Actrice, réalisatrice, comédienne, scénariste, metteuse en scène... Zabou Breitman n'en finit pas de nous surprendre par la richesse et la diversité de sa carrière........Interview & vidéo..........
• Notre Temps: Vous venez d’adapter le roman "Les Hirondelles de Kaboul" en réalisant un film d’animation. Qu’est-ce qui vous a attiré dans ce nouveau projet?
Zabou Breitman: J’ai été convaincue par les producteurs que l’animation était le meilleur moyen de faire passer les émotions de ce roman très dur sur les destins croisés de deux couples à Kaboul, sous les talibans.
La littérature permet de s’inventer ses propres images. Si nous avions fait le choix du long-métrage, nous aurions perdu une partie de cet imaginaire. Je voulais laisser de la place au spectateur.
J’ai donc accepté, à condition de le faire à ma manière.
• Quelles étaient vos exigences?
Z.B.: Je voulais que l’animation se calque sur le jeu des acteurs et non l’inverse. J’ai fait du doublage, je sais comment ça se passe. Dire le texte les uns après les autres fait perdre énormément de vie.
Les acteurs ont donc vraiment joué les scènes et les animateurs se sont calés sur leur gestuelle, leur posture et leur ton.
Cela donne une épaisseur psychologique et de la sincérité aux personnages. Il en fallait pour raconter cette terrible histoire.
• Dans le film, votre père, Jean-Claude Deret, incarne un vieux sage clairvoyant, son dernier rôle...
Z.B.: Il est immortalisé là. Lors du tournage, il avait 94 ans. Je savais qu’il allait mourir, j’avais hâte qu’il enregistre.
C’est bouleversant pour moi de l’entendre dans ce film. Un peu magique aussi. D’autant qu’à la n son personnage s’en va dans le blanc...
• Que vous ont transmis vos parents, tous les deux acteurs et artistes engagés?
Z.B.: Tout. Comme ils étaient très féministes, ils avaient décidé qu’il n’y avait pas de raison que je n’aie accès qu’à une littérature dite de fille.
J’ai donc tout lu: "La Comtesse de Ségur", "Les Trois Mousquetaires", de la poésie, de la science-fiction, des bandes dessinées, Tintin, Gotlib, Bretécher. Ils m’ont aussi initiée au bricolage, à la couture, à la cuisine.
Je n’ai réalisé que très récemment à quel point ils m’avaient offert une liberté de dingue.
• Est-ce cette liberté qui vous a conduit à mener une carrière aussi éclectique?
Z.B.: Sans doute. Je pense d’ailleurs que cet éclectisme a pu effrayer. À un moment, en tant qu’actrice, je n’avais que des petits rôles, j’en avais assez, je m’ennuyais. Je suis donc passée à la réalisation.
Pourtant, j’aurais adoré faire de gros trucs, "avoir à manger" comme on dit dans le milieu.
Peut-être qu’une femme qui crée laisse moins de place à la rêverie et à l’imaginaire pour un créateur.
Peut-être aussi que si je ne tournais plus pendant quelques années, les rôles reviendraient. Je ne sais pas et, de toute manière, je ne peux pas tout faire.
• Trouvez-vous le milieu du cinéma injuste envers les femmes?
Z.B.: Le mouvement MeToo a changé les choses, bien sûr, parce que maintenant les hommes prennent peur. Mais combattre le sexisme ordinaire est une autre affaire.
Le fameux "Oh ça va..." après une remarque misogyne, pour moi, ne passe pas. Mon père a toujours attiré mon attention sur le fait que la femme est tout de suite sale ou coupable.
Un homme qui boit et qui écrit son nom en faisant pipi dans la neige, c’est rigolo, il fait le fou avec ses copains.
Une femme qui boit, c’est tout de suite dégoûtant. Si elle a un mec plus jeune, c’est une cougar. Alors que pour un homme, avoir une compagne plus jeune est valorisant. C’est insoutenable. Mes parents étaient très sensibles à toutes ces questions.
• Votre mère en particulier...
Z.B.: Oui, elle ruait dans les brancards dès qu’elle le pouvait. Elle venait d’une famille qui l’avait écrasée, elle avait dû se battre pour tout.
Elle me répétait à quel point j’avais de la chance d’être tombée dans une famille libre et cultivée.
Hélas, ce n’est qu’après son décès que j’ai compris à quel point sa vie avait été terrible. Tant qu’elle était vivante, elle était ma mère.
Lorsqu’elle est morte, elle est redevenue une femme que je pouvais regarder avec distance.
Il faut que la personne ne soit plus là pour que le processus filial se désenclenche et que le voile qui la recouvre s’évanouisse. Un peu trop tard...
• Regrettez-vous de ne pas l’avoir perçu plus tôt?
Z.B.: On a toujours des regrets mais je fais en sorte de ne pas vivre dessus. J’essaye au contraire de les transformer et d’en faire quelque chose. Ma mère avait été premier prix du conservatoire au Québec. Aujourd’hui, j’aimerais qu’un prix de cinéma porte son nom: Céline Léger.
• L’an dernier, vous vous êtes lancée dans un voyage de plusieurs mois autour du monde. Pour quelle raison?
Z.B.: Je venais de perdre mes parents. Dans ces moments-là, on peut facilement rester écrasé de tristesse.
J’ai donc décidé de partir seule, alors que je déteste cela. Je me suis forcée à sortir de ma zone de confort parce que je ne voyais plus rien. J’avais besoin de regarder la Terre, la nature, des choses qui soient plus fortes que mon chagrin, et de me sentir vivante.
Le frisson de l’aventure empêche de se complaire dans son inquiétude. Quand vous observez les kangourous de près, la terre rouge, les lacs salés en Australie, les baies sublimes de Nouvelle-Zélande, les forêts de bambous ou le mont Fuji au Japon, vous pleurez parce que c’est magnifique.
Je voulais être émerveillée. J’ai fini en Inde par une retraite où j’ai pratiqué beaucoup de yoga. Après, j’en ai eu marre et je suis rentrée.
• Après avoir été juste Zabou, vous avez ajouté votre nom, Breitman, faisant le chemin inverse de votre père qui l’avait abandonné au sortir de la guerre. Pourquoi cette démarche?
Z.B.: Mon père est un quart ashkénaze. Un jour, un producteur m’a fait une drôle de remarque sur mes origines.
Bien sûr que pour un Juif, je ne suis pas vraiment juive, mais lorsque je suis confrontée à de l’antisémitisme, je deviens juive à cent pour cent.
Mes arrière-grands-parents ont été poussés hors d’URSS par le numerus clausus qui interdisait aux membres d’une même famille de faire des études similaires. Mon arrière-grand-père et son frère sont arrivés à Paris parce qu’ils voulaient être médecins.
Avoir repris leur nom est une des choses dont je suis le plus fière. D’autant que vous savez ce que mon père a fait ensuite? Il s’est fait appeler Deret-Breitman.
• Vous aurez 60 ans le 30 octobre: est-ce un cap symbolique?
Z.B.: Ne m’en parlez pas! Déjà, 50 ans, c’était dur, mais là, 60... Ça m’ennuie car j’ai encore plein de trucs à faire !
Enfin bon, c’est comme ça. Je vais quand même faire une grande fête. Et puis, ce jour-là, ce sera les 30 ans de ma fille, mon bébé de 30 ans!
• Qu’est-ce qui vous rend heureuse?
Z.B.: Mes enfants, dont je suis très fière. J’ai beaucoup de connivence avec eux. Je retrouve dans nos rapports le même type de complicité que j’entretenais avec mes parents. J’ai tourné très tôt avec mon fils, comme mon père l’avait fait avec moi.
• Vous avez la réputation de ne jamais relire les articles qui vous concernent. Nous relirez-vous?
Z.B.: Jamais. J’aurais trop l’impression de m’observer de dos alors que j’ai besoin de me voir du dedans. Les articles, les critiques, bonnes ou mauvaises, vous modèlent. Ils font bouger les lignes et je ne veux pas.
• De l’animation au théâtre!
Adapté du roman de l’écrivain Yasmina Khadra, "Les Hirondelles de Kaboul" raconte les vies de deux couples confrontés à la violence les talibans en Afghanistan.
Très beau visuellement, grâce aux plans façon aquarelles d’Eléa Gobbé-Mévellec (coréalisatrice), le film d’animation n’élude rien de l’épouvantable quotidien vécu par les Afghans sous le régime des mollahs.
Zabou Breitman est également à l’affiche en tant que metteuse en scène avec "La Dame de chez Maxim", de Feydeau, au théâtre de la Porte-Saint-Martin, à Paris.
"Les Hirondelles de Kaboul", en salles depuis le 4 septembre.
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"La Dame de chez Maxim", au théâtre de la Porte-Saint Martin, à Paris, du 10 septembre au 1er novembre.
• Zabou Breitman, repères
- 1959 Zabou Breitman naît le 30 octobre, à Paris.
- 1965 Elle apparaît pour la première fois à la télévision dans "Thierry la Fronde", la série écrite par son père, Jean-Claude Deret, dans laquelle joue Céline Léger, sa mère.
- 1992 Les films "La Crise", de Coline Serreau, et "Cuisine et Dépendances", de Philippe Muyl, la font connaître.
- 2002 "Se souvenir des belles choses", son premier film, avec Isabelle Carré et Bernard Campan, obtient trois césars.
- 2017 Elle réalise la série "Paris etc." pour Canal +.
- 2019 Son premier film d’animation, "Les Hirondelles de Kaboul", sort en salles. Au théâtre, elle met en scène "La Dame de chez Maxim", de Georges Feydeau.
Source Notre temps
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