense que nous ne prenons pas ces sujets à bras-le-corps, notamment dans les métropoles, car il y a un discours très politiquement correct. Par exemple, cela fait des années que je dis qu’il faut «enlaidir» Paris, qu’il faut sortir du spectre de la préservation du patrimoine. 
J’aimerais que l’on donne une liberté aux jeunes architectes afin qu’ils puissent créer de la densité sur les toits parisiens, un ou deux étages supplémentaires grâce à des structures très légères. Il y a un vrai sujet autour de l’espace public et de la liberté dans les villes. Au regard des enjeux que nous avons, perdre un mètre carré de vue d’un toit en zinc du XVIe ou du XVIIe siècle, ne me paraît pas fondamental. 
S’il faut annexer une partie du domaine public afin de créer des petites maisons pour des personnes ayant des difficultés, il faut le faire et tant pis si ce n’est pas esthétiquement transcendant. Je pense qu’il y a beaucoup de champs de liberté à créer pour essayer de résoudre les problématiques de logement. Nous avons besoin d’innovation humaine et humaniste.

En quoi l’écologie sociale est-elle au cœur de vos projets ?

Quand je développe un projet, j’essaye toujours de développer un territoire. Je me demande comment nous pouvons créer, dans une ville, qui n’est pas forcément perçue comme «touristique» un nouveau territoire. Quand je décide d’aller à Saint-Ouen, ce n’est pas anodin. 
Ensuite, il y a cette idée très forte – chez MOB – de rendre nos parties extérieures, qui sont des lieux privés au sens légal du terme, publiques. 
À Saint-Ouen, nous allons avoir quasiment quarante potagers ouvriers dans notre hôtel, c’est un moyen d’échapper à la notion de propriété individuelle et de dire «ma terre, c’est la vôtre». 
Permettre à quarante familles urbaines qui vivent dans des appartements, sans terrasse, d’avoir leur potager. 
Ça ne va pas sauver la planète mais ce sont des actions symboliques qui leur permettent de découvrir la permaculture et ses difficultés. 
Nous sommes aussi en train de mettre en place, avec nos voisins, un compost collectif qui leur permettrait d’entretenir leur jardin, qu’ils aient un potager chez nous ou non. 
Nous essayons de favoriser la mixité sociale en proposant des prix qui ne soient pas élitistes et de créer un mélange d’agri-culturel et d’engagement.

Quelles sont les villes qui nourrissent votre créativité ?

Il y a une ville qui m’a beaucoup inspiré très jeune, c’était le New York des années 80. Mais, aujourd’hui, c’est une des villes les plus ennuyantes qui soit. J’ai vécu pas mal de temps à Tel-Aviv et là-bas il y a quelque chose autour de l’optimisme, une sorte de liberté créative ancrée dans un univers un peu compliqué. 
J’ai trouvé des artistes et des créateurs qui font des choses incroyables avec trois fois rien.
J’essaye aussi d’avoir des lieux où je n’ai pas de projets pour en profiter pleinement. Je me rends souvent dans le Sud-Ouest et les Hautes-Pyrénées. Je vais beaucoup dans un gîte tenu par un couple et finalement, j’y vais presque pour eux. J’ai un rapport au voyage assez simple, qui passe par l’humain et la cuisine.

Quels sont les projets sur lesquels vous travaillez en ce moment ?

Il y a le MOB House que nous allons ouvrir en mars prochain, toujours à Saint-Ouen, dans le quartier général. 
Ensuite, nous avons un projet à Bordeaux, dans une ancienne halle à grains, au sein d’un quartier qui s’appelle Brazza. Nous avons toujours nos projets aux États-Unis, à Washington et à Los Angeles, qui sont pour le moment évidemment à l’arrêt. 
Dès que je pourrai y retourner, nous allons avancer sur celui de Dakar qui est vraiment une ville dans laquelle il se passe quelque chose d’énergisant autour d’une nouvelle génération de créateurs et de créatrices, au sens large, dans la mode, l’électronique, le commerce...

L’éco-concept du MOB est-il toujours lié à l’urbanité ? Ou vous imaginez un jour faire un MOB hors de la ville ?

Nous travaillons depuis deux ans sur ce sujet, sur l’aménagement d’un domaine de 30 hectares dont une partie sera dédiée à une école de tourisme raisonnée, d’écologie sociale, que l’on souhaite créer depuis longtemps. 
Nous voulons former la génération de demain aux problématiques du bio dans un lieu à l’extérieur de Paris. 
La question de la redynamisation des territoires et des zones périphériques est importante. Nous avons tendance à dire qu’il n’y a plus d’espoir dans les zones périphériques, moi je pense exactement le contraire. Vis-à-vis du climat, il va y avoir une redistribution des cartes et des valeurs immobilières dans les dix à vingt prochaines années. 
Je ne suis pas sûr qu’être propriétaire d’un appartement d’une ville où il fera 60 degrés l’été sera très rentable. Il y aura de plus en plus d’intérêt pour les villes en altitude ou plus proches de la nature. 
Les zones périphériques peuvent tirer leur épingle du jeu pour devenir des nouveaux lieux de vie.

Source Vanity Fair
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