Il a fallu attendre 26 ans entre la deuxième et la troisième normalisation d’un pays arabe avec Israël. Pourtant, il n’aura fallu que 29 jours entre la troisième et la quatrième, cette fois entre Israël et Bahreïn. Et d’autres normalisations seraient sur le point d’être dévoilées, à en croire certains officiels Israéliens et Américains.
Mais le dernier épisode en date livre de nombreux indices pour deviner comment, à l’avenir, d’autres États de la région pourraient être amenés à normaliser leurs relations avec Israël.
Car si l’île de Bahreïn a fait ce choix de normalisation, c’est surtout parce que son parrain régional lui en a donné l’autorisation.
«Cet accord n’aurait jamais pu être réalisé sans l’aval de l’Arabie saoudite. Bahreïn est une petite monarchie insulaire qui dépend totalement de Riyad», explique au micro de Sputnik France Roland Lombardi, historien, spécialiste du Moyen-Orient et auteur de Poutine d’Arabie (Éd. VA, 2020)
Ce dernier rappelle d’ailleurs que des manifestations eurent lieu à Bahreïn lors du Printemps arabe 2011.
Des troubles matés par les troupes saoudiennes dépêchées sur place. Ce sont également les Saoudiens qui sont venus à l’aide de Bahreïn lorsque celui-ci traversait en 2018 de graves difficultés financières, subissant une chute de 2% de la croissance de son PIB.
Les actes de Bahreïn posent donc immanquablement la question de l’influence saoudienne vis-à-vis d’Israël.
Et selon Roland Lombardi, Riyad est en train de donner des gages de bonne foi à Washington et Tel-Aviv, sans pour autant se salir les mains:
«Mais ça va plus loin que ça. Autoriser Manama à signer cet accord avec Israël permet au roi Salmane d’Arabie saoudite d’accentuer la pression sur Netanyahou.»
De quelle pression s’agit-il? «On l’oublie souvent, mais le “deal du siècle” [proposé par les États-Unis pur régler le conflit israélo-palestinien, ndlr], c’est un protocole d’accord.
Des négociations sont en cours. Même si les Palestiniens balayent d’un revers de la main les bases de cet accord, ils négocient secrètement», poursuit le chercheur.
Et la normalisation des relations entre Bahreïn et Israël montre à Tel-Aviv que Riyad est capable de lui donner des gages de bonne volonté, bien qu’ils ne normalisent pas eux-mêmes leurs relations avec l’État hébreu. Une manière donc d’inviter ce dernier à faire un geste en retour.
L’Arabie saoudite gagne donc des leviers de négociation, et ce, en marge d’importants échanges commerciaux et du soutien économique américain, lesquels pourraient rapporter gros à Manama et à Riyad.
Et, évidemment, ce dernier y gagne dans sa lutte régionale avec ses ennemis:
«D’un point de vue plus géopolitique, beaucoup voient là-dedans la possibilité de contrer l’influence iranienne.
Personnellement, je pense que c’est plutôt pour contrer l’influence de l’axe Qatar-Turquie. J’en veux pour preuve l’hétérogénéité de l’axe chiite, qui reste divisé.»
Qu’est-ce qui empêche donc Riyad de normaliser ses relations avec Israël? Outre les raisons évidentes qui sont liées au fait que l’Arabie saoudite est tout de même leader du monde sunnite et gardienne des lieux saints de l’Islam, étant donc de fait particulièrement responsable à l’égard du monde arabe, Roland Lombardi estime que c’est surtout une question liée à la succession à la tête du royaume.
Le roi Salmane, qui est aujourd’hui très vieux, demeure réticent face à la normalisation des relations entre Riyad et Tel-Aviv. Ce qui n’est pas le cas de son successeur.
«Mohamed Ben Salmane serait plutôt favorable à une normalisation officielle des relations avec Israël, mais il doit attendre que le roi Salmane meure pour qu’il puisse accéder au trône et qu’il ait les mains libres.
Une attente qui pourrait être périlleuse pour MBS, car il est, comme César, entouré d’ennemis.
Ses réformes, ses positions stratégiques, sa lutte contre les Frères musulmans et d’autres groupes salafistes ont fait qu’il a beaucoup d’ennemis dans le royaume», prévient Roland Lombardi.
Par exemple, le chercheur rappelle que MBS a mis en résidence surveillée son très puissant oncle Ben Nayef.
Il faut donc qu’il puisse continuer de nettoyer le royaume des frondeurs potentiels avant de mener ses projets à bien. Ainsi Mohamed Ben Salmane voudrait-il devenir «le Louis XIV du désert» selon Roland Lombardi, mais risque toujours d’en être le Louis XVI:
«En attendant d’être sur le trône, il risque encore de finir comme son oncle le roi Fayçal, assassiné en 1975.»
Vous nous aimez, prouvez-le....