mercredi 16 septembre 2020

Ehud Yaari : « MBZ mérite le Nobel de la paix »


L'analyste israélien Ehud Yaari explique dans une interview au journal Le Point les dessous de l'accord de paix signé le 15 septembre à la Maison-Blanche par Israël et deux États du Golfe.......Décryptage.........



Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou et des délégations de deux monarchies arabes du Golfe, les Émirats arabes unis et le Bahreïn se réunissaient mardi à la Maison-Blanche à Washington pour sceller la normalisation de leurs relations à l'invitation du président américain Donald Trump. 
L'essayiste israélien Ehud Yaari, commentateur de la télévision publique israélienne pour les affaires arabes et expert au cercle de réflexion américain Washington Institute for Near East Policy, analyse ces accords de paix, les premiers qu'Israël signe avec des pays arabes depuis ceux qu'il a conclus avec l'Égypte en 1979 et la Jordanie en 1994.

Le Point : Le président Donald Trump revendique la paternité des accords de paix entre Israël et les Émirats arabes unis et le Bahreïn. A-t-on sous-estimé ses qualités d'artisan de paix ?

Ehud Yaari : Sans les Américains, ces accords n'auraient pas vu le jour. Car le principal intérêt des Émirats arabes unis est de faire progresser leurs relations avec les États-Unis et d'obtenir une sorte de police d'assurance, si Joe Biden gagne l'élection présidentielle en novembre. 
Le dirigeant émirien Mohammed ben Zayed al-Nahyane, qu'on appelle MBZ, marque des points à Washington en normalisant courageusement, le premier, ses relations avec Israël, et pense qu'il pourra toujours compter sur le soutien américain même si Joe Biden décidait de poursuivre le désengagement américain du Moyen-Orient. 
L'occasion pour lui s'est présentée quand Benyamin Netanyahou a commencé à évoquer l'annexion de parties de la Judée Samarie. 
Très intelligemment, MBZ a offert un donnant-donnant, la normalisation des relations bilatérales contre le renoncement à l'annexion. Les Américains ont facilité cette évolution.

Qui mérite le prix Nobel de la paix pour l'accord ?

Le Nobel n'est pas toujours une référence, je me souviens qu'il avait même été accordé à Yasser Arafat… 
Mais celui qui le mérite certainement, à mon humble opinion, est MBZ. Il a prouvé qu'il était le plus visionnaire des dirigeants arabes contemporains. On peut le comparer à l'Égyptien Anouar el-Sadate, qui avait offert la paix à Israël à la fin des années 1970. 
Quant à savoir si Donald Trump et Benyamin Netanyahou doivent y être associés, j'en suis moins sûr…

L'hostilité commune des signataires envers l'Iran est-elle la principale raison de l'accord de paix ?

C'est la raison secondaire. La raison première est que la plupart des États arabes ne supportent plus la manière dont la direction palestinienne conduit le processus de négociation avec Israël. 
Ils ne veulent plus rester otages des tactiques obtuses de Mahmoud Abbas (le président de l'Autorité palestinienne, NDLR). 
Par ailleurs, la réduction de l'engagement des États-Unis au Moyen-Orient pousse les États de la région à chercher des amis et des partenaires. Les EAU sont en contact étroit avec Israël depuis longtemps, ils connaissent les avantages de relations plus ouvertes.
Ils se sont dit, par exemple, que des manœuvres communes avec l'armée de l'air israélienne pourraient impressionner l'Iran. 
En outre, un élément clé est la liberté de navigation en mer Rouge, où les Émirats sont très présents et où ils sont intéressés à une coopération avec Israël.

Outre la coopération économique, l'accord va-t-il se traduire par une intensification des relations militaires et sécuritaires ?

Cela ne figure pas dans le document signé à Washington, mais il est évident que c'est sur la table. 
Des pilotes israéliens, américains, grecs et autres s'entraînent déjà avec des pilotes émiriens au-dessus de la Méditerranée. La coopération militaire va certainement s'intensifier, y compris dans le domaine du renseignement et des cybertechnologies.

L'Arabie saoudite va-t-elle emboîter le pas aux Émirats arabes unis et à Bahreïn et signer la paix avec Israël ?

Oui, mais pas tout de suite. L'Arabie saoudite suit son rythme. Le prince héritier Mohammed ben Salmane (MBS) doit évoluer plus lentement que MBZ, car il a des contraintes intérieures propres. 
Mais le fait que les dirigeants de Riyad aient autorisé récemment les avions de ligne israéliens à traverser l'espace aérien saoudien, qu'ils aient donné leur feu vert au royaume de Bahreïn pour normaliser ses relations avec Israël, et que leur presse soit devenue très critique vis-à-vis de la direction palestinienne ; tout cela prépare la voie à une normalisation future. 
Le fait que le dirigeant de la Ligue islamique mondiale se soit rendu en début d'année à Auschwitz pour y parler de réconciliation et de dialogue interreligieux est aussi un signe qui ne trompe pas. 
Ou bien quand l'imam de la grande mosquée de La Mecque a donné un prêche où il soulignait combien le Prophète aimait les Juifs. Le même imam, il y a quelques années, comparait les Juifs à des singes et des porcs.

La direction palestinienne va être contrainte de réviser fondamentalement la stratégie qu'elle mène depuis les accords d'Oslo
Quel va être l'impact de l'accord sur les relations israélo-palestiniennes?

Premièrement, le gouvernement israélien, quel qu'il soit, devra désormais être plus prudent dans ses relations avec les Palestiniens, car il devra prendre en compte la sauvegarde et le développement de ses relations avec les États arabes – et le mouvement ne va pas s'arrêter à ceux qui ont déjà signé la paix. Deuxièmement, la direction palestinienne va être contrainte de réviser fondamentalement la stratégie qu'elle mène depuis les accords d'Oslo, car il est patent qu'elle a échoué et qu'elle ne mène nulle part.

L'État palestinien est-il toujours un objectif réaliste ?

Je pense que oui et je prie pour qu'on y arrive. Mais j'ai toujours été persuadé que des étapes intérimaires étaient nécessaires avant d'arriver à un règlement final pour mettre un terme au conflit.

L'Europe est absente des nouveaux accords de paix, ne joue-t-elle plus aucun rôle au Proche-Orient ?

C'est à elle de prendre ses responsabilités. Cela dit, Tony Blair, l'ancien Premier ministre britannique, a joué un rôle majeur dans cette évolution. 
Quand il était le représentant à Jérusalem du Quartette international sur le Proche-Orient, il y a quelques années, il a encouragé et promu le dialogue au plus haut niveau entre les dirigeants israéliens et leurs homologues du Golfe. Si l'Union européenne soutenait et accompagnait le rapprochement israélo-arabe en cours, cela pourrait accélérer de manière positive l'évolution de la direction palestinienne – l'actuelle ou la suivante –, afin qu'elle adopte une nouvelle stratégie politique.

La Turquie a condamné le rapprochement des États du Golfe avec Israël. Considérez-vous le régime d'Erdogan comme une menace ?

L'affaiblissement du monde arabe s'est traduit ces dernières années par une immixtion régionale croissante de l'Iran et de la Turquie. 
Cette dernière est devenue beaucoup plus active, établissant des positions permanentes au Kurdistan irakien, en Syrie, au Qatar, elle parraine les dirigeants terroristes du Hamas à Istanbul et leur fournit des passeports turcs, et elle cherche à dominer la Méditerranée orientale et à mettre la main sur les réserves en gaz sous-marines. 
Elle va même établir des positions dans la Corne de l'Afrique et sur les rives de la mer Rouge. 
Cependant, elle ne parle pas, contrairement à l'Iran, de détruire Israël, donc pour nous ce n'est pas le même chose. Mais pour les Arabes, par exemple l'Égypte, la Turquie est bien plus menaçante que l'Iran.

Source Le Point
Vous nous aimez, prouvez-le....


Suivez-nous sur FaceBook ici:
Suivez nous sur Facebook... 
Sommaire
 Vous avez un business ?