Le musée George-Sand et de la Vallée-Noire, à La Châtre (Indre), organise jusqu'au 29 septembre, au château d'Ars, une exposition consacrée à la vie et à l'oeuvre de Cécile Reims. Elle est née Tsila Remz, le 19 octobre 1927, à Paris. Orpheline de mère, elle a passé les six première années de sa vie à Kibarty, en Lituanie. « J'ai appréhendé le monde, son étrangeté, dans une famille juive, patriarcale, nombreuse, où le rituel religieux encadrait tous les actes et, pour l'enfant que j'étais, les parait d'une merveilleuse magie », écrit-elle dans la préface du catalogue de l'exposition.......Détails.........
En 1933, Cécile Reims quitte cet « univers lumineux », pour rejoindre son père à Paris. Elle se retrouve dans un pays dont elle ignore jusqu'à la langue, et qui, la guerre venue, lui devient rapidement hostile. Après la rafle du Vel d'Hiv, elle se retrouve seule, en zone libre.
Elle a 14 ans et, par hasard, ce hasard dont la tradition ésotérique juive dit que c'est un des noms de Dieu, et qu'elle a laissé la guider tout au long de sa vie, elle entre dans la résistance, « de façon plus aventureuse qu'en pleine conscience des dangers encourus. Si je devais être prise, ce serait pour ce que je faisais et non pour ce que j'étais. »
Cette étoile jaune est celle que Cécile Reims a dû porter. Elle tenait à ce qu'elle soit dans cette exposition. Photo Pierrick Delobelle
« L'art m'apparut comme un luxe indécent. je quittai la France, l'Europe du désastre, pour la terre ancestrale, là où se réaliserait la devise bafouée : Liberté, Egalité, Fraternité. »
La tuberculose à Jérusalem
Après avoir passé quelques mois dans un kibboutz, elle s'installe à Jérusalem et dessine. «
Mais le rêve se heurta à la réalité : ce fut une nouvelle guerre, le siège de Jérusalem. » Elle sert dans l'armée quand les premiers signes de la tuberculose se manifestent.
Diptyque Le massacre des innocents, Les Milç et les Remz, de Fred Deux. Prêté par le musée national d'art moderne - collection Centre Pompidou, et présenté en relation avec un document photographique représentant le lieu exact du massacre des villageois de Kibarty, en Lituanie, parmi lesquels la famille de Cécile Reims.
En 1948, Cécile Reims rentre en France pour se soigner. Un retour provisoire, pense-t-elle. « Pour moi, l'Europe, c'était fini !
C'était impossible d'y vivre. Et puis, j'ai rencontré Fred Deux, et j'ai accepté que le cours de ma vie soit changé. »
Pourtant, tout semble l'opposer à cet ouvrier, fils d'ouvrier, qui a grandi dans la misère. « Seul point commun : l'Art. »
C'était en 1951. Cette année là, Cécile Reims avait vécu en Catalogne, dessinant et gravant les scènes de la vie quotidienne des pêcheurs.
Espagne, 1951. Photo Pierrick Delobelle
Les années suivantes, pour faire bouillir la marmite, elle s'initie seule au tissage et se met à travailler pour des maisons de couture.
« À moi seule, je représentais la maison Deux !, s'amuse-t-elle. Mais cette activité prospérait tant que je ne pouvais plus y arriver seule. »
Mariage et création d'un centre d'art contemporain
En 1957, elle épouse Fred Deux et ils quittent Paris pour le village de Corcelles, avant de s'installer à Lacoux, où ils vont créer un centre d'art contemporain, puis dans l'Indre, au Couzat, dans la campagne berrichonne, et enfin à La Châtre, où Fred Deux est mort en 2015.
« La maison était à la mesure de nos besoins et nous nous y sentîmes tout de suite bien : arrivés à bon port pour repartir vers ce que nous ignorions. »
Les Métamorphoses, 1957-1958. Photo Pierrick Delobelle
En 1966, une autre hasard, un « hasard fabuleux » lui fait découvrir qu'elle peut graver pour d'autres artistes qu'elle.
« Je n'étais pas aussi fertile que Fred », dit-elle. Alors, renoncer à une expression personnelle pour se frotter à d'autres univers est une expérience qui l'enthousiame.
La gravure d'interprétation lui donne « le sentiment d'évoluer dans la vie. Il faut inventer un nouveau langage, un nouveau vocabulaire à chaque fois. Il faut disparaître de soi-même, se quitter soi-même.
Si on copie, l'oeuvre est morte ! » En 1966, elle devient le graveur d'interprétation de Hans Bellmer ; elle le restera jusqu'à sa mort, en 1975. Elle grave aussi Léonor Fini, Salvador Dali, Paul Wunderlich... et jusqu'à Fred Deux. Mais son travail de graveur d'interprétation ne sera reconnu que des années plus tard.
« Je grave d'une façon aberrante ! »
Au fil des années, Fred et elle, pas à pas, ont suivi leur chemin. Chacun le sien. « Nous n'avons pas cherché l'argent ni la notoriété. Il s'agissait pour nous de donner un sens à notre vie. »
Pour Fred Deux, ce sera par le dessin. Pour Cécile Reims, par la gravure, qu’elle a apprise auprès de Joseph Hecht.
Un travail à la pointe sèche et au burin, toujours. «Il paraît que je grave d'une façon aberrante ! Ma table de travail, c'est une simple table, avec un miroir. Et je n'ai jamais eu de presse. »
L'exposition présente aussi des objets personnels, comme des photos de famille. Photo Pierrick Delobelle
À quoi bon, vous dira-t-on aux ateliers Moret, chez qui Cécile Reims a fait imprimer, en 65 ans, plus d'un millier de gravures. « Elle ne faisait jamais d'essai et la plupart du temps c'était ici qu'elle venait les faire et 85 % de ce que l'on tirait était déjà des BAT, bon à tirer, ce qui signifiait qu'il n'y avait besoin d'aucune retouche. Il arrivait, rarement, qu'elle en retouche quelques unes ici, à l'atelier, directement avec ses pointes sèches ou son burin... mais c'était exceptionnel ! » (entretien avec Daniel Moret, retranscrit dans le catalogue de l'exposition).
« Quand, comment, pourquoi suis-je sortie du territoire de l'interprétation, je n'en ai pas le souvenir précis. » Mais de nouvelles gravures sont nées. Contrairement aux oeuvres de jeunesse, comme ces pêcheurs de Catalogne, elles ne montrent ni personnages, ni visages. « Je grave ce que j'entends dans ce que je vois. » La nature, des arbres, des végétaux, ces forteresses de paille que l'on croise sur les routes du côté d'Issoudun... Ces gravures, réalisées d'après photos, « sont presque toujours accompagnées d'un texte. »
Gardiens du silence, 1996-1997.
Le travail de Cécile Reims a été exposé à plusieurs reprises ; elle a aussi publié plusieurs recueils et fait, avec Fred Deux, plusieurs donations, notamment au musée de l'Hospice-Saint-Roch, à Issoudun, où depuis 2002 une salle permanente présente leurs oeuvres. Elle a arrêté de graver quand son mari est tombé malade. La gravure lui manque beaucoup, dit-elle. « Mais je ne supporterais pas de voir que je régresse. »
L'exposition qui lui est consacrée « retrace l'histoire d'une vie intégrée à l'art. ce qui a été notre vie, à Fred et moi. Nous vivions en artistes. Pour lui, c'était une véritable vocation, pour moi, un engagement. »
Cécile Reims, l'ombre portante. Jusqu’au 29 septembre au château d’Ars, à Lourouer-Saint-Laurent (Indre).
Tous les jours de 14 h 30 à 18 h 30, sauf les 27-28 juillet, 24-25-31 août et 1er septembre, 14 et 15 septembre.
Visite commentée tous les dimanches à 16 heures. Entrée : 3,50 € ; 2,50 € ; gratuit jusqu’à 18 ans.
Catalogue préfacé par Cécile Reims : 28 €. www.lachatre.fr
Source Le Berry
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